Le protectionnisme d’abord, le nationalisme ensuite
Dans le monde capitaliste, le progrès est synonyme d’innovation technologique, et de concurrence « libre et non faussée ». Les monopoles sont en théorie interdits, car ils remettent en cause le bénéfice du progrès, qui doit selon une définition plus vaste de cette acception servir au bien-être de tous les hommes. A travers la concurrence les prix doivent inévitablement baisser, pour permettre au plus grand nombre de profiter des bienfaits que nous offre l’innovation technologique.
Si la puissance des nations riches d’aujourd’hui s’est construite en grande majorité grâce à ces innovations, elle n’a pourtant été rendue possible que grâce au protectionnisme, censé défendre l’économie, et l’indépendance de ces nations (qui en réalité n’ont fait que protéger que leurs propres intérêts). Mais le protectionnisme a été remis en cause après la deuxième guerre mondiale, puis dévalorisé au cours des décennies suivantes, pour faire place à l’idée de la mondialisation, de la dérèglementation, du libre-échange. C’est ce qu’on appelle le « néo-libéralisme ».
Bien entendu, ce libéralisme proclamé n’est jamais allé jusqu’au bout, et le protectionnisme n’a jamais totalement disparu : même si l’entente de certaines entreprises par rapport à leurs relations parfois incestueuses est théoriquement condamnable, ces liens pour fausser la concurrence existent toujours. Comme existent toujours la dépose de brevets (qui ne sont rien de moins que l’autorisation d’un monopole pendant un certain nombre d’années), ou l’incompatibilité entre les produits des différentes marques, qui nuisent évidemment à la possibilité pour les peuples de bénéficier, au moins dans un premier temps, des bienfaits de ces innovations.
Mais avec la crise, qui n’est en définitive que la conséquence directe de la mondialisation (on va chercher ailleurs la main d’oeuvre moins chère, les lois les moins contraignantes au niveau du droit du travail ou des normes écologiques-en mettant en péril l’économie des nations dont sont issues les entreprises qui, auparavant, faisaient tourner leur propre machine économique), les gouvernements se sont aperçus que non seulement les impôts ne revenaient plus dans le giron national (paradis fiscaux, installation en pays étrangers), mais qu’en plus cet état de fait conduisait à terme à développer l’économie des autres pays dits « émergents », donc au détriment des « vieilles nations ». L’innovation technologique, par l’intermédiaire de contrats passés entre les Etats accueillant les entreprises innovantes (transferts de technologie) ou les « cerveaux », risquait également de leur échapper, et avec elle toute possibilité de conserver l’avance qu’ils avaient conquis de longue date sur le dos des pays les plus faibles.
Face à ce danger, on assiste désormais au retour du protectionnisme, comme l’a prouvé récemment l’affaire de l’appel d’offre de l’armée américaine sur les avions-ravitailleurs. Car pour être à peu près cohérents dans la logique libérale, les brevets ne tiennent qu’un temps, et les monopoles finissent par disparaître, comme on le voit avec la venue sur le marché des médicaments génériques qui, une fois tombés dans le domaine public, réduit considérablement les bénéfices de certaines entreprises toujours innovantes certes, mais pas forcément sur le territoire des dominants de l’économie.
Pour ne pas laisser leur pays dépérir à l’avantage de leurs ennemis économiques, il faut donc pour les pays puissants faire revenir à tout prix les capitaux sur leur territoire, et promettre monts et merveilles aux grands patrons (baisse des droits du travail, des cotisations et autres taxes, des salaires), afin de faire revenir l’innovation et l’emploi à l’intérieur de leurs frontières.
Comme l’argent est le nerf de la guerre, et que les grandes puissances d’hier ne possèdent plus que leur potentiel technologique (avec l’abandon des colonies et la « tertiarisation de l’emploi », les matières premières sont désormais importées) pour conserver leur pouvoir, il faut agir assez vite. La guerre en Irak, comme celle d’Afghanistan, sont bien une conséquence de la peur des pays riches de perdre ce pouvoir, et c’est évidemment pour cette raison qu’ils ont repris la colonisation de force, afin de s’emparer, et de transporter ces matières premières pour leur propre compte. Et de les défendre avec les armes s’il le faut.
Car le combat est féroce : face à des géants comme la Chine, l’Inde où le Brésil, il faut protéger son pré-carré, et ce malgré toutes les bonnes volontés fraternelles affichées : les Etats sont en cela comme les individus : à l’intérieur du système capitaliste, si ce n’est pas l’un qui prend la place, un autre la prendra.
Lorsque dans l’Histoire, de tels retournements de situation se sont produits, on a chaque fois assisté aux sourires de façade entre ennemis, aux embrassades officielles entre partenaires, et en sous-main à de secrets traités d’alliance permettant de s’assurer une force plus importante en cas de problème avec « un concurrent ».
On ne parle plus alors de protectionnisme, mais de nationalisme. Et face à la crise qui ne fait que s’amplifier par les mesures protectionnistes qui ne font qu’amplifier les tensions entre les nations, les mesures prises visent à rejeter ce qui coûte à la nation, et protéger ce qui lui rapporte. Le traité ACTA, en préparation discrète, semble être un bon exemple de cette bataille qui se conduit pour protéger les intérêts des pays puissants se sentant menacés. En prétextant la défense des droits d’auteurs, les brevets, ces nations s’arrogent le monopole quant à certaines innovations technologiques capables d’être stratégiques (économiquement, mais aussi militairement), tout en s’autorisant le contrôle et la surveillance, à ce titre, de toutes les communications possibles, qui pourraient vite être redéfinies en « espionnage », car risque provoquer une défaillance de ce protectionnisme.
L’usage d’internet, qui a profondément modifié les relations entre les peuples, a également modifié les relations entre Etats. Car à partir du moment où un Etat se renferme sur lui-même, et qu’il s’inscrit dans le nationalisme, l’ouverture sur les autres est un danger pour lui. Il n’est pas innocent que les signaux concernant la liberté sur internet virent peu à peu au rouge ; c’est que la course est désormais lancée, et il est fort possible que d’ici à peu certains masques tombent, et qu’on nous ressorte les vieux discours du genre « celui qui n’est pas avec nous est contre nous ».
Le pire dans tout cela, c’est que nous savons très bien, tous, où cela conduit, comme il en a toujours été : le nationalisme d’abord, la guerre ensuite…
Caleb Irri
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