Plaidoyer pour le capital humain
Le financier est entré dans la société, l’humain en est sorti, alors qu’on devrait faire coexister ces deux composants, l’alpha et l’oméga des sociétés et non les opposer. Il est temps de résonner en capital humain et non en capital financier.
L’être humain n’est plus un outil.
Depuis l’après-guerre et surtout depuis la fin des années 80, le monde du travail a subi de sérieuses transformations, transformations que semble vouloir ignorer la France. Dans le monde post-industriel du XXe siècle, le salarié n’était souvent qu’un ouvrier de base, voire, dans les meilleures des conditions, un ouvrier qualifié. Les années 80 ont ouvert la voie aux services. Des compétences riches et multiples, des fonctions d’organisation et de responsabilités ont été offertes aux salariés. Le secteur des services représentant ainsi plus de 65% des emplois en France. Avec l’économie de la connaissance qui apparaît en cette fin de XXe siècle, avec les nouvelles technologies, la communication, l’informatique et les processus de production sont devenus complexes et le salarié se retrouve souvent l’inventeur d’une nouvelle manière de produire. Il fait entièrement partie de la dynamique de l’innovation dont les entreprises ont besoin pour continuer à évoluer et gagner de nouveaux marchés. Nous avons fusionné les inventeurs et les utilisateurs. Le salarié n’est plus seulement spectateur de la production de richesse, il est devenu un acteur incontournable de celle-ci. De plus, l’épanouissement et le respect du salarié passent également par ses compétences acquises. L’être humain se reconnaît, s’identifie par son travail et ses responsabilités. Nous nous sentons investis dans la société quand celle-ci reconnaît que nos apports sont indéniables. La créativité des ressources humaines internes à une société est le coeur même de sa richesse et de sa valeur ajoutée. Google impose à tous ses salariés de prendre 20% de leur temps de travail sur des projets personnels, à condition qu’ils présentent leurs recherches aux autres salariés. D’ailleurs beaucoup de nouvelles applications lancées par le grand moteur de recherche américain proviennent de ces projets. 3M, l’inventeur du Post-it, fait de même avec 15% du temps de travail consacré aux projets personnels. Le grand patron, patriarche, passant dans son usine en Jaguar, son petit-fils à ses côtés et lui disant "tout ceci un jour sera à toi" a bien changé, voire complètement disparu avec l’économie de l’intelligence et de la créativité.
Capital = 1 + (-1) = 2
L’analyse de la bonne santé d’une société passe par des actes que l’on nomme bilans, où l’on fait figurer les actifs de la société, valeurs de ce qu’elle possède, et des passifs, ce qu’elle doit. Les ordinateurs, les bureaux, si l’entreprise les a achetés, les brevets, le stock, la trésorerie sont des actifs qui sont calculés et reportés sur le bilan annuel de toutes les sociétés françaises. Où se placent les salariés dans ce schéma ? Si comme on vient de le voir, les individus composant la masse salariale d’une société ont une véritable valeur ajoutée pour celle-ci, on devrait voir cette valeur, symboliquement au moins, inscrite dans le bilan. Eh bien, on cherche encore.
Aucune trace, à part le coût salarial, coût qui se calcule avec le salaire net + la partie brute + les charges patronales, où plus simplement, le salaire net + 85% de celui-ci. En contrepartie de ces coûts, les salariés devraient figurer dans les actifs des bilans et capitaliser cette intelligence qui donne à la société sa réelle valeur. Ce serait des biens qui ont des coûts, certes, mais aussi une valeur intrinsèque, comme peuvent l’avoir par exemple des bureaux achetés par la société, qui représentent une véritable valeur immobilière, mais aussi une perte financière si la société rembourse un crédit. Le bien acquis produira une valeur qui sera supérieure ou égale à son coût, ce qui est donc bien le cas des salariés d’une société.
Imaginons qu’une société vaut 100, ce qui correspond à son capital. Capital qui est augmenté en fonction d’une valeur relative qu’un acheteur est prêt à payer. Cette valeur augmente en fonction de sa position sur le marché, ses investissements qui lui donneront une meilleure valorisation dans un futur proche. Valeur relative puisque fondée sur les perspectives d’avenir les plus optimistes pour cette société.
Imaginons maintenant qu’on lui retire tous ses salariés, cadres et non-cadres, qui ont une valeur tout autant relative que la société elle-même lors de cette vente, est-ce que sa valeur continuera de valoir 100 ? Bien sûr que non, l’acheteur potentiel acquiert la société pour ce qu’elle gagne, pour son actif, et donc pour les compétences qui créent cet actif. Preuve est faite, en cas de vente de la société, qu’elle valorise ses salariés comme un actif et non une perte. Une société sans salariés ne vaut rien.
Depuis la loi du 15 septembre 2004 sur le sport, les indemnités sur les transferts des joueurs de football entre les clubs sont considérées comme des cessions d’immobilisation, donc de la véritable valeur appartenant aux clubs de football.
Les sociétés voient leur devenir seulement sur le plan financier, ce qui peut être compréhensible, les financiers privés sont rares en France, l’ISF les faisant fuir de notre beau pays, et les banques sont frileuses, prêtant uniquement aux sociétés n’ayant pas besoin de leurs services. Le financier est entré dans la société, l’humain en est sorti. Alors qu’on devrait faire coexister ces deux composants, l’alpha et l’oméga des sociétés et non les opposer.
Pourquoi capitaliser sur la ressource humaine ?
Déjà parce qu’elle est rare. Oui rare, on est entré dans la guerre des talents. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, dans un pays qui dispose de 8% de chômeurs prêts à travailler, nombreuses sont les sociétés qui recherchent désespérément certaines compétences pointues. En Angleterre, depuis cinq ans, nous voyons un phénomène étrange. Certains salariés sont débauchés des entreprises concurrentes, proposant le doublement de leurs salaires, le club Fitness à l’année, la voiture, le parking ou la garderie pour le petit dernier.
Le salarié qui sera valorisé pour ce qu’il est, une partie de la valeur même de la société, pourra plus facilement s’épanouir dans celle-ci. Il suivra son évolution, il fera partie d’un tout, autant que ses collègues de travail. Il saura pourquoi il travaille et dans quel but. En France, seuls 6% des salariés se disent investis dans leur entreprise contre plus de 30% aux Etats-Unis selon une étude réalisée par Gallup-Ifop, ce qui prouve le divorce entre les Français et le monde de l’entreprise.
Bien sûr, cette valorisation de la ressource humaine doit impérativement s’accompagner des règles basiques de l’actionnariat. Étant une valeur de la société, la société payera cette valeur à juste titre, aussi bien du point de vue du salaire, mais aussi et surtout par des actions. Disons qu’une partie des bénéfices, hors impôts, devra être versée au prorata de la compétence et de l’expérience, à tous les salariés de la société. Cette prime annuelle ne sera pas majorée, mais nette d’impôt puisque la société aura déjà prélevé l’IS (33%) sur ses bénéfices, pas de double imposition, une très belle occasion d’augmenter de manière significative le pouvoir d’achat des Français.
En cas de revente de la société, tous les salariés devront recevoir une prime équivalente au montant de la transaction avec valorisation, sur le même principe que la prime sur les bénéfices. Ce qui aura pour effet d’obtenir l’assentiment des salariés en cas de vente de la société, mais aussi une sécurité plus accrue en cas de restructuration et donc de licenciement.
Bon nombre d’entreprises seront sans doute de prime abord contre la répartition des bénéfices entre les actionnaires et leurs salariés. Il faut cependant penser qu’en contrepartie de ces acquis, lors d’un possible licenciement, la société rachètera au salarié licencié sa valeur en cours et selon son expérience. Si la société licencie alors qu’elle bat des records de bénéfices, le coût du licenciement sera plus élevé que quand la société sera en grosse difficulté. Ce qui reste logique, c’est dans les moments difficiles que les entreprises ont besoin de s’alléger en masse salariale, mais c’est aussi dans ces mêmes moments qu’elles peuvent le moins se permettre de payer à prix d’or des licenciements.
Nous savons aussi que 500 000 dirigeants de sociétés partiront à la retraite dans les dix ans à venir. Si ce système permet de réinventer la relation entre les salariés et leurs entreprises, il y a fort à parier que l’entreprise même soit reprise par ses salariés lorsque le dirigeant fondateur part à la retraite sans successeur.
Le capitalisme libéral
La pire des insultes dans notre pays est devenue en trente ans, le mot "libéral", auquel la majorité des Français attribue, à tort, l’appauvrissement des masses salariales. Libéral est pourtant un beau mot venant de liberté, qui, je le rappelle, fait partie de la devise de notre pays. Le libéralisme se base sur la valeur travail, qui aux yeux des fondateurs de ce courant de pensée se trouve être la seule valeur valable et noble pour créer de la richesse. On est loin du capitalisme qui veut seulement fructifier des capitaux pour en retirer des profits rapides et confortables.
Le libéralisme respecte l’intégrité et la différence de l’homme, lui donne la liberté d’agir, de créer, d’entreprendre, d’inventer. En ce sens, identifier l’être humain comme une production de valeur en soi est libéral ; réduire l’être humain à une charge est capitalistique. Pour Adam Smith, le père du libéralisme, la richesse d’un Etat est créée par le travail et non le capital. De plus, il est prouvé que le travail apporte la liberté et la sécurité, puisque c’est le travail qui est à l’origine de toutes les propriétés. (Adam Smith, La richesse des nations, livre 1).
Ce système de partage des valeurs serait une réelle avancée pour l’homme qui travaille, améliorant son confort puisqu’il gagnera mieux sa vie, mais surtout il aura l’élégance d’être jugé sur la qualité de son travail et non sur ses heures de présence. Comme pour les enfants, qui travaillent toujours mieux à l’école quand ils savent que c’est pour eux qu’ils travaillent et non pour leurs parents. Arrêtons de sanctionner, sanctifions plutôt l’intelligence et la responsabilité, dans l’intérêt des être humains mais aussi des entreprises.
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