Moralité et capitalisme
Un beau jour je suis tombé sur « Le capitalisme est-il moral ? », livre du philosophe français Compte-Sponville. Paru pour la première fois en 2004, le livre eu un grand succès. Les raisons ? L’auteur tente de répondre à une question qui ne cesse de faire l’actualité :
Faut-il moraliser le capitalisme ? ou plutôt, Peut-on moraliser le capitalisme ?
Je vais essayer de mettre en évidence les 2 courants de pensées qui s’affrontent sur cette question :
- ceux qui pensent qu’il est impossible de changer un tel système
- ceux qui, à l’inverse, croient que cela est possible et nécessaire
De l’impossibilité de changer le capitalisme
Certains économistes et philosophes soutiennent que le capitalisme n’est ni moral, ni immoral, mais tout simplement amoral. André Compte-Sponville distingue 4 ordres dans la vie sociale : l’ordre scientifico-technique, l’ordre juridico-politique, l’ordre moral et l’ordre éthique (l’éthique étant défini par l’amour). Il place le capitalisme dans l’ordre scientifico-technique. Il considère alors le capitalisme, et plus largement l’économie, comme une science, au même rang que la physique et la biologie.
Comment se justifie-t-il ?
Prenons l’exemple du marché du cacao : Si une tempête venait à détruire la moitié des champs de cacao de la Côte d’Ivoire, le marché, donc le prix du cacao, viendrait à chuter gravement. Le marché dépend alors de la science météorologique. C’est par ce sophisme qu’il tend à considérer l’économie comme une science.
L’économie est donc considérée comme une réalité objective, soumise à des lois naturelles : cette manière de penser s’appelle, l’économisme.
Pour prendre ça d’un point de vue plutôt philosophique, on peut se rappeler la petite histoire de Kant sur la relation entre morale et intéressement : un homme se rend chez sa boulangère pour acheter du pain. L’homme paye, la boulangère lui rend la monnaie, et la discussion s’installe :
La boulangère : « Moi, je n’ai jamais arnaqué de clients en 30 ans de métier. J’ai toujours rendu la monnaie exacte à mes clients parce que je trouve cela moral. »
Le client : « Soyez franche : faites-vous ça pour obéir à une quelconque morale, ou parce que vous savez que si vous respectez le client il y aura de grandes chances qu’il revienne ? »
La boulangère : « Euh … si le client revient, cela ne me déplairait pas … »
Le client : « Vous faites cela par pur intérêt pécunier, ce n’est donc pas moral : l’intéressement n’est pas moral. »
Bon dans ce petit dialogue totalement fictif que je viens d’inventer, on voit bien l’absence de morale dans les actes de la boulangère et plus largement dans l’économie en général. On peut rapprocher ce dialogue de la célèbre phrase d’Adam Smith :
Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c’est toujours de leur avantage.
Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776)
Pour finir sur la justification d’un capitalisme amoral, on peut citer l’économiste Friedrich Hayek qui déclarait que seul un comportement individuel peut être considéré comme injuste et immoral. Il estime alors que les actions d’un système social ne peuvent pas être jugées, car c’est un système voulu par personne, qui s’est constitué quasiment de manière naturelle. Cela l’amènera par la suite à considérer la justice sociale comme inutile, puisqu’elle devient juge de ce qui n’est pas jugeable.
Il n’y a pas de critère par lequel nous pourrions découvrir ce qui est “socialement injuste” parce qu’il n’y a pas de sujet par qui pourrait être commise cette injustice
Friedrich Hayek
Pourtant dans la pratique la « main invisible » de Smith a parfois tendance à faire des gestes obscènes. C’est ce qui encourage nombre d’économistes à remettre en question un tel système.
De la possibilité de changer le capitalisme
Les contestataires des idées libérales sont d’accord avec les libéraux sur un point : les sciences et les techniques sont des moyens qui ne peuvent être jugés. Mais, en revanche leurs usages peut l’être.
Prenons un exemple :
Nous sommes dans une usine. Un nouveau procédé technique vient de sortir et permet d’améliorer la productivité (c’est à dire, produire plus en moins de temps). En soit, ce procédé technique n’est pas mauvais, il pourrait permettre au salarié de moins travailler, tout en augmentant son salaire et en réduisant sa pénibilité au travail. Mais le patron peut très bien décider que cette hausse de la productivité rend inutile de nombreux employés : il les licencie. Son action, encouragée par un intérêt personnel qui est la maximisation du profit, pourra alors être jugée et considérée comme juste ou injuste, morale ou immorale.
Ainsi le problème ne serait plus d’ordre scientifique mais d’ordre social, cela résulterait alors d’une pratique humaine. C’est pour cela que Marx dit :
L’économie politique n’est pas la technologie
Karl Marx, Contribution à la critique de l’économie politique (1859)
Autrement dit la production des richesses ne résulte pas d’actions scientifico-techniques mais bien de faits sociaux.
Les économistes qui soutiennent cette cause remettent alors en question la toute puissance de l’économie. En effet, pour eux l’économie n’est pas une réalité absolue et indépendante des hommes mais bien une résultante de leurs activités. On peut donc juger l’économie, et la remettre en question. L’économisme est alors considéré comme une imposture.
Il est donc bien difficile de répondre à la question « Le capitalisme est-il moral ? » en restant neutre. Toutefois on peut comprendre où réside la difficulté de moraliser un tel système.
Si, « capitalisme » et « moral » sont antinomiques, alors un « capitalisme moral » signerait tout simplement la fin du capitalisme.
Sources :
- « Imposture du capitalisme moral » écrit par Yvon Quiniou « Le Monde diplomatique » de Juillet 2010.
- « Le capitalisme est-il moral ? » André Compte-Sponville (sur Amazon.fr)
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