• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Actualités > Economie > Les réseaux de l’économie

Les réseaux de l’économie

Peut-on raisonnablement parler de cartographie ou de géopolitique du pouvoir économique ? L’analyse des réseaux apporte une réponse surprenante et... visuelle !

La network analysis appartient à la vaste sphère des disciplines statistiques et se fonde sur la théorie des graphes. En amont de ses applications pratiques en matière, par exemple, d’optimisation de réseaux de transport, elle permet de faire visuellement ressortir les structures mêmes des réseaux (qu’ils soient "virtuels", comme l’Internet, ou réels, comme les réseaux de copains).

En 2004-2005, et plus récemment à l’occasion d’une mise à jour qui a confirmé le bienfondé des précédentes analyses, j’ai appliqué cette méthodologie à un réseau d’un type assez... particulier : les entreprises cotées au premier marché de la Bourse Euronext Bruxelles.

Deux questions viennent d’emblée à l’esprit : pourquoi ces entreprises-là, et pas d’autres ? Sur quels fondements peut-on établir l’hypothèse selon laquelle des entreprises appartiennent à un réseau, ou en forment un ?

Les réponses, en vérité, sont bien plus simples qu’il n’y paraît, à condition de commencer par discuter la seconde, qui constitue le coeur de toute la recherche.

Ces dix ou quinze dernières années, le courant dominant de la théorie de la corporate governance a attribué une importance déterminante à l’actionnaire, par le biais de l’affirmation selon laquelle il doit être, pour plusieurs raisons qu’il serait trop long d’exposer ici[1], le grand bénéficiaire des profits générés par l’entreprise. C’est ainsi que s’est imposé le primat de la shareholder value sur les autres critères d’évaluation des entreprises. Une entreprise, dit-on depuis une grosse dizaine d’années, a du succès si elle crée de la valeur pour ses actionnaires[2] Or comme, ajoute-t-on, le conseil d’administration représente les actionnaires, c’est lui, en dernier ressort, qui détient les leviers du pouvoir sur les processus de création de valeur. A ce niveau, un simple survol de la composition des conseils d’administration montre que certaines personnes siègent dans plusieurs entreprises, et participent donc de manière transversale aux mécanismes de prise de décisions stratégiques. Leur rôle dans le contrôle de la création de la valeur dépasse donc les limites d’une seule entreprise, et leur confère de la sorte une centralité non négligeable.

L’hypothèse de ma recherche consiste donc à supposer que l’appartenance de certains administrateurs à plusieurs conseils d’administration facilite les contacts entre ces entreprises. En d’autres termes, nouer des relations de haut niveau, ou des liens entre dirigeants, serait d’autant plus aisé que ces entreprises partagent un certain nombre d’administrateurs communs.

Quant au choix de faire porter l’analyse sur les entreprises cotées au premier marché de la Bourse Euronext Bruxelles, il découle de simples considérations pratiques : moins de 150 entreprises composent ce marché, ce qui autorise une étude exhaustive sans devoir mobiliser une débauche de moyens et de ressources.

Le rapport de recherche, intitulé "Les réseaux de l’économie belge. Contribution à une géopolitique des entreprises cotées au premier marché de la Bourse Euronext Brussels", et [gratuitement téléchargeable] établit les conclusions suivantes :

  • Sur les 135 entreprises listées au Belfirst examinées par cette recherche, 108 font partie de réseaux complexes.
  • Parmi ces 108 sociétés reliées, on parvient à dégager une structuration en 3 niveaux :
    • Un réseau central de 16 entreprises concentre de nombreux liens ; il joue le rôle de connecteur au sein de l’ensemble des sociétés cotées
    • Trois principaux sous-réseaux de différentes tailles illustrent l’existence de clans (clusters) fondés sur les liens privilégiés entres certaines sociétés, à l’exclusion d’autres
    • Un vaste macro-groupe de 70 unités regroupe toutes les entreprises des sous-réseaux précédents, ainsi que les autres sociétés avec lesquelles elles partagent des administrateurs.
  • Au sein de l’ensemble des 135 sociétés listées au Belfirst, 19 occupent une place déterminante dans la circulation de l’information. Elles jouent un rôle crucial dans la "géopolitique" de l’économie belge.



[1] On verra à ce sujet les deux premiers chapitres de l’ouvrage de Michel Aglietta et Antoine Reberioux, Dérives du capitalisme financier, Paris : Albin Michel, 2004

[2] On notera avec intérêt que cette assertion, qui semble aux gestionnaires, aux consultants et aux analystes financiers aujourd’hui une évidence intemporelle, n’a rien d’immuable ni d’évident. Une approche historique montre qu’il n’y a pas si longtemps, les critères que les gestionnaires, les consultants et les analystes financiers utilisaient pour évaluer le succès des entreprises étaient tout autres. A titre d’exemple, on se souviendra que dans les années 1950, le chiffre d’affaire constituait l’indicateur principal de succès économique, alors que les années 1970 ont vu s’affirmer le cash flow généré comme mesure ultime.

Documents joints à cet article

Les réseaux de l'économie

Moyenne des avis sur cet article :  5/5   (4 votes)




Réagissez à l'article

2 réactions à cet article    


  • alex (---.---.176.159) 18 janvier 2006 14:40

    l’idée est pas mal, mais je regrette quelques infos manquent du moins selon mes criteres.

    une societe de 20 adminstrateurs a plus de chances d’avoir de nombreux liens qu’une entreprises a 10 administrateurs. ce facteur manque, enfin je pense. deuximement, en admettant que l’administrateur concentre du pouvoir, plus il y a d’administrateur moins celui-ci possede de pouvoir. 15 personnes inutiles plein de fois ne font toujours pas quelque chose d’utile.


    • Sylvain Reboul (---.---.47.35) 21 janvier 2006 21:10

      Article éclairant mais l’interprétation est un peu optimiste car il manque des infos importantes qui permettraient de mieux cerner les réelles relations de pouvoirs par delà les apparences juridiques.

      Les membres des conseils d’administration sont-ils toujours les représentants des actionnaires, si oui lesquels, particuliers, institutionnels, actionaires volatils ou visant une stratégie durable ? Si non comment sont nommés les administrateurs, quel rôle dans cette nomination jouent la cooptation, ainsi que la techno-structure de l’entreprise (en particulier dans sa version française qui est incarnée le président-directeur général, souvent issu de la haute fonction publique) ?

      Enfin la question aussi est de savoir si l’imbrication des conseils d’administration croisés ne permet pas des ententes du type : « je te soutiens chez toi et tu fais de même chez moi » chacun tenant l’autre par la barbichette, surtout si le fait d’être administrateur et de participer à X conseils d’administration (le plus grand nombre possible) est source de revenus et surtout de pouvoir d’influence, voire de chantage facilitant les ententes anti-concurrentielles et anti-contrôle.

      Dès lors qu’il y a actionnaires et actionnaires, administrateurs réels et fictifs, etc..., la question des jeux politiques de pouvoir va bien au delà des règles juridiques de propriété, dont le respect peut paraître souvent plus « cosmétique » que réel.

      Très bien, vous avez encore du pain sur la planche

      Les relations de pouvoir et les jeux du désir

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès