Plan social chez Sanofi : le silence gênant de Gérard Bapt
Le député socialiste Gérard Bapt, pourfendeur de laboratoire, défenseur de grandes causes en matière de santé publique, est appelé aujourd’hui à réagir sur un événement dramatique : la suppression de 900 emplois au sein de Sanofi.
Dramatique parce que Sanofi est devenue la première capitalisation boursière française (à 89,47 milliards d’euros) devant un autre géant, Total. Autant dire que 900 emplois représentent un fétu de paille pour un tel géant, qui a bien du mal à justifier la violence de la gifle assénée à ses salariés.
Et pourtant, le groupe, qui est loin d’être dans le besoin, se lance sans complexe dans des démarches pour le moins discutables, probablement pas assez commentées tant elles portent en elles le vent du scandale.
Le 30 septembre, dans une interview au JDD, Arnaud Montebourg se vantait d’avoir réussi à sauver 500 emplois du plan social décidé par la direction de Sanofi :
“Nous déployons notre dynamique avec des premiers résultats. Chez Sanofi, le PDG est venu nous voir en juillet pour nous annoncer 2.500 réductions de postes. L’entretien a été musclé. Rebelote à l’Élysée ce lundi, avec un plan de licenciements qui portait encore sur 1.390 postes. Le lendemain, la direction de Sanofi acceptait de sortir le site de Toulouse, et nous avons préservé 500 emplois de plus. Vis-à-vis d’ArcelorMittal, nous entamons la négociation avec deux exigences : s’ils veulent fermer des hauts-fourneaux, qu’un autre industriel puisse en reprendre l’exploitation. Nous saurons demain s’ils sont d’accord sur ce point. Et nous leur avons demandé d’injecter 150 millions d’euros sur la partie du site qu’ils continueront à exploiter.”
Mieux encore, cette très optimiste citation d’un ministre sûr de lui :
"Sanofi annonce désormais zéro licenciement".
Ainsi, après avoir un temps fait mine de dénoncer le plan social, Arnaud Montebourg s’est félicité d’une victoire. La raison de cette autosatisfaction ? Etre passé de 1200 à 900 suppressions d’emplois, transformées médiatiquement en « départ volontaires ». Les « zéro licenciements » sont en réalité 900 conseils appuyés à des salariés qui n’ont pas toujours le moyen de refuser, de quitter par eux-mêmes le groupe. Les salariés concernés apprécieront les euphémismes du ministre, bien prompt à transformer un bilan désastreux en victoire éclatante.
L’horizon s’assombrit pour les syndicats décidés à ne pas lâcher le combat pour les salariés du groupe : le 9 novembre, le tribunal de grande instance d’Evry a rejeté la demande du CCE (comité central d’entreprise) de Sanofi, qui souhaitait l’annulation du projet de « réorganisation » du groupe. Car si la direction estime la suppression des postes à 900, les syndicats, eux, estiment que cette réorganisation concerne en réalité 1600 à 2400 postes. Le tribunal a jugé que cette réorganisation ne s’apparentait pas à un plan social, puisque Sanofi a décidé de recourir au volontariat des salariés pour supprimer ces emplois. En l’espace de trois mois, Sanofi serait passé de « l’archétype du plan social abusif » à un projet tout à fait convenable ne s’apparentant aucunement à un plan social. Si les magistrats ont été satisfaits en première instance de la façon dont le groupe joue sur les mots, ils n’ont - semble t’il - pas vraiment tenté d’examiner l’affaire sous l’angle de la justice sociale. Comment justifier en effet qu’un groupe affichant une telle vitalité économique ait une attitude de prédateur vis à vis de ses salariés ?
Le gouvernement, qui a un temps communiqué sur la similarité des plans de PSA et de Sanofi, a omis de préciser que contrairement à PSA qui est dans le rouge, Sanofi a réalisé 5,7 milliards de profits sur le précédent exercice, et est en voie cette année de dépasser l’américain Pfizer, numéro 1 mondial.
Plus grave encore, des soupçons de pratique de lobbying intensif de Sanofi auprès des parlementaires pèsent depuis quelques temps sur un dossier loin d’être clos.
Ainsi, un journaliste de Charlie hebdo révèle des informations lourdes de conséquences : le laboratoire pharmaceutique aurait procédé à un lobbying soutenu auprès du député socialiste Gérad Bapt, afin de discuter le nombre de licenciements en fonction de décisions de remboursements de médicaments. Ce journaliste affirme avoir mis la main sur un mail d’un cadre du groupe, directeur des affaires publiques de Sanofi Midi-Pyrénées, adressé au député Gérard Bapt, qui s’était illustré dans l’affaire du Médiator en menant une mission d’information auprès de l’Assemblée nationale.
Par ailleurs, ce dernier écrit ce paragraphe, rapportant des paroles de Gérard Bapt pour le moins troublantes :
« C’est vrai que Sanofi m’invite beaucoup, à des séminaires ou des conférences, répond Gérard Bapt à Charlie, confirmant les liens de proximité entretenus par le labo et qui transpirent du document que nous publions. Je connais ce cadre qui vient me voir, il est dans ma circonscription. Mais vous savez, tous les groupes, mêmes La Poste ou la Caisse des dépôts font du lobbying auprès des parlementaires. » Le député aurait récemment, dit-il, refusé une invitation tous frais payés à Chamonix par un labo. Il a pourtant longtemps présidé le club Hippocrate, une association de parlementaires censée réfléchir à la santé, financé entre autres par GlaxoSmithKline, une puissante firme pharmaceutique.
Pour Sanofi ou du moins sa direction, « Toulouse, c’est un tout petit point sur le globe, on le voit à peine. Paris et Lyon, au moins, ça apparaît »
Des paroles minimisant un plan social jugé scandaleux par la plupart des observateurs – y compris le gouvernement cet été – en expliquant que le lobbying est une activité courante et répandue, et que Toulouse (note : ville qui a été retirée du plan social de Sanofi) est un endroit insignifiant pour le groupe (une façon de dire que des tractations ont eu lieu ?).
Rappelons que Gérard Bapt copiait dans sa revue de médias du 14 octobre sur son site internet :
« Alors, le lobbying pharmaceutique est-il un problème pour la santé publique ?
C’est un système bien rôdé que l’affaire Servier a mis au jour. Les entreprises viennent défendre leurs intérêts auprès des législateurs pour qu’ils leurs fournissent certaines facilités. Il est convenu que les parlementaires soient informés de l’état des diverses industries mais pour le député socialiste Gérard Bapt, président de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le Médiator, la limite est atteinte lorsque les parlementaires deviennent dépendants d’une activité. « Ils se font porte-parole de cette activité, et deviennent eux-mêmes lobbyistes ».
La question qui se pose alors est pourquoi Gérard Bapt, très actif pour dénoncer le lobbying de Servier, accepte t’il sans broncher celui de Sanofi ? Quel est son regard sur ce plan social aussi inédit qu’indéfendable, un temps décrié par le gouvernement qui a depuis lors compris qu’il ne faisait pas le poids face à la première capitalisation boursière française, et a accepté de prendre la porte de sortie proposée par Sanofi à savoir transformer le « plan social » en « plan de départs volontaires » ? Enfin, quels ont été les tenants et aboutissants de cette victoire à la Pyrrhus ?
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