La stratégie d’autosuffisance alimentaire : deux erreurs à éviter
Après avoir été abandonné, fin des années 70, le concept de l’autosuffisance, impliquant que les populations satisfassent leurs besoins alimentaires par leurs propres productions, est remis au goût du jour. Plusieurs dirigeants africains et responsables internationaux (le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon en tête) ont en effet appelé à privilégier la stratégie d’autosuffisance consistant à satisfaire les besoins alimentaires des populations par la production locale. Si le retour à l’autosuffisance peut être légitimé par la réduction de la dépendance alimentaire des pays africains, deux erreurs sont à éviter pour juguler la crise alimentaire actuelle.
Une conception nationaliste et dirigiste de l’agriculture
La stratégie d’autosuffisance telle qu’elle a été menée dans plusieurs pays africains, notamment ceux du Sahel (Niger, Mali, Burkina, etc.), entre 1972 et 1982, s’est traduite par un accroissement des importations et des aides alimentaires. La raison principale de cet échec tient au fait que les dirigeants africains ont fait de l’indépendance alimentaire une question d’indépendance nationale, d’où la mise en place de politiques agricoles nationalistes. Ainsi, au nom de l’autosuffisance, l’Etat a pris en main l’agriculture en administrant les prix et en créant des fermes publiques gérées par des bureaucrates hermétiques aux réalités du marché. L’objectif prioritaire était de produire et de stocker le maximum tout en protégeant les producteurs locaux de la concurrence étrangère. Cette vision de la production est « anti-compétitive » dans la mesure où les questions de coûts et de productivité n’étaient pas prises en considération, ce qui était défavorable à un usage rationnel des facteurs de production (Terre, capital, travail). Par ailleurs, il faut souligner l’effet d’éviction exercé par le contrôle monopolistique étatique sur l’investissement privé. Ainsi, dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest Centrale (Burkina Faso, Côte-d’Ivoire, Ghana, Mali, Togo), comme des pays d’Afrique en général, les réformes institutionnelles n’ont pas été menées suffisamment en profondeur pour créer un environnement favorable à une compétition effective et satisfaisante entre les agents du secteur privé. A cet égard, quand l’Etat s’est désengagé partiellement de la production, il n’a pas transféré au secteur privé les fonctions de distribution et de commercialisation des produits agricoles. En témoigne la persistance des monopoles publics dans le commerce et dans la distribution des produits agricoles (riz en Côte-d’Ivoire et au Sénégal, sucre au Maroc, etc.). Ainsi, en légitimant un certain dirigisme étatique, la stratégie d’autosuffisance a provoqué l’échec de plusieurs projets de réforme de l’agriculture africaine.
La sécurité alimentaire ne peut être réduite à l’autosuffisance
L’autosuffisance implique que la production locale se substitue aux importations pour satisfaire les besoins alimentaires des populations. Or, la sécurité alimentaire est définie comme la possibilité matérielle et économique pour chacun d’acheter, de se procurer ou de consommer en tout temps suffisamment de nourriture pour mener une vie saine et active. Dans cette optique, la carence de l’offre locale n’explique que l’aspect matériel de la sécurité alimentaire. Ainsi, la stratégie d’autosuffisance, fondée sur la production locale, peut ne pas garantir la sécurité alimentaire pour deux raisons : d’abord, dans une économie ouverte la production locale d’un pays pourrait être exportée. En effet, il y a un avantage à saisir, qui est le prix élevé que les clients étrangers sont disposés à payer. Ensuite, certaines franges de la population pourraient se trouver exclues si elles ne possèdent pas les moyens financiers suffisants pour acheter cette production locale. La crise alimentaire ne résulte donc pas uniquement du déficit de l’offre locale, mais également du faible niveau de revenus des ménages. C’est ici une question de pauvreté. Par ailleurs, les restrictions (tarifaires et non tarifaires) renchérissent les importations et affaiblissent les exportations, d’où la difficulté pour les pays africains d’accéder à la sécurité alimentaire. Dès lors, il convient d’éviter l’erreur de confondre autosuffisance et sécurité alimentaire car cette dernière exige non seulement l’existence d’une offre suffisante, mais également d’une demande solvable.
En conséquence, la sécurité alimentaire passe par l’action sur l’offre et sur la demande. Au cœur de toute activité économique, en l’occurrence agricole, se trouve l’acte d’investir. Or, dans tous les pays africains, l’agriculture est pénalisée par la faiblesse du secteur privé. Dans ce sens, l’accélération de réformes institutionnelles pour lever les blocages (foncier, fiscalité, crédit, commercialisation, etc.) aux investissements privés est incontournable pour développer une agriculture à forte valeur ajoutée et à forte productivité. Pour ce qui est de la demande, l’encouragement de l’agriculture vivrière est primordial pour élever les revenus des agriculteurs et lutter contre la pauvreté. La réforme de l’environnement institutionnel de l’investissement permettra non seulement la création d’emplois directs, mais également la diversification des activités génératrices de revenus monétaires à leur disposition. En conséquence, les gains de productivité générés permettront l’amélioration du pouvoir d’achat des ruraux et par corollaire des citadins avec pour conséquence l’amélioration de leur accès aux produits alimentaires.
Les pays africains ne peuvent avoir une agriculture diversifiée et compétitive sans un secteur privé responsable et sans une intégration au marché mondial dans le cadre de relations d’interdépendances qui ne sont pas synonymes de relations de dépendance. Bref, il ne faut pas que le traumatisme de la crise alimentaire actuelle pousse les pays africains à reproduire les erreurs du passé.
12 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON