Les riches ne créent pas la richesse
A force de nous asséner que les riches nous sont indispensables, on avait fini par le croire. Il faut dire que les médias appartiennent tous peu ou prou à ceux qui nous racontent de belles histoires ; à ce titre on remarquera que les classes les plus fortunées et en particulier les cadres dirigeants, qui sont payés par les premiers, cette faction représentant moins de 5 % de la population, occupent environ 80% du temps d’antenne à la radio comme à la télévision, ce qui leur permet de chanter une douce mélodie avec ces fameuses ritournelles sur la protection des plus riches qui seraient aussi indispensables à la prospérité de tous que l’eau le serait à la survie de la forêt, ainsi soit-il.
Distribuez la fortune de Bernard Arnault, 42 milliards d’€ aux 10 millions de personnes les plus pauvres, en lui laissant tout de même de quoi vivre les vingt ans qui lui restent ( il est agé de 63 ans), c’est à dire 1 milliards d’euros, soit 50 millions par an, soit 137 000 € à dépenser par jour, ça laisse de quoi se payer quotidiennement une baguette de pain avec une tranche de jambon de Parme, de payer sa maison de retraite puis de planquer le reste aux Bermudes ou à Zermatt, pour mettre sa descendance à l’abri des intempéries.
Il nous reste donc à distribuer 41 milliards d’€ à 10 millions de personnes, une paille, soit 4 100 euros par personne, ce qui en moyenne représente 5 mois de revenus pour cette tranche de population. Que croyez-vous que ferons ces dix millions d’heureux ? Ils dépenseront illico ce pécule qui sera automatiquement redistribué dans l’économie réelle pas la virtuelle de la City. Evidemment cette démonstration ne vaut qu’à la marge, on comprend bien que le patrimoine ici en cause ne pourrait se monnayer de la sorte, en effet il est en grande partie constitué d’actions du groupe LVMH qui ainsi distribuées permettraient simplement aux nouveaux bénéficiaires de recevoir une rente annuelle. Il n’en demeure pas moins indiscutable que ce partage apporterait une énorme bouffée d’oxygène à une société sclérosée par l’accumulation des richesses entre quelques poignées de rentiers.
Quant à dire qu’Arnault est un grand manager, il n’est que de se pencher 5 minutes sur la façon dont il a construit son empire pour comprendre qu’il a surtout fait montre d’opportunisme en ayant démarré en reprenant la boite de construction de son père. Ce qui n’est pas le meilleur moyen de partir de rien, on en conviendra. Sans oublier d’évoquer la chance qui se présenta à lui de pouvoir profiter du conflit existant en son temps entre les familles Louis Vuitton et Moêt Hennessy pour reprendre aux forceps un bijou commercial à peu de frais.De même, comment avaler sans s’étrangler la fable de la formidable ascension du groupe LVMH qui serait due uniquement à l’intelligence managériale de son chef sans parler des milliers de travailleurs aux doigts d’or du groupe du luxe français, eux qui sont sa véritable pépite ?
Voici comment Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, explique le rapide accaparement des richesses par la meute des oligarchies financières, depuis une trentaine d’années :
Quel est, selon vous, le prix économique de l’inégalité ?
Il faut comprendre d’abord que la richesse de ceux que j’appelle les 1% est souvent la conséquence de distorsions »économiques, comme les monopoles, la puissance des banques ou la capacité des dirigeants à profiter des faiblesses de la loi pour augmenter leurs propres revenus… Autant de choses qui rendent l’économie moins efficace, parce qu’elles créent des inégalités fondamentales : l’argent est capté par les plus riches, au détriment des plus modestes. Comme ceux qui sont en haut de l’échelle utilisent une moindre part de leurs revenus que ceux qui sont en bas, cela signifie une demande plus faible, et donc, au niveau macroéconomique, une économie plus faible.
Cette situation est-elle due, d’après vous, à un défaut de l’Etat, qui ne fait pas ce qu’il est censé faire ?
Oui. Pourquoi l’inégalité est-elle plus forte aux Etats-Unis qu’en Scandinavie, alors qu’on est dans le même système d’économie de marché ? La grande question, c’est la façon dont on façonne les marchés à travers l’action politique. Surtout que l’inégalité économique entraîne l’inégalité politique. L’argent parle plus fort : un dollar, une voix. C’est particulièrement vrai aux Etats-Unis, où les campagnes électorales sont financées par des contributeurs privés. »
Autant dire que les riches profitent d’un système à leur botte, constitué de lobbies, pour accumuler et bafouer les règles les plus élémentaires de la solidarité.
Alors si l’on ne peut simplement imaginer de spolier les actionnaires, ne peut-on imaginer des règles simples de partage des richesses faciles à mettre en œuvre ? De Gaulle y avait songé, De Funès en avait effleuré l’idée.
Rappelons-nous de la fameuse règle des trois tiers annoncée par le précédent menteur, feu De Funès et bien vite enterrée : les bénéfices après impôts des entreprises seraient à partager de la manière suivante, un tiers seraient dévolus aux investissements nécessaires à la pérennité de la société, un tiers seraient versés aux actionnaires, un tiers aux salariés. En effet les salariés ne sont-ils pas actionnaires au titre de leur force de travail ? Ne sont-ils pas tout autant que l’actionnaire impliqués dans la survie de leur outil de travail ? Une telle redistribution redonnerait une formidable bouffée d’oxygène à notre système économique sclérosé par les inégalités.
Et il est au moins sûr que ces millions de nouveaux capitalistes virtuels ne seraient pas tentés par une fuite en pays de Cocagne.
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