Le mirage de Gordon ou l’oraison funèbre
L’Europe et les Etats unis doivent renoncer au protectionnisme qui entrave le règlement de la crise économique mondiale a déclaré le premier ministre Gordon Brown à l’issue des négociations lors du mini sommet de Londres (8 décembre) avec le président Nicolas Sarkozy et le président de la commission européenne José Manuel Barroso. Madame Merkel, représentante de la première économie européenne n’était pas invitée !
Nous sommes persuadés que toute tendance à encourager le protectionnisme nuirait au redressement de l’économie mondiale a-t-il souligné ajoutant que l’Europe et les Etats Unis devaient mettre en garde le monde entier contre la politique pernicieuse du protectionnisme. Comme de coutume le pourquoi n’est pas évoqué. A quoi bon perdre du temps, c’est tellement évident. Le "nous" sous-entend que Sarkozy et Barroso approuvent sans réserve.
Brown, Sarkozy et Barroso considèrent donc que les portes de l’Europe sont encore trop hermétiques ! Etonnant car lorsque l’union Européenne exporte 100 en Chine, elle importe 300 de ce même pays. Etonnant toujours quand on sait que le déficit commercial de la France devrait atteindre 55 milliards en 2008, plus 8 milliards par rapport à 2007. Etonnant encore car Sarkozy, le 4 décembre, nous expliquait qu’il avait renoncé à la relance par la consommation (coup de pouce aux salariés) qui conduirait inéluctablement à favoriser l’industrie chinoise et donc la hausse de nos importations. Sarkozy ferait-il du protectionnisme sans le savoir ? Serait-il capable de dire tout et son contraire selon son auditoire ?
D’après nos thuriféraires du libre marché sans frontières et sans contraintes, malgré le désastre annoncé, il faut donc en remettre une couche. Cet aveuglement, cet acharnement dogmatique sont tout simplement hallucinants. Comment peut-on encore défendre sans réserve cette idéologie stupide et criminelle ? Les fondations pourries de la maison menacent à tout moment de s’effondrer mais ils recommandent de construire encore un étage avec les mêmes matériaux frelatés ! Car le libre échange, dont la mise en concurrence à l’échelle mondiale de tous les salariés, est bien le responsable depuis 30 ans de la destruction de notre tissu industriel ; les turpitudes de la finance de l’effondrement de l’économie !
Jean-Luc Gréau, économiste et ancien expert du Medef, déclarait en Juillet 2007 : "Dans nos relations avec la Chine nous ne profitons pas des supposés bénéfices du libre échange. C’est pour cela que le retour d’un nouveau protectionnisme est inéluctable. Le vrai risque c’est d’attendre trop longtemps et que les emplois industriels en Europe aient totalement disparu."
Son analyse rejoint celle de Maurice Allais, prix Nobel d’économie qui dans son livre "La Mondialisation" paru en 1999, avertissait : "La libération des échanges n’est possible, n’est avantageuse, n’est souhaitable que dans le cadre d’ensemble régionaux économiquement et politiquement associés, groupant des pays de développement économique comparable, chaque association se protégeant raisonnablement vis-à-vis des autres."
Il faudrait en effet, pour que l’Europe puisse concourir à armes égales, rééquilibrer ses échanges et ainsi créer de vrais emplois, une augmentation très substantielle des coûts de production chinois. Or Jean-Luc Gréau estime cette perspective peu crédible : "Les écarts salariaux sont trop importants et la Chine comme l’Inde disposent d’une immense armée de réserve de main-d’oeuvre qui leur permet de maintenir une pression constante sur les salaires. D’ici à ce que cet écart soit comblé l’Union Européenne sera devenue un désert industriel."
Devrons-nous donc nous aligner sur les salaires et avantages sociaux (inexistants) des chinois pour survivre au processus et participer à la grande compétition mondiale ? Le renouveau industriel et le plein emploi en contrepartie de salaires de misère ? Serons-nous tous des "mingong", ces travailleurs chinois migrants, journaliers, sans contrat, taillables et corvéables à merci ? Nous serons alors entrés dans le temps de l’après démocratie. "Le problème fondamental de la démocratie c’est que la classe politique refuse de mettre en question le libre échange ce qui mène à la baisse des revenus, à la montée des inégalités, bref à une baisse de niveau de vie pour le plus grand nombre...La démocratie est menacée par le choix des élites en faveur du libre échange." Emmanuel Todd.
Si cela s’accomplit nous pourrons toujours méditer sur la dédicace de Maurice Allais (page de garde de la Mondialisation) : "Ce livre est dédié aux innombrables victimes dans le monde entier de l’idéologie libre échangiste mondialiste, idéologie aussi funeste qu’erronée et à tous ceux que n’aveugle pas quelque passion partisane." Le mirage de Gordon ou l’oraison funèbre.
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