Pas de plan Marshall pour aider les Etats-Unis. Bienvenue dans la guerre froide économique en 2008

Rappelons quelques événements passés : après 1945, alors que l’Europe sortait des épreuves de la guerre et que les Etats-Unis, alors hyper-puissance économique, se proposa d’aider les nations européennes en les irriguant d’aides financières. Le Royaume-Uni et la France en furent les principaux bénéficiaires, alors que des contreparties furent monnayées, certes pas si contraignantes, mais inscrites dans un projet économique transatlantique. Les aides du plan Marshall ont été octroyées pour l’essentiel sous forme de don moyennant un engagement des bénéficiaires à coordonner leurs dépenses de reconstruction, ce qui du reste a favorisé la naissance de la CEE. Par la suite, les Américains ont demandé aux Européens qu’ils achètent leurs produits.
C’est ce qu’on appelle du « good deal ». Du coup, cette
opération a permis une sorte de standardisation des modes de consommation. Mais
le ressort principal, inscrit dans la doctrine Truman, fut d’endiguer une
menace communiste planant sur ces nations européennes prises dans le champ de
mire de Moscou. Et dieu sait si la misère sociale peut conduire les peuples à
épouser des options pas très démocratiques.
Ce rappel historique doit nous servir à comprendre qu’il fut un temps où le marché n’avait pas encore son champ libre et où les Etats avaient un ascendant sur les finances et l’économie, autant que sur les impératifs moraux, pouvant décider de débloquer des fonds de très grande ampleur pour des objectifs d’ordre éthique qui ne doivent pas être sous-estimés sous prétexte que des grandes entreprises ont tiré leur épingle du jeu et ont réalisé des profits substantiels. C’est leur fonction et c’est par elles entre autres que se développe le niveau de vie, avec bien entendu la puissance des travailleurs. Le plan Marshall s’inscrivait d’ailleurs dans le principe du capitalisme fordien. Sauf qu’au lieu d’augmenter les salaires pour que les ouvriers achètent les produits des usines, les Etats-Unis ont donné des fonds aux Européens pour qu’ils achètent des produits américains. Il n’y a rien de scandaleux. C’est du gagnant-gagnant. Il faut également souligner la conjoncture économique de l’époque. Celle d’une hyper-puissance capable de produire en nombre des biens de consommation, ayant décidé d’aider d’autres nations à rejoindre son niveau de développement. Puis, l’évolution des valeurs a basculé en l’espace de vingt ans, entre 1965 et 1985, quand l’hédonisme et le consumérisme, alliés à l’individualisme démocratique et la montée en puissance des réseaux financiers, ont propulsé une mondialisation où l’éthique est absente et où l’intérêt est omniprésent. D’où les reproches faits par les idéologues alter aux pratiques du FMI et de la Banque mondiale.
Le cours économique du monde se détermine
selon deux axes, celui du marché et celui des Etats qui, avec quelques
institutions et décisions, pouvaient réguler et réorienter pas mal, et
maintenant très peu, de moins en moins, des processus globaux ajustés par le
marché. Car il y a deux déterminants, la puissance financière et la puissance
d’intervention des Etats. Et c’est la finance qui a pris l’ascendant.
Du coup, nous voilà avec une situation
pour le moins étrange où la Chine, riche de ses dollars, se positionne en
puissance disposée à prêter (et non pas donner) de l’argent aux Américains pour
qu’ils puissent acheter ses produits. C’est ce qui se passe en effet, la Chine
achetant des bons du trésor américains (des avoirs évalués à 1 500 milliards de
dollars) et, de ce fait, finançant une dette contractée sur deux pôles, la
surconsommation des ménages américains, ajoutée aux créances immobilières, et
l’effort de guerre en Irak. Du coup, l’ironie de l’Histoire sert de miroir et
nous renvoie l’image d’une société américaine en difficulté non pas parce
qu’elle vit dans la misère, mais parce qu’elle se voit dans la misère (au bord d’une
récession) et ne voit dans la croissance que son seul salut. D’ailleurs, la
finalité ostentatoire de la consommation de certaines classes est avérée. Un
lieu commun. Avoir et paraître au lieu d’être. Ce faux plan Marshall de la
Chine n’a rien de moral ni d’immoral. Les Américains ont plongé dans l’excès,
la surenchère consumériste, alors, autant leur faire payer le prix de leurs
désirs, tant qu’ils sont solvables. Et du coup, les Américains,
d’hyperpuissance économique qu’ils furent en 1950, sont devenus, pour une part,
des vassaux d’autres puissances montantes. Tout en restant, grâce à une avance
technologique indubitable, une hyperpuissance militaire. C’est cela qui compte
pour leurs dirigeants. Qui font face au même problème que connaissent
l’Allemagne et la France, le pouvoir d’achat des classes moyennes et la monté du
« précariat ».
Cette idée de faux plan Marshall de la
Chine nourrit la caricature d’une nation américaine devenue partiellement une
vassale économique de la Chine. Porter un jugement moral sur la société
américaine ne présente aucun intérêt d’autant plus que toutes les nations
présentent en leur sein des comportements de boulimie consumériste. Et puis la
notion de vassalité économique n’a plus aucun sens dans un monde où tous les
pays sont en interdépendance. Il faut plutôt voir dans cette étrange
configuration le signe d’un capitalisme inversé à celui de 1945 avec les Etats-Unis
qui, au lieu de prêter et donner des fonds pour le développement de pays alliés,
s’endettent en favorisant la croissance de la Chine.
En conclusion, ce saut d’un demi-siècle n’augure-t-il
pas aussi d’une nouvelle ère, celle de la guerre froide économique ?
Rappelons que selon certains historiens, la guerre froide entre Ouest et Est
aurait débuté avec le plan Marshall. Et donc, l’idée d’une seconde guerre
froide à l’occasion de ce faux plan Marshall imputé à une Chine qui, avec ses
faramineuses réserves de créance, représente l’équivalent d’une « bombe
atomique financière » pouvant être utilisée si nécessaire. Cela dit, les
Chinois de 2008 ne sont pas plus suicidaires que les Soviétiques de 1958. Ils
sont heureux d’envoyer des vaisseaux dans l’espace. Mais le ressort d’une guerre
froide est la peur et ce ressort se vérifie avec ce trou dans la Société générale, que des journalistes pressés de jouer sur la peur (il fallait écouter
ce matin l’interviewer de France Inter face au responsable du Crédit agricole),
en présentant ce fait comme une bombe financière ayant pété tout en laissant
planer la menace d’autres explosions à cause de ces produits financiers que les
traders manipulent comme de la dynamite immatérielle. Et du fait de la
mondialisation financière, cette guerre froide est délocalisée et ne se gère pas avec
un simple téléphone rouge. On ne sait même pas qui détient les explosifs
monétaires.
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