Purge de la bulle des subprime mortgages : un mécanisme naturel de correction
Cela fait longtemps qu’observateurs et analystes expriment leurs inquiétudes au sujet de la bulle immobilière américaine, et particulièrement de ces dorénavant fameux « subprime mortgages ». Aujourd’hui, la purge a enfin lieu. Les banques centrales, en réagissant rapidement sur les échanges interbancaires à très court terme pour ne pas laisser un mouvement de panique se transformer en crise, devrait limiter les effets de cet assainissement aussi douloureux qu’attendu.
« Tout le monde a besoin d’un emploi pour acheter une maison, une voiture, etc. [...] Mais tout le monde n’a pas un emploi. Nous avons une solution pour vous. Nous proposons une assistance à ceux qui n’ont pas de travail, mais doivent répondre à une vérification d’emploi dans la perspective d’un achat. [...] Dans notre base de données, vous serez déclaré(e) comme contractant indépendant de notre société. Votre nom apparaîtra sur des feuilles de paye comme avance ».
Le site http://www.verifyemployment.net/ propose ainsi de fausses feuilles de paye pour 55 $, et une ligne téléphonique qui confirme l’intox pour 25 $. Voilà un beau cas d’espèce du type de dérive qu’a connu le marché des « subprime mortgages ». Fraudes et excès à tous les niveaux ont mené ce secteur dans le mur.
Décortiquons le processus en cours. L’une des activités bancaires aux Etats-Unis consiste à financer l’achat de biens immobiliers par le crédit hypothécaire, les fameux mortgage loans. Contrairement à notre système de crédit immobilier, les banques restent propriétaires du logement jusqu’à expiration de la créance. Si l’emprunteur ne paye plus ses traites, le prêteur est chez lui. Il peut alors expulser l’occupant avant de mettre en vente le lot pour récupérer sa mise. Tant que le marché immobilier est porteur, le prêteur est rassuré par cette garantie dite « collatérale ». Lorsque la tendance est à la baisse, la valeur de l’actif sous-jacent devient inférieure au risque encouru. En cas de défaut de paiement de l’emprunteur, le créancier peut perdre une partie de son investissement.
Evidemment, la banque doit financer ce crédit et le porter à son bilan. Vu l’ampleur des besoins qui ont vite dépassé leur capacité de financement, les banques ont dû alléger le poids de ces mortgage loans dans leur bilan. La titrisation, innovation financière née dans les années 80, permet aux banques de sortir ces prêts de leur bilan et de les faire reprendre par d’autres investisseurs. La structure juridique générique de ces opérations de titrisation, ce sont les ABS (Asset Backed Securities) adossés à des actifs, au sens large, conservés en garantie. Les MBS (Mortgage Backed Securities) concernent spécifiquement les fonds regroupant des crédits immobiliers, peu liquides (le crédit peut durer trente ans), en garantie collatérale. Ils sont cédés à des investisseurs relais qui, en échange, détiennent des obligations bien plus liquides que les actifs en garantie (la maison de chaque emprunteur du lot). La même technique s’applique aux CDO (Collateralized Debt Obligation) qui regroupent divers titres, obligataires ou hypothécaires en garantie.
Plus récemment, des familles en situation précaire ont aussi cherché à acheter leur logement sans présenter de garanties de situation suffisantes. Les subprime mortgage loan sont nés, également titrisés sous la forme de MBS subprime à profil de risque plus élevé et, par conséquent, à rendement également plus élevé. Moins exigeants, un peu plus chers pour l’emprunteur, ils permettaient à une population exclue des mortgage loans classiques de devenir propriétaire. Mais rapidement, une partie de cette catégorie d’emprunteurs a commencé à surestimer ses revenus déclarés, parfois même incitée à la faire par des intermédiaires peu scrupuleux, rémunérés au volume de crédits octroyés, pour accéder à des montants plus élevés de crédit. Alors que le taux de défaillance des mortgages classiques tourne autour de 3 %, celui des subprime mortgages s’est retrouvé environ quatre fois plus élevé. Et dès la fin 2005, le taux de défauts de paiement a commencé à grimper dangereusement alors que la valeur du sous-jacent, l’immobilier, se stabilisait puis se mettait à décliner. A un niveau proche de 14 % (donc 86 % des ménages payent normalement leur crédit et sont d’heureux propriétaires sans histoires), les effets de ce credit crunch commencent à se faire sentir dès le début de 2007, surtout que ce marché pèse près de 800 milliards de dollars.
Pourtant, les structures MBS ou CDO présentent des profils de risque très variables, ce que reflète bien la notation attribuée par les agences de notation dont c’est le métier. Les banques, lorsqu’elles cèdent leur portefeuille de subprime loans à un MBS ou à un CDO, structurent souvent le fond afin qu’ils offrent de meilleures garanties aux investisseurs (le rendement étant alors plus faible). Selon le profil de l’opération, le portefeuille reçoit une notation qui va, pour Standard & Poor’s de « AAA » (la meilleure qualité, au rendement naturellement plus bas) à « BBB » (la plus basse qualité des « investissement raisonnable », aussi appelé « investment grade » au rendement plus élevé ; à partir de « BB » on est dans le « spéculatif »). Les banques initiatrices peuvent octroyer un prêt (ou une classe d’obligations) subordonné(es) à la structure afin de couvrir en premier les risques du montage. En cas de taux de défaillance supérieur aux estimations, les investisseurs sont couverts par le cédant, la banque qui a externalisé ses crédits, qui doit compenser les pertes de sa poche. Hélas dans la crise actuelle, les acteurs paniquent et ne font plus la différence.
Depuis la liquidation de deux fonds de Bear Stearns et l’annonce de pertes importantes de nombreux hedge funds, supports qui concernent essentiellement de grandes fortunes, la crise s’est étendue aux fonds de pension et même aux supports d’investissement universitaires. Harvard, réputée pour une gestion très agressive de sa dotation et pour sa performance au travers de plus de 10 000 fonds (valorisation de 26 milliards de dollars contre 5 milliards en 1990 !) a tout de même perdu 350 millions de dollars sur un fond de subprime loans à fort effet de levier. Le groupe allemand IKB s’est trouvé en grave difficulté il y a deux semaines, et les banques allemandes ont dû venir à son secours. En fait, la plupart des institutions, en diversifiant leurs placements, ont joué ce marché à rendement élevé. Alors que la panique gagne les esprits, de nombreux acteurs réagissent de manière irrationnelle et excessive. Dans ce marché totalement asséché, les organismes spécialisés dans la constitution de fonds subprime ont du soucis à se faire (Cf la faillite d’American Home Mortgage, institution spécialisée dans le financement immobilier), aucun investisseur n’ayant aujourd’hui envie de rentrer dans ce marché et d’apporter du capital frais pour financer cette activité.
Banques et investisseurs commencent enfin à comprendre qu’ils vont devoir régler une bonne partie de la facture. Et celle-ci va leur faire mal. Surtout, ils vont devoir porter leur fardeau jusqu’au retour d’une certaine confiance car personne n’a envie, en ces jours troublés, de racheter leurs titres, pourtant liquides jusque-là. Des conflits ont commencé à opposer les banques, qui tentent de rééchelonner les crédits des ménages en difficulté, aux fonds investisseurs qui exigent la saisie et la liquidation des biens pour éviter l’enlisement. Mais après tout, la prise de risque fait partie de leur mission. Cette correction douloureuse rappelle que tout investissement constitue une prise de risque qui légitime la rémunération négociée.
Le mécanisme qui nourrit une telle crise, c’est la friction entre les exigences d’investisseurs habitués à des titres liquides et la faible liquidité, voire la totale illiquidité des actifs sous-jacents. Un marché énervé (et il y a de quoi quand on pense que des pertes de l’ordre de 100 à 150 milliards de dollars sont en jeu selon la Federal reserve Bank) veut tout savoir sur son risque encouru, en temps réel et avec précision. Or, une telle évaluation n’est pas fiable car les modèles mathématiques suivent les statistiques de défaillance sur des périodes plutôt longues. Résultat : aucun acteur ne veut entrer dans ce marché dont il devient périlleux d’estimer le risque et le rendement. Lorsque BNP Paribas a annoncé, en fin de semaine, qu’elle gelait des fonds d’une valeur de 1.6 milliards d’euros, ce n’était pas pour prévenir un risque de liquidation mais celui de ventes paniques, décorrélées de la valorisation « raisonnable » des actifs sous-jacents et sans contrepartie acheteuse à prix raisonnable. Encore une fois, aucun investisseur n’a plus envie de racheter de tels titres à ceux qui voudraient céder les leurs. Les prochaines semaines nous réservent encore bien des surprises, même s’il est peu probable que les conséquences de cette crise affectent durablement le reste de l’économie.
Les grands gagnants de cette histoire seront sans doute les avocats spécialisés dans les titres privés. Ces nettoyeurs s’attaquent déjà à tous les échelons du processus. En cherchant à établir que les banques et les courtiers ont sciemment octroyé des crédits à des familles sans les ressources financières suffisantes, elles veulent les rendre solidaires des défaillances en cours au profit des investisseurs collés. Difficile de mettre en avant l’insuffisance d’information sur les risques, voire leur dissimulation, lorsqu’on sait à quel point l’évaluation d’actifs illiquides est difficile à tenir avec précision en temps réel. Par ailleurs, les banques leur rétorqueront certainement que les investisseurs, professionnels de la finance, ne peuvent jouer les ingénus lorsque leurs placements tournent mal. Leur cœur d’activité reste le risque, et le risque suppose le droit à l’échec. Ainsi en va l’imperfection naturelle des marchés.
Enfin, le vieux sage septuagénaire d’Omaha, Warren Buffet, sort à nouveau du lot en ayant investi depuis longtemps sur l’effondrement de cette bulle des subprime. Non seulement il ne semble pas avoir parié un dollar sur ce secteur, mais il aurait acheté plutôt discrètement des dérivés CDS (Credit Default Swap), pariant sur la dépréciation de ces fonds. Cette fortune finira dans la fondation Bill et Melinda...
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