Quand le marketing se fait social
Si selon l’Université européenne du travail, la satisfaction des Français au travail se situe dans la moyenne européenne, il en est tout autrement du regard des travailleurs à l’égard des dirigeants. Les salariés-collaborateurs s’inscrivent dans une grande défiance vis-à-vis des supérieurs avec lesquels les occasions de dialogue direct sont par ailleurs beaucoup plus faibles que dans les pays scandinaves. « Chez nous, la distance hiérarchique reste encore très forte » affirme Claude Emmanuel Triomphe, délégué général de l’Université européenne du travail.* Un contexte face auquel l’organisation de demain devra déployer de véritables stratégies. La pénurie de certains profils, le papy-boom à venir et le coût déjà très lourd de l’absentéisme et du turn-over, autant d’éléments que les services de ressources humaines commencent à prendre très au sérieux. L’organisation prend conscience de l’importance de son image-recruteur et se tourne vers les outils du marketing pour construire et vendre sa politique de responsabilité sociale. Petit tour d’horizon du marketing de l’innovation sociale.
"Les recettes du marketing de la demande ne fonctionnant plus, il est temps d’instaurer un réel dialogue d’égal à égal avec les consommateurs."* François Laurent, professionnel du marketing et auteur du blog Marketing is dead, tire la sonnette d’alarme, le consommateur a cessé d’être dupe ! Or l’histoire de la consommation étant étroitement liée à celle du travail, si le consommateur ne croit plus aux promesses des marques, le salarié ne semble guère plus optimiste quant à celles du dirigeant. Un défi de taille s’annonce donc pour les marketers et les D.R.H. du XXIe siècle ! Les serments ne suffisent plus, la ménagère et l’employé, porteurs des douleurs de leur histoire sont respectivement devenus consom’acteur et collaborateur et la diversité sémantique se propage dans les services des organisations.
L’entreprise ne peut plus se contenter de "séduire" le client, elle doit à présent faire les yeux doux au salarié. On parle ainsi de plus en plus de "salariés-clients", une dualité homogène qui se ressource dans chacune de ses composantes. Le client se soucie de plus en plus de l’éthique de l’entreprise et de sa responsabilité sociale tant au niveau interne qu’externe. Une organisation au sein de laquelle les salariés se suicident tout comme celles qui ne participent pas au développement durable ou font travailler des enfants à l’autre bout du monde n’ont pas bonne presse. La mauvaise image de l’entreprise freine le client dans ses achats et ne donne pas envie au collaborateur d’associer son image personnelle à celle d’une telle organisation. Le salarié a donc des attentes assez proches de celles du client puisqu’il recherche avant tout une entreprise où "il fait bon vivre" et ce, bien avant la nature du salaire proposé. L’organisation pérenne se doit donc de mettre en place une stratégie d’innovation sociale, c’est ce qu’elle attend du marketing social.
De manière globale, il s’agit d’utiliser les outils du marketing, soit de définir les besoins, les attentes, les freins et les motivations de la cible concernée par l’étude afin de délimiter les contours d’une problématique et/ou d’une stratégie. La communication sera ensuite adaptée à cette stratégie. En termes sociaux, le marketing est globalement utilisé dans deux secteurs d’intervention, le secteur associatif et humanitaire d’une part et les services de ressources humaines des organisations, d’autre part. On parle alors de marketing R.H. La pénurie de certains profils sur le marché, la mise en concurrence accrue de ces profils, l’absentéisme, le turn-over et la gestion du stress sont les principales composantes du "package social" qui intéresse le marketing des ressources humaines.
Selon la ou les problématiques que rencontre l’organisation, il s’agira donc de définir les besoins, les attentes et les difficultés (freins) des salariés internes et/ou des collaborateurs potentiels de l’entreprise. Les outils de l’audit social seront ceux des études marketing : baromètre, enquête de satisfaction, enquêtes quantitatives et qualitatives. L’analyse de cette phase d’étude permettra ensuite aux ressources humaines d’élaborer, en lien avec les services de direction, de marketing et de communication, une stratégie de "marque employeur", véritable signature de différenciation de l’organisation sur son environnement métier. Si des outils tels que la création d’une crèche interne ou des avantages sociaux particuliers pourront, à la lumière de cette étude, être mis en place, la démarche du marketing social reste toutefois beaucoup plus globale. Les outils de différenciation ne représentent qu’une partie d’une politique de culture d’entreprise qui ne peut se résumer à quelques avantages "gadgets". Enfin, le consommateur et le salarié ne se laissant plus bercer par la démagogie des décennies passées, la stratégie et la communication de cette politique d’identité, véritable état d’esprit de l’entreprise, devront reposer sur une réalité de pratiques sous peine de perdre très rapidement toute crédibilité.
Dans un fort contexte de mondialisation, l’organisation, prise dans les tourments de la concurrence et du court terme, a fini par perdre de vue la notion de lien social, terreau indispensable pour cimenter tout collectif. Or, la performance économique de demain, essence même de l’entreprise, ne pourra, au regard du contexte dans lequel elle évolue ainsi que des nouvelles attentes de l’individu face au marché du travail, faire l’économie d’une ré-humanisation de la relation. L’organisation compétitive et innovante devra être à l’écoute de ses clients mais aussi de ses collaborateurs puis devra décliner son identité, nourrie de ses valeurs. Face à l’élaboration de cette politique d’image et de culture d’entreprise, la sociologie, la psychologie du travail, le team-building mais aussi le marketing social semblent être des approches complémentaires et salvatrices pour l’organisation de demain.
Isabelle Buot-Bouttier
* Le Monde, Dossier & Documents, septembre 2007
* François Laurent, Fondateur de ConsumerInsight, coprésident de l’ADETEM, Marketing Magazine, n° 116, octobre 2007.
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