La banque ? Un service public… comme les autres
Face à la crise, et au besoin de "recapitaliser" les banques devenues "systémiques", on reparle régulièrement de nationaliser les banques.
Or l'Etat à régulièrement fait la démonstration de son incapacité à être un "bon" entrepreneur.
Par ailleurs nationaliser est une solution très coûteuse que l'Etat ne peut pas s'offrir.
Il faut donc trouver d'autres solutions.
Cet article en propose deux :
1) Séparer la banque de dépôt de la banque d'investissement ; solution mise en oeuvre après la grande crise de 1929, puis abrogée par la grande réforme (ultra) néo-libérale du couple Thatchgan (pour Thatcher-Reagan, dont l'avatar actuel s'appelle Merkozy).
2) Considérer la banque de détail comme un service public, distributeur d'"énergie financière", aussi vitale pour notre économie que les autres formes d''énergie. Et adopter vis à vis des distributeurs de cette énergie la logique de la Délégation de Service Public qui prévaut pour les autres formes d'énergie ou de services de base.
Ce sont les banquiers lombards qui, au XIIIème siècle, "inventent" le crédit, c'est à dire le prêt d'argent rémunéré par un intérêt. Jugée immorale, cette activité de prêteur est interdite par la papauté. Mais pas par le roi, qui, déjà à l'époque, n'hésite pas à faire appel aux services des banquiers lombards.
Philippe le Bel ne leur manifeste d'ailleurs aucune reconnaissance, qui les ponctionne à plusieurs reprises (on dirait aujourd'hui "prélève une taxe exceptionnelle sur leurs bénéfices"), voire confisque leurs biens (dirait-on aujourd'hui les "nationalise" ?) lorsque son endettement ou ses besoins de financement deviennent trop importants.
Heureuse période (pour les rois-emprunteurs) où la crise de la dette trouve des solutions ... simples.
Mais ces ... pratiques finissent par avoir raison des banquiers lombards.
Ce n'est que plus tard, au XVIIIème siècle, que John Law crée sa Banque générale, à la fois Banque Centrale et banque commerciale des temps modernes. Elle "invente" le billet de banque, plus commode pour le commerce que la monnaie métallique. Elle disparait lorsque, la crise venant, on découvre que ce "papier monnaie" n'a pas sa contrepartie en or (eh oui ! la banque de Law n'a pas de ratios prudentiels à respecter !).
Sale temps pour les banquiers : Law, ruiné, doit s'enfuir à Venise (que n'avait-il négocié avec Louis XV un parachute doré !).
XIXème et XXème siècles. L’activité bancaire est un levier clé de l'économie. Elle élargit son champ d'action, se diversifie (surtout après la 2ème guerre mondiale).
La banque de dépôt (commercial banking) collecte des fonds auprès de ses clients (épargnants) et distribue des prêts (entreprises, particuliers, professionnels). C’est elle qui tient votre compte et finance l’achat de votre appartement.
Elle est gérée en bon père de famille, est allergique au risque (les jeunes créateurs d’entreprise savent de quoi je parle !). Elle gagne honnêtement sa vie, sans plus.
La banque d’investissement (corporate and investment banking) travaille avec les grands investisseurs (grandes entreprises, institutionnels - comme les assurances -, grandes collectivités - comme des villes ou des États) sur des opérations dites de « haut de bilan » (fusion, acquisition, émission d’emprunts, etc.). Ces opérations, souvent complexes, engendrent, voire exigent une ingénierie financière très pointue (les français en sont des experts mondialement reconnus) et des produits très sophistiqués (dont personne ne maîtrise vraiment ni le fonctionnement ni les risques).
Cette activité est à la fois très lucrative et très risquée. Elle est même « shootée » aux risques (générateurs de généreux bonus).
C’est si vrai qu’à l'issue de la crise de 1929 une loi (le Glass-Steagall Act) interdit aux banques de dépôt d'avoir une activité de banque d'investissement et réciproquement. De façon à ne pas faire prendre de risques aux premières par les activités plus spéculatives des secondes. Mais voilà, c'est aux États-Unis et nulle part ailleurs (il n'y a pas de loi équivalente en Europe) et, dans le tsunami néo-libéral impulsé par le tandem infernal "Reagan-Thatcher" (dirait-on aujourd'hui Thatchgan comme on parle de Merkozy ?), elle est répudiée en 1999 (le Gramm-Leach-Bliley Act).
C'est ainsi que les banques achètent désormais à tour de bras des produits financiers divers et (a)variés. Elles le font parce que ces activités, très risquées, sont évidemment très profitables. Mais voilà, il arrive que le risque soit avéré (subprimes, dettes souveraines, etc.) et là ... exit les montagnes de profit, bienvenue aux abysses de pertes qu'il faut alors éponger, soit en faisant appel aux États pour les combler (selon la bonne pratique de "privatiser les profits et nationaliser les pertes") soit en limitant les crédits (puisqu'elles ne peuvent plus trouver les fonds), soit les deux à la fois, plongeant alors l'économie dans la crise.
Reviennent alors périodiquement les propositions de "nationaliser" les banques. Cette idée traduit une réalité incontournable : dans son rôle de distribution de crédit à l'activité économique, la banque est un service public. Au même titre que la distribution d'eau ou d'électricité.
Il s'agit ni plus ni moins qu'une autre forme d'énergie, l'énergie financière, sans laquelle notre économie ne peut pas survivre.
Faut-il pour autant nationaliser les banques ?
Comme nous ne sommes plus au "bon temps" de Philippe le Bel, c'est une solution coûteuse (plusieurs dizaines de milliards d'€, même pour une nationalisation partielle), car il faut dédommager leurs actuels propriétaires.
Quant à la capacité de l’État à être un "bon" entrepreneur, l'Histoire montre qu'elle est tout simplement nulle (cf. les nationalisations, calamiteuses, qui ont suivi la victoire de François Mitterrand en 1981, les délocalisations, ces dernières années, de Renault que l’État, propriétaire de 15% du capital et titulaire d'un siège au Conseil d’Administration, n'a pas su ou pu empêcher, etc.).
Il me semble qu'il existe d'autres solutions, plus simples, moins coûteuses.
Premièrement, légiférer pour séparer rigoureusement (comme ce fut fait après la crise de 1929 aux USA) les activités de banque de dépôt (le service public) et de banque d'investissement. Ainsi seuls les actionnaires de ces dernières assumeraient les risques. Et la menace du « too big to fail » et autres risques dits « systémiques » disparaîtront ipso facto.
Deuxièmement, accorder l'autorisation d'exercer le métier de banque de dépôt dans le cadre d'une Délégation de Service Public.
De quoi s'agit-il ? D'un contrat par lequel une personne morale de droit public (ici l’État) confie la gestion d’un service public (le financement des projets des particuliers et des entreprises) dont elle a la responsabilité (c'est la réelle nouveauté : admettre que l'« énergie financière » est un service public) à un délégataire dont la rémunération est liée au résultat d’exploitation du service. C'est ce qui est fait pour la distribution d'énergie, d'eau, le transport, le traitement des déchets, etc.
Le délégataire doit respecter un cahier des charges. Son contrat est limité dans le temps. Il est donc libre d’exercer son métier en bon professionnel qu’il se doit d’être, mais « tenu en laisse ».
On peut imaginer tous les avantages qu’un tel système donnerait à un État stratège.
Des banques qui financeraient davantage les PME (créatrices d’emploi, exportatrices et non « délocalisatrices », payant leurs impôts en France, etc.) que les grands groupes.
Des banques dont on pourrait orienter les financements vers des secteurs d’avenir (bio-technologies, énergies renouvelables, etc.) et des projets innovants, plutôt que de la défiscalisation.
Voire même (c’est audacieux, mais rêvons un peu), des banques qui financeraient les projets des pauvres alors qu’aujourd’hui elles préfèrent ceux des riches.
Certes, il faut revoir la règlementation, notamment européenne, voire même celle de l'OMC. Il faut donc avoir de l’audace. Et, c’est sans doute là le plus difficile, bousculer les lobbies et les « copains ».
Comme disait Danton : « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France sera sauvée ».
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