Le libéralisme face au choc de la rareté, pétrolier notamment
L’augmentation du prix du baril de pétrole annonce un choc pétrolier de grande ampleur et, surtout, durable. Panique chez les gens et les économistes. D’autant plus que les prix des matières alimentaires flambent. Mais, sur le fond, il n’y a pas de quoi s’affoler, le système économique est stable, mais va subir une transformation profonde.
Tout simplement parce qu’il a tellement bien fonctionné qu’il a trouvé ses limites, un peu comme un moteur sollicité au maximum, chauffant et risquant la panne. Il n’y aura pas de panne dans l’économie, le système va se réorganiser sous la pression d’une pénurie relative de matières premières. Et comme la rareté est source de richesse et profit, les rapports économiques risquent d’être modifiés. Une tendance aux résultats bien complexes. Grosso modo, la montée de l’or noir va évidemment avantager les pays ayant des ressources en pétrole et en gaz, alors que l’or vert qui désigne les produits de l’agriculture, donnera quelques avantages aux pays possédant des terres agricoles. Cette idée de raisonner en termes d’économie nationale paraît saugrenue et, pourtant, c’est bien ce à quoi on risque d’assister. Non pas un retour à l’économie collective étatisée, mais à un rôle de l’Etat comme agent économique au niveau international, au même rang qu’une multinationale, sauf que la raison sociale diffère.
Disposer des terres agricoles est un atout, encore faut-il savoir les exploiter. Une vue globale ne négligera pas le processus technique, industriel, permettant de passer d’une ressource naturelle à un produit fini consommable. Il faut savoir exploiter les terres. Tout comme il faut savoir exploiter les gisements d’énergies fossiles. Ensuite, la transformation joue un rôle important. Le prix du gazole a pratiquement rejoint celui de l’essence. C’est dû pour une bonne part à une distorsion entre l’offre et la demande. Alors la loi du marché fait monter les prix. L’économie des matières à forte demande dépend de ces deux facteurs. La ressource et la capacité de transformation. Mais, en dernier ressort, la rareté relative fera le prix. Car si les capacités de raffinage augmentent, la demande en brut aussi d’où la tension sur les prix. A noter un troisième champ de l’économie ayant subi des tensions. Celui du logement. Le processus est similaire. Deux coûts interférèrent, celui de la construction et celui du terrain. L’un relevant de la production l’autre étant une ressource naturelle sur laquelle les propriétaires ont fait main basse. Les donneurs de leçon regardent vers le Brésil ou l’Argentine et condamnent la politique au service des terres arables confisquées par une poignée d’exploitants, alors qu’ils n’évoquent jamais le scandale des terrains à bâtir en France ou en Europe. Une politique au service des marchands de biens et des propriétaires privés. D’où la montée déraisonnable du prix du logement, accentuée par un déficit chronique en logements neufs. Bâtit un immeuble ou une maison, c’est un peu comme raffiner du gasoil. Si la capacité productive est insuffisante, le prix de l’immobilier augmente. Mais la plus grosse part c’est le terrain. Et sur ces deux aspects, terrain et logement social, les gouvernements successifs ont été en dessous de tout. D’ailleurs la France vient d’être rappelée à l’ordre pour sa politique de logement social. Quant à la crise des subprimes, ce n’est qu’un point de détail lié à la voracité des banques ayant voulu faire plus de profit que n’en permet l’économie réelle en jouant sur les désirs des gens. A l’époque où les experts évoquent une supposée martingale de la croissance, l’économie de la connaissance, le principal problème à résoudre va être celui des matières « basiques », cultiver les terres pour se nourrir, extraire et partager les énergies fossiles notamment pour se déplacer et se chauffer, bâtir des logements pour y habiter. Mais il ne suffit pas de croire que la solution repose sur la productivité et la concurrence, comme pour l’informatique. Les ressources en terrains et énergies fossiles, rapportée à la demande croissance, vont voir les problèmes de répartition devenir cruciaux.
Un exemple, l’Inde. Ce pays émergent et dynamique n’a pratiquement pas de ressources pétrolifères. Sa dépendance est accrue et, quand le baril augmente, c’est l’essence qui prend un coup de hausse avec les conséquences pour les utilisateurs. Quelle peut-être alors l’attitude des pouvoirs publics ? Subventionner l’essence pour rendre ce produit plus accessible. Si tel est le cas, l’Etat indien devra prendre une orientation dans la politique publique. Ou bien augmenter la fiscalité en direction des classes moyennes et aisées, ou bien réduire les dépenses publiques. Le risque d’émeutes et de tensions sociales ira grandissant. L’évolution de la situation sera aux mains de l’Etat. Cette situation comme on le pressent sera internationale. Le point d’arrivée du pétrole dépendra des capacités financières des individus autant que du niveau matériel de chaque Etat pour autant qu’il se décide à subventionner le carburant. En France, baisser la TIPP revient à subventionner l’essence relativement au prix actuel. Quelle est la marge de manœuvre budgétaire de la France ? Quoi qu’il en soit, le prix de l’essence n’a rien d’affolant. Il crée des trous d’air budgétaires pour certaines professions, fait pleurer les ménages à la télé. Mais quel journaliste sera honnête au point de calculer la part de l’essence dans le coût d’une automobile (assurance, parking si nécessaire, entretien, achat). Qui soulignera la composition du parc des sociétés ambulancières, choisissant des 407 plutôt que des modèles moins onéreux ? La situation deviendra préoccupante quand le litre d’essence sera à 2 euros. Dans deux ou quatre ans ? Nul ne peut l’assurer. Dans dix ans, c’est certain, mais sera-ce 2 ou 5 euros le litre ?
Ces phénomènes de tensions sur les prix montrent bien à quel point les règles du libéralisme sont dans une impasse, imposant l’intervention accrue des Etats sur la scène économique. Cela dit, l’Etat peut jouer sur deux plans. Ou bien contre-libéral, en créant une haute autorité mondiale fixant le prix du pétrole et la répartition dans les pays ; on imagine bien l’impossible usine à gaz et les dérives bureaucratiques. Ou bien dans un sens libéral. En subventionnant par exemple l’essence, ou en créant sa propre entreprise nationalisée pouvant intervenir sur le marché des matières premières. Quoi qu’il en soit, ce sera le contribuable qui paiera. Et l’essence coulera là où les acheteurs mettront le prix. Comme je l’ai déjà explicité, le devenir de l’économie est anti-fordien, anti-démocratique. L’accès à certains produits se limite. La courbe du progrès matériel augmente pour les biens électroménagers, mais elle s’inverse dans le domaine du transport. En 1950, le plus grand nombre n’avait pas accès à l’automobile. Mais les Trente Glorieuses ont par leur croissance permis à la majorité, aux States comme en Europe, d’acquérir un véhicule. C’était l’époque où l’on prenait sa voiture ? Dans dix ans, progressivement, il faudra laisser sa voiture. Au niveau de la politique intérieure, la question sera de savoir qui déterminera l’accès à l’essence. La loi du marché ? Auquel cas, les riches rouleront pour leur plaisir, les travailleurs par nécessité, amputant leur budget par la faute du transport, comme ils le font actuellement par la faute du logement. A moins qu’il n’y ait un « carburant social », avec par exemple des bons d’achat un peu comme le chèque vacances ou le chèque déjeuner. Ce sera au législateur de décider.
Le libéralisme utopique est donc derrière nous. L’époque est à l’avènement du national-capitalisme. Les structures étatiques vont être amenées à intervenir sur le plan économique. Et la mieux lotie en ressources diverses, la Russie, se prend quelques ailes géopolitiques, rêvant de grandeur. Si l’argent est le nerf de la guerre conventionnelle, les ressources (or noir, vert, etc.) sont le nerf de la géopolitique à venir.
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