Economie : pour faire le point...
Nous sommes tellement ethnocentrés que même nos réflexions s’en trouvent faussées. A force de se contempler le nombril, ce sont nos cerveaux qui s’embrouillent. La nature de la Crise l’illustre parfaitement. Contrairement aux affirmations communément répandues d’ici de là, de Droite comme de Gauche, la crise qui frappe nos économies n’est pas mondiale. S’il suffisait d’un critère de gestion pour s’en convaincre, il faudrait retenir le taux de croissance mondial qui continue de croitre. La croissance mondiale est tirée par les pays du Sud et la Chine. La crise dont nos journaux parlent touche donc uniquement les pays occidentaux, les Etats-Unis et le Japon. Il ne s’agit donc pas d’une crise mondiale mais de la crise d’un modèle aujourd’hui à bout de souffle : le capitalisme occidental.
L’Occident a fait basculer le rapport Salaires/Profit depuis 30 ans en faveur des profits. Deux phénomènes ont convergé :
- Pour compenser la baisse de Pouvoir d’Achat ou de salaires de la plus grande masse des particuliers, ceux-ci ont été autorisés à emprunter d’où l’engouement des prêts à la consommation et l’augmentation des situations de surendettement,
- Les plus aisés ont vu leurs revenus salariaux remplacés par les gains des plus values au travers des stocks options.
Dans la phase actuelle, nous sommes rattrapés par la Dette ou plutôt par les dettes. Nous vivons dans un système économique de dettes. Dans un premier temps, on a assisté au transfert de la dette privée vers la dette publique pour sauver le système bancaire. La dette publique a explosé. Le citoyen paie les errements des banquiers. Ce que l’on évoque peu quand on parle de dette, c’est qu’il en va des Etats comme pour les ménages. Les dettes ont une maturité. Quand un pays s’endette, c’est une idée couramment admise, il ne rembourse jamais. C’est une erreur. Les Etats comme les ménages doivent rembourser et justement, les échéances tombent précisément en 2010. Et encore plus précisément, c’est à l’automne 2010 que les principaux états européens vont devoir rembourser ce que l’on nomme le principal c’est à dire le montant emprunté et non encore remboursé. C’est sur celui-ci que sont calculés les intérêts. Cette échéance pour la France se produit tous les 7 à 9 ans.
Quand le principal à rembourser est d’un montant trop important, on connait une crise de liquidités. C’est ce qu’il s’est produit dans le courant de l’année 2009. Conjugué aux problèmes des subprimes, aux faibles capacités en fonds propres des banques mondiales, l’ampleur de la crise a été telle que pour éviter un effondrement général, les Etats ont recapitalisé le secteur bancaire avec un argent prêté par ce même secteur bancaire. Bref, avec un argent qu’ils n’avaient pas, un argent qui n’existait même pas, juste des chiffres jetés sur une feuille. Les banques ont reçu un argent qui venait d’elles. C’est à présent aux Etats à se recapitaliser.
Dans l’histoire de ce pays, la dette publique a baissé à 3 reprises : de 0.5 % sous Fabius, de 0.5 % sous Jospin qui a vendu les meubles c’est-à-dire qu’il a privatisé des pans entiers du secteur public et sous Breton de 2.5% du PIB qui a terminé ce qu’avait engagé Jospin.
De 1996 à 2008, les dépenses de l’Etat ont progressé de 35 %, celles de la Sécurité Sociale de 61% et celles des collectivités territoriales de 78%. La seule charge des intérêts est passée de 39 milliards d’euros en 2006 à 45 milliards en 2008 et autant en 2010. On peut observer que cette charge a relativement peu augmenté. Cela est uniquement imputable à la baisse des taux d’intérêts.
Mais la situation d’aujourd’hui a changé. En effet, il n’est désormais plus possible au gouvernement d’adresser à la Commission Européenne un programme budgétaire qualifié de « stabilité et de croissance » sans aucune intention de le respecter. Les fameux critères de gestion du traité de Maastricht doivent aujourd’hui être respectés chaque année. Il y en va de la pérennité de l’Euro.
Les engagements de stabilité pris par le gouvernement Sarkozy implique qu’il faille trouver 100 milliards dans les budgets de l’Etat, de la Sécurité Sociale et des Collectivités Territoriales en 3 ans d’ici à 2014. Cet engagement est minimum et engage toute majorité gouvernementale élue en 2012.
D’autre part, la plupart des banques continue à abriter des situations financières pourries. Malgré l’écran de fumée des stress tests. En effet, pour évaluer le bilan des banques, le ratio de capitaux propres « Tiers one » a été préconisé. Ce ratio est largement discrédité puisqu’il inclut toute sorte « d’actifs hybrides et d’instruments sans prise de participation ». Par exemple, les banques ont intégré à leurs capitaux propres les provisions sur créances douteuses effectuées depuis deux ans, alors que ces actifs sont toujours toxiques.
D’autre part, « les banques n’ont pas été exposées à une éventuelle faillite souveraine ». Seuls les portefeuilles d’actifs valorisés au prix du marché ont été testés. Or les obligations d’Etats détenues par les banques sont classées dans la section « banking books », une catégorie qui ne comptabilise les pertes qu’en cas de défaillance souveraine. C’est par ce petit tour de passe-passe que même les banques grecques, sauf une, ont passé le test avec brio.
En termes de truanderie, notre gouvernement pourtant bien rompu a encore beaucoup à apprendre auprès des banques.
Pour trouver ces 100 milliards et sauver l’Europe libérale, le gouvernement Sarkozy compte sur :
- D’abord la croissance. A un taux annuel de 2.5%, les recettes fiscales dégagées équivalent à 40 milliards d’euros. Reste à trouver les 60 milliards manquants. Pour rappel, le taux de croissance 2009 a été de – 2.25%, la prévision 2010 est de 0.75 tandis que Fillon claironne à 1.4%. Bref, ça n’arrange pas vraiment la situation. A ce taux, il faut trouver 90 milliards !!!
- Puis les économies. Le projet de budget ou de loi de finance de 2010 va être saignant. Retraites, déremboursement, suppression de postes et de programmes, suppression de la taxe professionnelle, coupes sévères dans tous les budgets, bref, le grand catalogue des mesures de rigueur et d’austérité. C’est l’économie moderne ou Chavez…
- L’investissement serait l’objet du fameux grand emprunt. Son montant a été fixé à 35 milliards d’euros, dont 22 milliards seront levés sur les marchés et 13 milliards financés par les fonds d’aide remboursés par les banques. 5 domaines prioritaires ont été arrêtés :
- La plus grande part du gâteau ira à l’enseignement supérieur et à la recherche, « clé de notre compétitivité future », qui recevront respectivement 11 et 8 milliards d’euros,
- Une dizaine de campus « d’excellence » recevront un financement exceptionnel (8 milliards),
- Près de 1,3 milliard d’euros devrait servir à accélérer le plan Campus,
- 1 milliard sera alloué à la mise en place d’un campus centré sur les hautes technologies à Saclay, en région parisienne, et regroupant les grandes écoles d’ingénieur parisiennes et les universités scientifiques,
- L’apprentissage recevrait pour sa part 500 millions d’euros,
- La recherche, 3,5 milliards seront alloués aux sociétés de valorisation, « interfaces entre les grands industriels et la recherche ». Les secteurs de la biotechnologie et de la santé recevront 2,5 milliards.
- Cinq centres hospitaliers universitaires, dans un premier temps, recevront 850 millions d’euros. Un appel d’offre sera lancé dans les prochains mois.
- L’industrie et les PME recevraient 6,5 milliards d’euros. L’automobile, l’aéronautique, le ferroviaire et l’industrie navale seront les principaux bénéficiaires de cette enveloppe,
- 1 milliard d’euros « sera réservé aux conclusions des Etats généraux »,
- 5 milliards d’euros seront alloués aux énergies renouvelables. Il s’agira de financer notamment le développement du réacteur nucléaire de 4e génération (1 milliard) et des énergies alternatives (2,5 milliards) via l’Ademe.
- 4,5 milliards d’euros seront dégagés à l’économie numérique, notamment pour la couverture du territoire en haut débit
- 750 millions d’euros seront alloués à la numérisation du patrimoine culturel national (musées, bibliothèques…).
Le grand emprunt ne servira pas à financer les dépenses de fonctionnement, a assuré Sarkozy. Les fonds mobilisés seront « clairement distincts du budget de l’Etat », a-t-il précisé. Et ils seront sous haute surveillance. René Ricol sera nommé commissaire général à l’Investissement, sous l’autorité du premier ministre. Un comité de surveillance sera aussi mis en place, présidé par Alain Juppé et Michel Rocard.
Pour emprunter les Etats doivent désormais se tourner vers les marchés financiers à défaut d’une vraie banque centrale et surtout d’avoir renoncé à l’émission de monnaie pour cause de risques inflationnistes. La France d’ici 2013/2014 va devenir le premier pays émetteur de dettes en euros du monde. L’émission de dettes dans la zone Euro va passer de 1000 à 2000 milliards d’euros.
La monnaie commune et les dispositifs prévus au traité de Maastricht sont menacés. L’épargne intérieure ne sera suffisante à financer la dette. Le Fonds de Stabilité existe mais n’est pas financé. Sans chambre de compensation multilatérale les taux d’intérêts augmenteront parce qu’à présent les Etats sont en concurrence avec les entreprises dans la course aux liquidités qui se raréfient.
Il aurait été possible de faire autrement c’est-à-dire de faire supporter le poids de cette politique sur d’autres mécanismes ou d’autres personnes que les plus démunies de notre pays. Les options passent par :
- Le déficit des régimes de retraite s’élève à 13 milliards d’euros soit à peine 10% du déficit public qui se monte à 140 milliards. Avec l’ensemble des mesures prises par le gouvernement Sarkozy, les régimes ne sont pas financés et la France sera de nouveau endettée à hauteur de 60% dès 2030. La solution passe évidemment par des recettes nouvelles et donc des impôts nouveaux (Fin du bouclier fiscal, fin de la défiscalisation des heures supplémentaires, fin du dispositif Juppé, etc).
- Sauver le système bancaire aurait passé par donner du vrai argent soit par le biais des fonds propres et donc des actionnaires soit par l’Etat qui en apportant l’argent devenait propriétaire (nationalisation de fait) en prenant le soin de séparer les activités de collecte des activités spéculatives. Les banques dans leur fonctionnement actuel ne sont pas réformables. Les banques ont des automates informatiques basés dans des paradis fiscaux qui achètent des titres de manière automatique suivant un algorithme mathématique dès qu’une agence quelconque de cette banque reçoit un ordre de vente ou d’achat d’un de ses clients. L’ordre du client va avoir un impact sur le cours en question. On assiste donc à un délit d’initié légal planétaire. La banque gagne ainsi des milliards en fonds propres sans acte de production ou de services. Sans capacité de régulation, de contrôle et de sanction, il est illusoire de penser que ce mécano infernal va s’arrêter.
- Une émission de bons du Trésor Européen dévolue à l’investissement.
- Relancer une politique de croissance maitrisée par un emprunt qui corresponde à la réalisation d’équipements publics, d’infrastructures, d’usines, de recherches et d’éducation là où la Droite ne propose que de travailler plus pour augmenter la productivité sans bien entendu en partager les bénéfices. La productivité a augmenté de manière extraordinaire ces 30 dernières années. Ces gains ont été partagés entre les investisseurs et les dirigeants d’entreprises. Ce sont donc des fortunes déjà constitués qui ont reçu de l’argent supplémentaire. Pour retrouver cet argent, les Etats devront payer des intérêts par le biais d’emprunt.
- Mettre en place de vrais critères de gestion et d’évaluation. Par exemple, si l’on compare en % l’endettement avec les revenus fiscaux, la France n’est pas endettée à hauteur de 80% mais de 560 %. Il faut comparer la dette avec les recettes fiscales et pas avec le PIB. Les recettes fiscales représentent seules les vraies capacités de remboursement dont disposent l’Etat.
L’effondrement du système financier et des économies est à moyen terme plus qu’un risque. Dans la phase actuelle, l’utilisation des Etats et leur fiscalité demeure le seul moyen de rétablissement pour un capitalisme en pleine crise structurelle. Si l’on ne veut pas trop peser sur la croissance, l’objectif de réduction des déficits publics ne peut être dissocié d’un projet concret de réforme fiscale. Un autre choix politique pourrait ainsi consister à moins réduire la dépense publique mais à augmenter davantage les prélèvements obligatoires, notamment ceux qui affectent le moins la croissance. Il s’agira d’un prochain sujet de contribution.
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