La dette ?
On est beaucoup à se poser des questions sur la dette. Pourquoi le Japon est-il si zen alors que sa dette s'élève à plus de 250% de son PIB ? Pourquoi compare-t-on la dette au PIB ? L'état n'est-il pas par définition solvable ?...
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Suite à mon dernier article sur la dette plusieurs lecteurs ont partagé leurs idées et leurs remarques en commentaire. J’ai trouvé cet échange intéressant et je vais utiliser cet article pour répondre à certaines de ces remarques plus en détail.
Résumé de mon article : En 2020, la France c'est une dette à 120% de son produit intérieur. Ce niveau d'endettement est un danger pour la pérennité de notre système économique. Il est aussi symptomatique d’une utilisation intéressée des politiques budgétaires visant davantage à manipuler un électorat sur le court terme qu’à assurer la santé économique française sur le long terme.
Lien vers mon dernier article : https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/reflexion-sur-l-endettement-de-l-223605
1 - « Je renvoie tous ceux que ça intéresse aux écrits de l’économiste William Nordhaus »
Les écrits de Nordhaus ont en effet constitué une base de réflexion pour mon article et il y est d’ailleurs cité. Sa thèse est détaillée dans : « The Political Business Cycle, » The Review of Economic studies, 1975.
Pour la résumer brièvement : les gouvernements tiennent à ce que l’économie soit en pleine forme durant les années électorales. Ils ont donc tendance à influencer la conjoncture économique de telle manière à ce que le taux de chômage et d’autres indicateurs économiques renvoient un message positif à l’électorat à la veille d’un scrutin. Ces écrits sont très importants car ils ont été parmi les premiers à mettre en évidence ces pratiques carriéristes et à désacraliser l’image de l’état bienfaiteur.
Les crises économiques importantes durant les mandats sont des périodes durant lesquelles ces comportements ont tendance à stopper. En France, la zone euro et la Banque Centrale Européenne permettent de nuancer la marge de manœuvre de l’état car le gouvernement français n’a pas un contrôle total de ses politiques économiques.
2 – « Et le Japon alors ? »
Jadis (en 1992), le Japon dégageait un excédent budgétaire, et sa dette publique représentait moins de 70% du PIB. Aujourd’hui la Japon a une dette d’environ 10 000 milliards d’euros soit plus de 250% de son produit intérieur brut !
Les agences de notation lancent régulièrement des avertissements aux autorités nippones et la note souveraine du pays est désormais loin de la prestigieuse note "AAA" perdue en 1998. De plus, le gouvernement ne semble pas s’en préoccuper et le vieillissement de la population ainsi que les différents plans de relance semblent présager une dette encore plus importante dans les années à venir. Le gouvernement a même calculé que son évolution future pourrait atteindre 600 % du PIB en 2060.
Comment est-ce possible ?
Il y a deux raisons principales à mon sens. La première est idéologique : les japonais ne perçoivent pas la dette d’une manière aussi négative que les européens. La deuxième : la dette japonaise est détenue à plus de 90% par des agents économiques japonais.
Beaucoup de responsables politiques japonais perçoivent la dette comme un investissement et non pas comme un poids. La dette au Japon c’est avant tout un pari sur l’avenir.
Autre explication : la dette nippone est détenue très majoritairement par des agents économiques domestiques. En effet, 36,7 % de leur dette est détenue par la Banque du Japon, 24,7 % par les institutions financières du pays et 21,8 % par les assureurs locaux (Septembre 2016, selon le ministère des finances japonais). Par conséquent, moins de 7% de leur dette est détenue par des étrangers, contre par exemple, 60 % pour la France. Ainsi, le Japon n’est pas sous la menace d’une situation où les investisseurs étrangers, inquiets de la capacité de rembourser du gouvernement, stopperait de prêter au Japon. De plus, les institutions financières nippones continuent d’acheter les obligations émises par l’État dans toutes les situations. Le Japon continue donc de se prêter de l’argent à lui-même, avec des taux d’intérêts négatifs et personne ne considère ça comme un problème.
3- « Il faut voir dans la dette, non pas le fait que l’on vive au-dessus de ses moyens, comme on aime à nous le reprocher pour justifier les mesures draconiennes qu’on nous impose, mais le résultat de la dynamique qui anime le système dans son ensemble. Comment pourrait-il ne pas y avoir de la dette puisque sans dette il n’y a pas d’argent ? Mais il est tellement plus simple et lucratif pour ceux qui en tirent profit de culpabiliser le citoyen plutôt que d’admettre que si la monnaie est effectivement une dette par nature, elle est une dette de la société envers sa population et non de la société envers les banques. »
Philippe Derudder
La vision de Philippe Derudder peut paraître opposée à la mienne, je pense cependant que nous nous accordons sur certains points.
Pour P. Derudder, l’économie est au service de l’homme et non l’inverse. Je partage cette vision. Pour moi, la dette ne peut en aucun cas permettre de culpabiliser l'ensemble des citoyens et il est du devoir des responsables politiques d'assumer leurs responsabilités.
De plus, je n’utilise pas le niveau d’endettement actuel pour préconiser des mesures draconiennes. Je critique justement que ce niveau d’endettement, aussi important soit-il, n’a pas permis de réduire les inégalités ni de véritablement améliorer le quotidien des français car il est davantage le résultat d’une utilisation politique des mesures économiques.
4- « Tout le monde communique sur un déficit en % du PIB. 3%, 5%, 6% ça parait finalement peu. Sauf que les recettes de l’État, ce n’est pas le PIB. Si on évalue le déficit de l’État au regard de ses recettes. On est sur 76 milliards de déficit pour 310 milliards de recette. Le déficit est donc de 25%. »
Toujours rapporter la dette au PIB peut être trompeur. Par exemple, ce rapport peut porter à confusion lorsqu’on le compare entre les différents états. Prenons l’exemple de deux pays, l’un qui n’a pas fait le choix d’être un état fortement social comme les États-Unis où la part de recettes publiques dans le PIB est d’environ 25% et un état fortement social comme la Suède où cette part est d’environ 47%. Si leurs rapports PIB/Dettes étaient les mêmes, ils porteraient à confusion quant au véritable danger que représentent leurs dettes pour leurs économies respectives.
En fait, lorsque l’on parle de la dette il faut prendre en compte de nombreus indicateurs : recette fiscale/ taux d’intérêts sur 10 ans/ PIB ...
On pourrait aussi parler de dette nette c’est à dire une dette à laquelle on soustrait les « réserves financières » des états : les actifs financiers (actions...). Dans ce cas au contraire cette dette nette serait inférieure à la brute (environ 37% du PIB en 2007 pour la France).
5- « La démagogie électoraliste que vous décrivez est pour beaucoup dans le développement de notre dette publique.
D’un autre côté, la réalisation des promesses est plus aisée lorsque la croissance est forte, ce qui a moins été le cas durant les dernières décennies. »
Je pense que notre système électoral n’est pas "l’origine du mal" intrinsèquement, mais bien ce dont il est représentatif, c’est à dire un système que beaucoup de responsables politiques utilisent pour maximiser leurs chances électorales.
Je précise par ailleurs que je n’effectue à aucun moment une hiérarchisation des moteurs essentiels de la dette. Quand je parle « d’origine du mal », c’est par ce que pour moi ce problème est le plus grave car il résulte d’un choix moral. De plus, le choix du « courage politique" que je prône n’est soumis à aucune circonstance particulière et me parait donc particulièrement intéressant d’un point de vue théorique.
6- « La France est le pays le plus taxé au monde, les gouvernements successifs dépensent l’argent des contribuables comme un gosse son argent de poche dans un magasin de bonbons….
Les énarques sont une plaie pour le pays, tout ce qu’ils touchent part en fumée, ils sont hautement nuisibles, ils sont comme des tiques sur le dos d’un animal suçant le sang jusqu’à sa dernière goutte … »
Vous avez raison, la France est le pays le plus taxé du monde. L’étude annuelle de l’Organisation pour la coopération et le développement (OCDE) sur la fiscalité révèle que la France est bien en 2017 le pays le plus taxé au monde avec des recettes fiscales atteignant 46,2 % de son PIB (elle est juste devant le Danemark (46% de son PIB)).
L’augmentation de la pression fiscale est une tendance de long terme dans les pays développés. En effet, la moyenne des recettes fiscales des pays de l’OCDE s’élevait à 34,2% du PIB en 2017 contre 33,8 % en 2000.
Les faits sont là : la France prélève beaucoup et elle s’endette beaucoup. Alors où va l’argent ? Comment pouvons-nous n’avoir que le 26 ème IDH le plus élevé au monde (ex-aequo avec la Tchéquie) ?
Il y a plusieurs éléments à prendre en compte pour répondre à cette question et il est sûr que les responsables politiques et les gouvernements au pouvoir durant les dernières décennies doivent prendre leurs parts de responsabilité. Mon article ne les épargne guère et je critique cette utilisation trop fréquente des politiques économiques à des fins personnelles et carriéristes.
Cependant, je pense qu’il important de ne pas tomber dans la caricature. De ne pas crier au « tous pourris » ! J’espère que j’ai toujours raison de croire que certains responsables politiques ont une véritable vision et ne sont pas de simples carriéristes. Peut-être que je suis naïf, peut-être que je changerai d’avis, mais j’y crois.
7- Pourquoi parlez-vous du taux négatif comme « négation du progrès » ?
Quand je parle du taux négatif qui « nie la philosophe du progrès », je parle bien de l’idée qui se cache derrière le taux négatif. En fait, le taux négatif nie la « philosophie du progrès » car il refuse de voir l’intervalle de temps qui sépare le prêt de son remboursement comme une source de progrès, un espace temporel qui va permettre à l’homme de s’améliorer et dans ce cas de générer un profit.
Quand je parle de "philosophie du progrès", je parle de l’idée que le temps qui passe représente pour l’homme une possibilité de s’améliorer. En d’autres termes, que demain nous aurons progressé et c’est cela qui nie le taux négatif.
8- « L’état ce n’est pas une entreprise, il est éternel et donc toujours solvable. La dette ce n’est pas un problème ».
Évidemment, un état n’est pas un agent économique comme les autres. En effet, il n’a pas vocation à être rentable comme une entreprise privée et est considéré comme beaucoup plus solvable que tout autre agent. Ainsi, même si un état enchaîne les années avec des déficits importants et a une dette très significative, il sera très souvent perçu comme toujours solvable par les agents à capacité de financement et n’aura donc pas de mal à emprunter à des taux d’intérêt faibles. De plus, on compare souvent la dette au PIB, mais un état possède aussi un patrimoine qui peut être perçu comme une assurance par les acteurs financiers. En France, une division de l’Insee a évalué le patrimoine net de la France à quatorze mille milliards sept cent soixante-deux millions d’euros (14 762 000 000 000 euros), soit presque huit fois son PIB ou plus de 7 fois sa dette.
Cependant, ça ne le rend pas éternel. En effet, « Il n'y a aucune création humaine qui ne met pas un terme à son existence" (Machiavel). L’histoire nous a d’ailleurs démontré que des états peuvent disparaitre.
De plus, même si un niveau de dette très important ne met pas forcément en danger la survie d’un pays, elle est très dangereuse pour les gens qui y habitent. En Grèce, la dette trop importante avait effrayé l’ensemble des acteurs économiques (notamment le FMI) et elle ne parvenait plus à emprunter auprès d’acteurs privés. Huit ans d’austérité ont suivi et ce n’est toujours pas fini ! Pour rassurer l’ensemble des acteurs économiques la Grèce a coupé ses dépenses. Voici les mots du premier ministre Tsipras en juin 2017 devant ses députés : « « Aujourd’hui, nous tenons une session parlementaire historique : après huit années, nous votons pour les dernières mesures d’austérité de l’ultime". Par exemple, la Grèce est le seul pays de l’UE où le salaire minimal a diminué depuis 2008 et il a notamment été abaissé de 28 % en 2013 pour atteindre 684 euros brut mensuels.
Donc, même si l’état est un agent économique à part il n’est pas éternel et sa solvabilité peut parfois être remise en question. Par conséquent, une dette trop importante peut être un problème, d’autant plus que comme très souvent malheureusement les premiers à en souffrir seront les habitants du pays en question.
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