La rigueur
Le mot est dans toutes les bouches, dans toutes les têtes, il hante le microcosme, horrifie la majorité et sert l’opposition : le gouvernement va-t-il oui ou non mener une politique de rigueur ? Ce débat est assez surréaliste dans la mesure où cette notion de « rigueur » n’est pas clairement définie et que les différents acteurs politiques ou médiatiques n’y voient pas le même sens. Il rejoint la longue liste d’objets politiques non-identifiés avec la rupture, les réformes ou encore le changement. Il est intéressant de voir comment l’essentiel des débats de la vie politique française, dans chacun de ces cas, peut se faire autour d’un concept dont aucune définition précise n’est donnée.
Le terme de "rigueur" est en effet polysémique, il fait référence à la politique menée par Raymond Barre après le premier choc pétrolier, mais surtout au fameux "tournant de la rigueur" du gouvernement Mauroy en mars 1983. Dans ce dernier cas, il s’agissait de se concentrer sur la lutte contre l’inflation qui atteignait fréquemment les 15 % à cette époque. Pour cela, il a fallu opter pour une très forte modération salariale et une politique monétaire aussi dure qu’elle devait être crédible. Aujourd’hui, la situation est complètement différente, même si l’on parle de retour de l’inflation, elle ne dépasse que péniblement les 3 %, on est donc loin des niveaux des années 80, la politique monétaire, qui plus est, est désormais menée à l’échelon européen par la même personne qui dirigeait la Banque de France en 1983 : Jean-Claude Trichet, mais le pouvoir politique national n’a quasiment plus d’influence sur lui. La comparaison historique entre 1983 et 2008 n’est donc absolument pas pertinente, et il est absurde qu’elle soit brandie par le camp politique même qui a mené cette politique de rigueur sous François Mitterrand.
Dans la bouche d’autres responsables socialistes, en particulier François Hollande, la rigueur est assimilée à la réaction que le gouvernement va apporter face aux déséquilibre des finances publiques. Cette réaction peut prendre trois formes : une augmentation des impôts, une diminution des moyens de l’Etat ou un dérapage du déficit public. A partir de ce constat indiscutable, qui relève plus de la comptabilité que de l’analyse politique, il convient de faire le tri entre les différentes voies qui s’offrent au gouvernement. François Fillon a effectivement le choix entre deux politiques : la rigueur budgétaire ou le laxisme, opter pour la seconde solution, ce serait faire le choix de la facilité en léguant aux générations futures le poids de notre incurie, mais ce serait surtout affaiblir considérablement la France face à ses partenaires européens au moment où elle va prendre la présidence de l’Union européenne.
Un homme politique responsable n’a en réalité que deux choix : augmenter les recettes de l’Etat ou diminuer ses dépenses, l’un n’excluant pas l’autre. L’opposition insiste sur la hausse des prélèvements obligatoires inévitable selon elle pour respecter les règles du pacte de stabilité, elle en profite pour dénoncer la mauvaise politique économique du gouvernement, plutôt que d’indiquer ses solutions à la crise actuelle. Dans sa campagne, Nicolas Sarkozy s’était engagé à baisser les prélèvements obligatoires pour les remettre dans la moyenne européenne, partant du constat que la fiscalité pèse exagérément sur la compétitivité économique de notre pays. La dégradation de la croissance due à la crise financière mondiale l’a contraint à revenir sur cet objectif, il faut s’en féliciter en même temps qu’on peut condamner les promesses intenables du candidat Sarkozy lors de sa campagne.
Si l’on ne laisse pas filer le déficit et qu’on choisit de stabiliser la pression fiscale, il ne reste plus qu’à diminuer les dépenses publiques. Cet objectif rejoint celui de l’optimisation de l’utilisation du produit des impôts : un euro dépensé par l’Etat doit être le plus efficace possible. C’est tout l’objet de la Revue générale des politiques publiques, qui est de loin l’initiative la plus sérieuse qui a été prise depuis le début du quinquennat. Pour chaque politique ou dépense publique, il s’agit de s’interroger sur sa pertinence, son coût et les services les plus à même de la rendre. Ce vaste effort de rationalisation de l’Etat doit permettre selon Eric Woerth, ministre des Comptes publics, d’économiser 7 à 8 milliards d’euros sur les trois années à venir. Ces économies augmenteront au fil des ans, en particulier via le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite.
En même temps, on voit bien que les sommes annoncées ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, si on les compare aux 50 milliards de déficit public prévus pour l’an prochain ou même aux 15 milliards que coûteront le paquet fiscal en année pleine. Il faut donc poursuivre cet effort et surtout l’étendre aux dépenses publiques qui ne dépendent pas de l’Etat comme la protection sociale ou les collectivités territoriales. En ce sens, les réformes des retraites ou de l’assurance maladie, annoncées pour cette année seront très importantes. De même, une rationalisation de la décentralisation est aujourd’hui devenue inévitable, ce qu’avait justement souligné le rapport Attali en réclamant la suppression du département en temps que collectivité territoriale. Le gouvernement serait également bien inspiré de revenir sur tout ou partie du paquet fiscal, en particulier les déductions d’impôts pour l’achat d’une résidence principale et la suppression des droits de succession. Mais qu’on ne s’y trompe pas : contrairement à ce qu’affirme l’opposition, la situation économique du pays ne serait pas significativement différente si le paquet fiscal n’avait pas été voté, et on peut continuer à penser que les mesures sur les heures supplémentaires peuvent soutenir la demande et renforcer l’offre dans ces moments de turbulences économiques mondiales.
L’urgence, c’est le long terme, c’est-à-dire la compétitivité de notre pays, sa capacité à exporter pour financer notre modèle social, le gouvernement doit donc se concentrer sur le développement des PME, la relance de la recherche et de l’innovation et le renforcement de nos universités. Le maître-mot doit être le travail, en cela, le Revenu de solidarité active proposé par Martin Hirsch doit être autant soutenu que possible puisqu’il permet de sortir des trappes à inactivité et de récompenser chaque heure de travail supplémentaire. Les difficultés actuelles peuvent justifier un décalage dans le temps de la généralisation de ce processus, mais certainement pas son abandon.
Réduire les dépenses improductives de l’Etat et relancer le travail par tous les moyens, je ne sais pas s’il s’agit d’une politique de "rigueur", je suis en revanche convaincu qu’il s’agit de la politique économique à suivre.
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