La Chine et le yuan
L’un des officiels de la Banque centrale chinoise s’est récemment ému de la politique suivie par la Fed. Selon lui, la glissade du dollar pose des problèmes à la Chine. Cette prise de position rompt avec la confiance dans le billet vert qu’affichaient les autorités chinoises jusqu’à aujourd’hui. Elle laisse clairement entendre que celle-ci est peut-être sur le point de réviser sa politique monétaire alors qu’en novembre dernier elle résistait encore aux appels du pied européen en la matière qui rejoignaient sur ce point les Américains. Pourquoi maintenant ?
Une devise sous-évaluée
La Chine a lié sa devise au dollar sur une base extrêmement sous-évaluée alors que les Etats-Unis étaient son principal client. L’objectif initial était alors de doper les exportations et d’accumuler des réserves de change visant à garantir la capacité de la Chine à acquérir les biens et les services nécessaires à sa croissance rapide. Cette politique de change administré du yuan a généré une accumulation de devise entre les mains des autorités chinoises qui disposent désormais de plus de 1 500 milliards de dollars essentiellement investis aux Etats-Unis. L’administration des parités du Yuan a eu pour corollaire inattendu que la Chine contribue désormais par sa politique à la gestion du dollar, un rôle dont les Chinois se seraient probablement bien passés. La faiblesse chronique du dollar a amené l’Empire du Milieu à réviser lentement sa politique en permettant une dérive à la hausse du yuan contre dollar. Mais, jusqu’à présent, il n’a été question que de remaniements mineurs qui ne rendent pas compte du gouffre qui s’est creusé entre le yuan et les autres grandes devises internationales. Il est difficile de mesurer la distorsion monétaire entre la Chine, les Etats-Unis et l’Europe. L’outil le plus évident reste de recourir au Purchase Parity Power tel qu’il est établi par la Banque mondiale. Celle-ci vient d’ailleurs de réviser fortement à la baisse le PPP qu’elle attribuait à la Chine réduisant considérablement au passage l’écart entre le dollar et le yuan, celui-ci ne serait plus sous-évalué que de 63 % de quoi justifier encore une réévaluation de 150 % ! Autrement dit, même révisée à la baisse, la pression haussière sur le yuan reste explosive. Il y a peu de doutes qu’une politique de change libérée de la tutelle politique ne dégénère en hausse brutale et incontrôlée qui aurait pour corollaire un véritable ouragan monétaire. Une telle tempête ferait presque immédiatement de la Chine la troisième puissance économique mondiale à une distance encore respectable de l’Union des 27 et des Etats-Unis (6 000 milliards de dollars à l’horizon 2010), du moins dans l’immédiat.
Un gros exportateur qui veut importer plus
Il n’y a pas si longtemps encore, les Chinois défendaient leur politique monétaire et faisaient mine d’ignorer la dévaluation perpétuelle du dollar même si une politique timide de diversification de leurs réserves de change était initiée, tout comme une réévaluation graduelle de la monnaie. Il y avait de bonnes raisons à cela. Jusqu’à il y a peu les Etats-Unis étaient le premier client de la Chine. Wal-Mart entre autres y trouvait de quoi remplir ses rayons de biens de consommation à prix cassés. Les derniers chiffres publiés concernant le commerce sino-américain souligne deux points d’inflexion fondamentaux. D’une part, les importations américaines sont en chute libre ; les familles modestes particulièrement touchées par l’inflation achètent moins de biens de consommation chinois. D’autre part, l’Europe est devenue le premier partenaire commercial de la Chine. La somme de l’import-export entre l’Europe et la Chine se montait à 410 milliards de dollars pour 2007 contre 300 pour les échanges sino-américains. Les exportations européennes constituées pour l’essentiel de biens d’équipement pèsent deux fois plus lourds que les exportations américaines à destination de la Chine. A elle toute seule, l’Allemagne exporte presque autant que les Etats-Unis en Chine. Voilà qui en dit long sur la décadence de l’appareil productif américain qui profite pourtant maintenant d’une devise sous-évaluée ce qui n’était pas le cas en 2002. Voilà une bonne façon de souligner au passage que, sur le long terme, c’est la puissance industrielle qui guide la puissance monétaire et non l’inverse, dévaluer quand on n’a pas Siemens, Man, Daimler, Bayer, Basf, ça ne sert presque à rien. En substance, le dollar n’est plus central à la politique chinoise, sur le strict plan pratique les Etats-Unis ne sont plus qu’un partenaire parmi d’autres.
Non seulement la force de l’euro permet aux Chinois d’y exporter de plus en plus, mais, au surplus, la Chine importe également massivement des biens industriels nécessaires à sa politique d’équipement à marche forcée. Il ne faut pas oublier que la Chine n’est pas qu’un pays exportateur, elle importe aussi énormément, plus de 900 milliards de dollars l’année passée et pas seulement des matières premières, mais surtout ces biens d’équipement qui sont nécessaires à sa croissance beaucoup plus que ses exportations de chaussettes et de chaussures. Les pays « clients » pourraient à la rigueur trouver d’autres fournisseurs et même se passer brutalement de l’apport chinois, la Chine, elle, ne peut se passer de ces importations qui sont vitales à sa stratégie de croissance rapide. Dans ce domaine, la Chine a trois fournisseurs significatifs : la Corée du Sud, le Japon et l’Europe. Or, le yuan a baissé de 6 % par rapport à un yen anémique et de 20 % par rapport à la monnaie coréenne, il s’est effondré par rapport à la devise européenne. Fidèle à la loi des avantages compétitifs, identifiée par Ricardo il y a près de deux siècles, la Chine n’a pas pour seul objectif stratégique d’exporter, celle-ci n’exporte que pour être en mesure d’importer les biens dont elle a absolument besoin et qu’elle ne serait pas capable de produire seule. A notre sens, les importations sont même le seul vrai enjeu stratégique pour la Chine, la dévalorisation rapide du Yuan ne facilite pas les choses et il ne faudra pas être étonné de voir les Chinois sacrifier leur profil exportateur pour améliorer leur capacité à importer. L’outil le plus évident d’une telle orientation stratégique reste la politique monétaire.
La fin d’une politique de taux accommodante qui prépare une politique de change plus souple
La politique de taux de la Banque centrale chinoise (2 %) a longtemps été très accommodante, alimentant le boom de la croissance par une liquidité abondante, selon les meilleurs préceptes keynesiens. Mais, voilà, la Chine est confrontée logiquement à l’envolée de bulles spéculatives dans les valeurs mobilières et immobilières qui est aggravée par une accélération de l’inflation de plus en plus préoccupante. La politique chinoise de taux ne posait pas de problèmes insolubles lorsque les Etats-Unis étaient eux-mêmes un peu moins accommodants. Aujourd’hui, non seulement la politique monétaire américaine renforce encore la pression sur le yuan, mais elle l’entraîne incidemment à la baisse contre les autres devises et contre le cours des matières premières. C’est donc logiquement que l’inflation s’envole, stimulée en interne par une explosion sans précédent des prix agricoles et, en externe, par la poussée soutenue du prix de toutes les matières premières et dévaluation aidant du renchérissement de la plupart des biens d’équipement que la Chine a besoin d’importer. La Banque centrale a donc modifié substantiellement sa politique, depuis 2006. Les taux à un an ont doublé passant de 2 % à 4 %. Mais, en l’absence d’un réajustement des parités, les résultats se font attendre ; jouer sur la demande interne ne peut suffire et risque de s’avérer contre-productif...
Les intempéries ont eu des effets catastrophiques sur l’inflation du prix des denrées alimentaires qui, au-delà de son caractère partiellement momentané, souligne les tensions durables qui existent sur ce marché. Or, en Chine, l’explosion de ce type de coût ne génère pas des accès de mauvaise humeur électorale comme en France, mais peut susciter de violents troubles sociaux. Le pouvoir chinois actuel, pour être encore autoritaire, n’est plus sourd à l’estomac de ses concitoyens. L’envolée des prix agricoles est une très mauvaise nouvelle pour lui, nous pensons qu’elle est de nature à provoquer des changements dans sa politique qui ne seraient venus autrement que beaucoup plus tard dans son cycle de croissance.
Selon nous, il y a fort à parier que la Chine va être amenée à revoir sa politique de change dans les mois qui viennent, non pour satisfaire aux désidératas des pays occidentaux, mais pour neutraliser les effets catastrophiques de l’inflation sur le tissu social. La Banque centrale chinoise sera tentée d’élargir les plages de valorisations permises au yuan ; la première conséquence sera une baisse supplémentaire du dollar par rapport aux devises mondiales qui comptent. Or, si les Américains demandent un rééquilibrage des parités depuis des années, on aurait tort de penser qu’ils se réjouiront. Le réajustement risque d’arriver au plus mauvais moment ; lorsque l’inflation, pas encore apaisée par la récession, sera à son maximum. Ce coup de pied de l’âne monétaire les forcera à importer encore plus d’inflation au moment le plus délicat de leur cycle économique. En somme, il y a de bonnes raisons de penser que la politique chinoise de gestion de la crise du dollar va bientôt changer de façon radicale en raison de facteurs internes qui s’imposeront devant tous les autres. La Chine est aujourd’hui le dernier garant international du dollar, la Fed n’est plus maître du destin de la monnaie qui lui a été confiée. Ce processus s’inscrit selon nous dans un ensemble plus vaste où la relégation du dollar jouera un rôle symbolique.
Le déplacement du cœur de l’économie-monde vers l’Asie est presque achevé
Selon I. Wallerstein le dernier attribut que perd une puissance hégémonique est son empreinte sur la finance mondiale. A notre sens, la fragilité actuelle de la « finance » américaine et de sa devise de référence répond à ce type de glissement et non à des difficultés conjoncturelles dont on a de plus en plus de peine à voir le bout. L’ascension d’une nouvelle grande puissance économique s’accompagne de terribles turbulences ; les guerres anglo-françaises du XVIIIe et la crise mondiale de 29 sont là pour le rappeler. Force est de constater que les éléments du tableau se mettent en place au pire des moments et sont susceptibles de générer une crise systémique de la finance occidentale, car, si la valeur des dettes américaines s’effondre, l’onde de choc bancaire frappera l’Europe de plein fouet, et ce, malgré l’adroite défense J.-C. Trichet. La politique monétaire chinoise conditionne désormais pour une bonne part le jeu monétaire international et son évolution aura des effets macro-économiques énormes sur l’ancienne hyper-puissance que sont désormais les Etats-Unis. A nos yeux, ce simple fait suffit à affirmer que les rapports de puissance sont en train de changer fondamentalement et la monnaie comme c’est souvent le cas servira de drapeau rouge pour rendre visible à tous le nouvel ordre mondial. La Fed fait donc à nos yeux preuve d’une terrible myopie, la politique qu’elle mène aurait été critiquable et dangereuse il y a quelques années même lorsque cette devise était incontournable, aujourd’hui elle est proprement suicidaire, c’est ce qui fait dire à Marc Faber dans une interview récente que T. Bernanke est en train de détruire le dollar.
Eric Grémont
OpesC
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