Le temps de la croissance économique est-il terminé ?
Partout dans le monde, l’économie ralentit voire s’approche de la récession. Résultat de « la » crise financière ou début d’une nouvelle ère ?
Bonjour et bonne rentrée à tous. Après ma note du 26 juin, "La récession menace de nombreux pays", les récentes publications de croissance du PIB du 2e trimestre sont l’occasion de faire le point sur la conjoncture, et d’en proposer une interprétation.
La récession menace plus que jamais de nombreux pays ! Parmi les pays proches de nous, les premières nations "techniquement" en récession (deux trimestres consécutifs de contraction du PIB par rapport au trimestre précédent hors variations saisonnières) sont le Danemark (depuis le 4e trimestre 2007) et l’Estonie (depuis le 1er trimestre 2008). Ils pourraient être immédiatement rejoints par d’autres pays dont le PIB s’est réduit au 1er trimestre et dont on attend les chiffres du second : l’Irlande, le Portugal et l’Islande.
Au même titre que la zone euro prise dans son ensemble, de nombreux pays ont vu leur PIB se contracter sur le 2e trimestre : Allemagne, France, Italie, Japon... Cependant, comme les chiffres de l’Allemagne le montrent (-0,6 % après +1,3 %), les chiffres trimestriels peuvent être très volatils (en raison de la météo dans cet exemple) et c’est pour cela qu’il faut attendre deux trimestres consécutifs avant de parler de récession. Au 3e trimestre, ces pays font face à une baisse de la consommation des ménages, mais peut-être le rebond s’amorce-t-il avec la récente (mais légère) baisse du prix du pétrole et de l’euro ? En tout cas, la croissance sera voisine de zéro. Pendant ce temps, les Etats-Unis semblent avoir retrouvé le chemin d’une certaine croissance - temporairement ? - avec +0,2 % puis +0,5 % cette année.
Au-delà de la liste des pays en dessous de zéro, on constate que les pays développés dans leur ensemble ne connaissent plus de forte croissance. Certains sont juste en dessous de zéro, d’autres comme le Royaume-Uni et l’Espagne sont à peine au-dessus (respectivement 0,0 % et +0,2 % au 2e trimestre, alors que les effets de leur profonde crise immobilière commencent juste à se matérialiser). Sur l’ensemble de l’année 2008, la croissance de la zone euro, mais aussi du Japon et des Etats-Unis devrait être comprise entre 1 % à 1,5 % à peine, et ce essentiellement grâce à l’acquis de croissance réalisé en 2007. Comme la croissance trimestre après trimestre est faible cette année, l’acquis de croissance pour 2009 sera dérisoire. On devrait alors avoir environ 1 % de croissance, peut-être 2 % aux Etats-Unis. Mais après ? La croissance retrouvera-t-elle les moteurs connus ces quinze dernières années ?
Fondamentalement, à moyen et long terme, la croissance du PIB (qui correspond à l’ensemble des biens et services produits) se décompose en deux facteurs : croissance de la productivité et croissance de la population (population active, si on veut être précis, mais sur une longue période c’est à peu près équivalent). La croissance de la population est assez aisée à suivre et à prévoir : elle est de l’ordre d’1 % par an aux Etats-Unis et de 0,5 % en France, par exemple (tableau plus complet ci-dessous). Or, vous le savez sûrement, partout la croissance de la population ralentit (elle sera négative à partir de 2050 environ). Cela fera déjà un moteur moins puissant pour la croissance mondiale future.
Si vous soustrayez aux taux de croissance du PIB réalisés la croissance de la population, vous obtenez la croissance du PIB/habitant, conséquence directe de (et donc sur longue période assimilable à) la croissance de la productivité. Le tableau ci-dessous (s’il ne s’affiche pas bien, consultez-le sur mon blog : www.nonaladette.fr) présente la croissance moyenne entre 1994 et 2007, décomposée entre croissance de la population et croissance de la productivité, par grande zone du monde. Pour plus de développements sur la productivité et son rôle dans l’économie, lisez Jean Fourastié (Les Trente Glorieuses et/ou Productivité et richesse des nations).
Source : Fonds monétaire international, World Economic Outlook 2008 : choisissez la donnée voulue au-dessus du graphe "select data/subject" et cliquez sur "export" (en bas à gauche).
La période sélectionnée (1994-2007) correspond à une croissance extraordinaire de l’économie mondiale : 3,8 % en moyenne pendant quatorze ans, c’est très rare (peut-être unique) dans l’histoire de notre planète. Cet énorme progrès de la productivité des hommes (2,4 % par an) résulte de deux grands phénomènes simultanés : la mondialisation et une avancée technologique majeure.
La mondialisation augmente la productivité des pays en développement. En effet, si les pays dits développés sont plus riches, c’est parce que la productivité de leurs entreprises est supérieure. Or, la mondialisation favorise l’implantation des entreprises les plus productives du monde dans les pays en développement, augmentant alors la productivité de ces derniers. La mondialisation favorise ainsi une tendance à l’alignement des niveaux de vie par rattrapage des plus pauvres sur les plus riches. Par conséquent, au fur et à mesure de leur forte croissance, le potentiel de rattrapage de ces pays se réduit.
L’innovation augmente la productivité de tous les pays quand de nouvelles technologies permettent de produire plus, plus rapidement et plus ce que veulent les consommateurs. En ce sens, le développement simultané d’internet et du téléphone mobile depuis quinze ans - en plus d’avoir permis l’apparition de nouvelles entreprises spécialisées - est un énorme progrès pour toutes les entreprises qui peuvent communiquer mieux et plus rapidement en toutes circonstances. Même si le taux de pénétration à l’échelle mondiale n’est "que" de 50 % de la population pour le téléphone portable et d’environ 25 % pour internet, une immense majorité des entreprises de la planète sont déjà équipées des deux. Autrement dit, le réservoir de productivité supplémentaire lié à ces nouvelles technologies a été en grande partie déjà utilisé. Et à ma connaissance, aucune nouvelle révolution technologique de cette envergure ne se profile à un horizon proche.
Cette période a aussi été marquée par une forte hausse de l’endettement des ménages, grâce à laquelle ils ont pu consommer plus et construire plus de maisons que leurs revenus ne le permettaient. Ainsi, la croissance a été gonflée par un facteur non durable qui, au mieux, sera neutre désormais si l’endettement privé se stabilise, au pire sera négatif si les banques prêtent moins qu’avant.
Un par un, les grands moteurs de la croissance passée sont en train de s’essouffler progressivement. Le seul moteur qui restera en toute période à la hausse de la productivité est l’incroyable capacité des hommes de progresser, dans les sciences et techniques notamment.
Mais ils devront faire face à un facteur nouveau clairement négatif, conséquence directe de la mondialisation et de la croissance passée : on atteint les limites, en termes de quantité, de ce que notre planète peut nous offrir (exemple type le pétrole). Si on veut augmenter la production de matières premières (ou même maintenir son niveau actuel), il faut désormais aller dans des zones plus difficiles d’accès et donc l’extraction devient plus coûteuse : la raréfaction des ressources naturelles est un facteur de décroissance de la productivité. Autrement dit, cela favorise, si cela se généralise, une baisse du PIB.
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