Les traders sont-ils trop bien payés ?
Lors de son intervention radiotélévisée, jeudi 5 février, Nicolas Sarkozy a dénoncé "le système de rémunération de ceux qu’on appelle les traders, ces jeunes gens qui jouaient à spéculer […] Ça a conduit à la catastrophe que l’on sait, a ajouté le chef de l’Etat. C’est ça qu’il faut interdire !". Le gouvernement discute d’une loi dans ce sens avec les banques françaises. Est-ce une bonne ou une mauvaise idée ?
Le Monde révèle, dans son édition du 7 janvier, les lignes principales d’un accord entre les grands établissements bancaires, la direction du Trésor, l’Autorité des marchés financiers (AMF) et la Commission bancaire, destinée à limiter les bonus des traders. L’analyse personnelle qui suit n’est pas définitive, car cet accord n’a pas encore été ratifié par le ministère des finances ; il souhaite juste apporter un peu de lumière sur un sujet souvent ignoré.
Les grandes lignes de l’accord sont les suivantes : augmenter la part de salaire fixe des traders pour éviter qu’ils prennent trop de risques, complètement lier leurs bonus aux performances des produits boursiers qu’ils achètent, différer le paiement de leurs bonus pour "prendre en compte les résultats complets des opérations initiées durant un exercice donné", et payer ces bonus en partie par des stocks-options.
La volonté du président et de ses conseillers est courageuse. Ils s’engagent en terra incognita. Cela montre qu’après de nombreuses années d’ignorance, les politiques s’intéressent de nouveau à un pan important de l’économie mondiale. Le président et son gouvernement affichent leur volontarisme, et il faut louer leur courage ; ils essayent de traduire en termes concrets la « moralisation » du capitalisme. Le président prend le risque de s’exposer à de possibles contradictions dans son discours économique, ainsi que de se mettre à dos une partie de son électorat qui s’est enrichie par l’investissement dans des hedge funds, ainsi que ceux qui croient en une vision libérale de l’économie.
Cet accord montre la volonté importante du gouvernement de « moraliser » le capitalisme, mais je doute de leur efficacité. Quelles banques et pays sont concernés par ce nouvel accord ? Si les banques françaises s’engagent à faire appliquer ce nouvel accord dans toutes leurs branches au niveau mondial, les banques françaises risquent de perdre en compétitivité et leurs profits de baisser... Si ceci ne s’applique qu’en France, il risque d’y avoir un départ massif des traders de La Défense vers Londres, New York, ou –plus proche- Genève. Dans les deux cas, cela détruirait des emplois en France et baisserait les impôts que ces entreprises paient à l’état, et risque d’isoler la France et les sociétés françaises dans le monde de la finance internationale.
Les traders ne se sentent pas responsables de la crise bancaire actuelle. Ils n’ont jamais incité des particuliers à s’endetter et à prendre des prêts à taux élevés pour financer l’achat de leurs maisons. Ils n’ont pas participé à la revente de ces prêts entre banques et établissements financiers. Ils ne sentent pas non plus responsables des business models inefficaces de l’automobile ou de la presse.
Si on les accuse de spéculer et causer la crise économique actuelle, c’est en partie car peu de gens connaissent les réalités de leur métier. Les traders, en banque, ont un rôle d’intermédiaire dans un système complexe. Par exemple, sur les dérivées actions, les traders travaillent en coopération avec les équipes de structuration et de vente. Les équipes de vente sont chargées de vendre les produits financiers créés par les équipes de structuration, comme le « rainbow ». Ce produit dérivé financier est assez classique. Il est vendu par les banques à des hedge fund et des fonds de pensions. Prenez trois indices (disons le SPX- le S&P -, le NDQ – le Nasdaq- et le DJI – le Dow Jones Index). Prenez une maturité (un an).À maturité, observez lequel des indices a le mieux performé et le moins bien performé. Ensuite, calculez combien aurait rapporté un panier avec 50% du meilleur indice, 30% du deuxième, et 20% du moins bon. Vous récupérez la somme de leurs performances (seulement si elles sont positives). Pour ce contrat, vous devez payer un montant fixe au départ.Dans ce cas, le rôle des traders est de créer un portfolio qui réplique la position du client et de gérer ce qui ne peut pas être répliqué (volatilité des sous-jacents, des taux d’intérêts, de la corrélation entre les trois indices…).
Si on limite leurs bonus par un chiffre précis (1 million de dollars par an), cela risque de créer de nouveaux sentiments d’injustice, car les bénéfices qu’ils ont engendrés reviendront à la banque et aux actionnaires. On le comparerait à une loi qui vise à limiter les salaires des footballeurs professionnels, alors que le sport à la télévision en rapporte encore plus aux sociétés qui diffusent ces matchs.
Complètement lier les bonus des traders aux positions qu’ils prennent me semble être une proposition acceptable en théorie, mais qui se heurte rapidement à la réalité du métier. Dans l’exemple ci-dessus, le trader doit créer un portfolio de réplication de la position du client. Si celui-ci a acheté un produit qui ne performe pas, cela aura un effet direct sur le bonus du trader. Son bonus sera, dans ce cas, fonction des décisions des gérants de hedge funds.
Payer les bonus avec des stock-options semble être une proposition potentiellement dangereuse. D’une part, elle annule les effets des autres mesures. En effet, celles-ci cherchent à lier les bonus aux performances boursières des produits achetés par les traders. Or, ceci rendra le bonus du trader proportionnel au cours en bourse de la banque pour lequel il travaille, donc proportionnel aux bénéfices de la banque dans d’autres secteurs. Cela change le sens de leur bonus. De même, le volume important des stocks-options risque d’augmenter la volatilité sur les cours et forcer les banques à racheter une partie de leurs actions, donc limiter encore plus leur marge de manœuvre.
Pour mettre fin à la spéculation financière, il y a des mesures plus radicales. Fermer les marchés des futures, ou obliger les détenteurs de positions ouvertes de tenir leurs contrats jusqu’à maturité, permettrait de considérablement limiter les spéculations sur les matières premières.
Je souhaite à notre président de trouver des mesures qui permettront de relancer l’économie française, faire baisser nos impôts, et mettre fin aux nombreux régimes privilégiés. J’espère juste qu’il ne se trompe pas de cible en visant les traders. Il risque, s’il persévère trop dans cette direction, de se mettre à dos une partie de la communauté financière. À moins que ce ne soit à nouveau qu’une stratégie de communication…
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