La banane et le blé dur
On constate une baisse de la production de blé dur dans le monde. Ce problème qui concerne notre alimentation est traité selon l’économie canonique : par la monnaie exclusivement. Comment voir la banane économique en son entier ? Tous les articles nous redisent ce que nous sommes censés savoir depuis longtemps, la loi de l’offre et de la demande va faire monter les prix. Il n’y a rien de faux là-dedans, c’est juste hors sujet. Le problème est la sécurité (comme on dit maintenant) alimentaire de l’humanité.
Nous devons intégrer à nos réflexions économiques ce que nous prenons à la nature à toutes les étapes de nos réflexions, pas les citer pour les oublier aussitôt, ce qui est le cas général.

Il y a fréquemment des formulations du type : Le dérèglement climatique met en danger le marché des pâtes alimentaires. On est d’emblée dans la monnaie (ce n’est pas le marché qui est en danger, c’est l’humanité).
Un autre terme qui court est étonnant « flambée des cours », « surchauffe du marché ». Avec la chaleur de l’atmosphère, les feux de forêt… et le danger vital que c’est pour nous, on continue les vieilles métaphores, comme si on ne s’était pas rendu compte de ce qui se passe.
Revue de presse rapide, incomplète et approximative.
L’entreprise savoyarde Alpina a une spécialité : les crozets, pâtes de forme carrée au sarrasin. Comme un gâteau à la vanille contient un faible pourcentage de vanille qui suffit à donner la couleur, le goût et le nom, les crozets contiennent 17% de farine de sarrasin, pour le reste ce sont des pâtes en gros comme les autres. Sur https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/savoie-alpina-inquiet-face-a-une-penurie-mondial-de-ble-dur-1629227180, le problème est le surcoût pour l’entreprise, énorme, qu’il faut payer chaque mois et pour le consommateur (quelques centimes par paquet qui vont tout de même se voir). L’article se termine par le fait que ce type de difficulté a déjà été rencontré en 2007 ; ce qui nourrit la notion de crise : c’est problématique mais on s’en est déjà sorti, on sait s’en sortir.
Sur « le Point », on apprend que les professionnels ont déjà appelé à l’aide des pouvoirs publics. La production de blé dur va baisser au Canada de 30%, à cause de la sècheresse, va baisser en Europe à cause des pluies. De plus, les stocks sont bas, ce qui suggère que le problème s’est déjà produit (suggéré, pas explicité). Et on arrive aux prix. Ils montent de 30% depuis juillet et il semble qu’ils vont monter encore. Il s’agit de passer « cette crise exceptionnelle ». Le déni est partout, l’idéologie est partout, et surtout dans les détails. Crise exceptionnelle, donc. On va quitter l’exception, forcément c’est une exception, et retourner à la normale. Un petit coup de main de l’État au passage, et le tour sera joué.
Sur BFMTV, le patron de Panzani voudrait que les pouvoirs publics français réservent le blé dur poussant en France aux pastiers français, il parle d’un privilège, c’est son mot. Il y a assez de blé dur français pour la consommation française de pâtes, à condition de ne plus en exporter, ce qu’il demande. Il faut aussi pouvoir répercuter les prix aux consommateurs (je ne sais pas ce qui s’y oppose).
Marianne a un point de vue surprenant. Cet hebdomadaire nous dit qu’en 2019 une étude publiée dans la revue Nature Climate Change évoquait la possibilité de mauvaises récoltes dans plusieurs régions productrices en même temps, avec des risques de famines. On n’a jamais manqué de prophètes.
Marianne parle ensuite de géopolitique : la Russie pourrait avec la fin du permafrost avoir plus de terres pour cultiver du blé. Ils pourraient cultiver tout le blé qui manque au niveau planétaire. Les Russes sont bénis, ce qui donnerait encore plus de pouvoir politique planétaire à Poutine, et là, c’est embêtant. https://www.marianne.net/societe/agriculture-et-ruralite/penurie-de-ble-le-rechauffement-climatique-favorise-la-russie-au-detriment-de-la-france De la géopolitique, étonnant, non ? Je suis allé rapidement chercher quelques discours d’écologistes à ce sujet, je n’en ai pas trouvé, j’ai trouvé les discours qui assassinent Macron, le rapprochement de Piolle et de Mélenchon, rien de réellement susceptible de diminuer le problème, voire de le résoudre.
Le journal de Lyon, le Progrès, le 27 juillet 2021, fait une page sur la vente de Panzani au fonds d’investissement anglais CVC Capital Partners au prix de 550 millions d’euros. Que de l’économie canonique, monnaie et structuration des organisateurs de la production ! Une seule occurrence de « blé dur » : Panzani est le premier exportateur de semoule de blé dur. Le 8 août, le Progrès écrit un article lambda sur la pénurie de blé dur. Pas de lien entre les deux articles, donc pas de lien entre les deux événements.
Le discours économique doit prendre en compte toutes les étapes de la production et de la consommation de ce dont il parle, des pâtes ici. Cette prise en compte de tout le processus, absolument tout le processus, obligerait à chercher les moyens de ne pas voir se reproduire ces sècheresses et ces excès de pluie. On discute de cette pénurie comme d’un passage pénible entre deux périodes paisibles et équilibrées, on croit voir dans le fait qu’il y a des antécédents qu’on arrivera à passer la « crise ».
On ne tiendra de discours économique utile, performant, que lorsqu’on on mettra en jeu dans toutes les analyses la banane en son entier, avec l’amont et l’aval.
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