Les enjeux du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite
Faut-il accepter la logique purement comptable qui préside au choix de ne pas remplacer un grand nombre des fonctionnaires qui entrent en retraite ?
Historiquement, le sujet a été lancé en 1997 par l’ Inspecteur général J. Choussat. Il estimait à 10% des effectifs totaux (500 000) la proportion de fonctionnaires surnuméraires. Les Gouvernements Raffarin et Villepin avaient repris ce mot d’ordre avec une timidité que ne connaît guère l’actuel Président qui, à la faveur de la crise, annonce sa volonté de restreindre encore plus le taux de remplacement des fonctionnaires partis en retraite afin, dit-il, que les français puissent ”sortir plus fort de la crise“.
La France se met au diapason international. Depuis 2006, l’OCDE conseille aux autorités françaises d’utiliser l’occasion “historique“ que représente les nombreux départ à la retraite pour réduire franchement le nombre de fonctionnaires (au cours des années soixante et soixante-dix, les emplois publics ont progressé à un rythme annuel moyen 3% par an ). L’OCDE, qui prenait acte de la décentralisation et de la montée des dépenses de santé, recommandait de compenser l’augmentation du nombre de fonctionnaires des collectivités locales et de l’hopital public par diminution significative du nombre de fonctionnaires centraux. Or les effectifs ont continué à croître au même rythme que l’emploi privé (1% par an depuis 1980).
Comment aller plus loin ? En son temps, Mr Choussat recommandait de ne remplacer que trois départs à la retraite sur quatre et cela pendant 10 ans. Monsieur Sarkozy, qui a tant besoin de briller auprès de son électorat, a décidé d’abaisser ce taux à 50% . Au rythme d’environ 30 000 emplois supprimés chaque année, et dans l’éventualité d’une réelection en 2012, les effectifs de fonctionnaires pourraient chuter dans des proportions comparables à celles que l’on observa au Royaume-Uni, durant la période Thatcher (avant que Tony Blair ne soit obligé de recruter des dizaines de milliers de fonctionnaires pour faire face aux carences flagrantes du système de santé ou d’éducation).
Cette réforme pose, nous semble-t-il, trois problèmes.
Tout d’abord problème d’opportunité. On peut se demander si la période de crise que nous connaissons n’exige pas, au minimum, un gel de ce plan. Alors que l’administration Obama recrute 60 000 fonctionnaires afin d’amortir les effets de la récession est-il pertinent d’en détruire 60 000 sur deux ans ? L’intérêt économique qu’il y a à se montrer plus royaliste que le roi n’est pas évident.
La crédibilité de cette réforme pourrait se heurter également à un problème de forme. Les Gouvernements Raffarin et Villepin avaient cherché à imposer brutalement une règle forfaitaire. L’irréalisme des objectifs officiels ( les besoins de la population sont restés constants) a entraîné l’embauche de fonctionnaires précaires qui sont désormais, en proportion, plus nombreux que dans le privé.
Il existe enfin un problème de valeur. L’obsession du Gouvernement est que des fonctionnaires en moindre nombre développent une productivité identique à celle de l’industrie (ce qui correspond des gains d’efficacité du travail de 4 à 5% par an). En contrepartie, il est prévu d’affecter la moitié des économies budgétaires sous la forme de hausse de salaires. Tout ceci semble affaire de technique et de bon sens, nous disent nos gouvernants. Et c’est bien cela le problème.
Jusqu’ici la fonction publique a représenté une sorte d’image idéale de la condition salariale. Elle correspondait à notre imaginaire collectif, tel qu’il a été faconné par le mythe républicain. C’est ce qui permettait aux français d’accepter de payer des services publics riches en main d’oeuvre en échange de la cohésion sociale qu’il s procurent et d’une modération relative des salaires des fonctionnaires. Ces derniers, un peu à l’image de beaucoup d’artistes, compensaient leur manque à gagner monétaire par une rémunération symbolique : celle qui résulte de la nature collective de leur travail consacré au service de tous.
C’est la survie de l’ exceptionnalité du travail fonctionnaire qui est en jeu. Trois évolutions la menacent :
Le contexte économique et sociale : une population française paupérisée ou menacée de l’être, qui doute des vertus protectrices de l’Etat et supporte de moins en moins les prélèvements obligatoires.
Une jalousie , analysée par Danièle Linhart dans son dernier ouvrage “Travailler seuls ?” que l’on peut résumer ainsi : on assiste à rejet parfois violent des fonctionnaires de la part de salariés du privé dont le travail s’individualise de plus en plus au point qu’il les coupe de la société et rend insupportable à leurs yeux le “privilège” dont bénéficie encore, et se targuent, les fonctionnaires, qui oeuvrent pour la collectivité.
Enfin, le manque total d’imagination du Gouvernement pour lequel productivité rime forcément avec compression du personnel, incapable qu’il est d’envisager d’autres pistes plus innovantes axées sur la qualité du service rendu à travers par exemple son individualisation.
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