Quel modèle économique pour lutter contre la Chine ?
J’avais écrit cet article au moment du débat autour de la constitution européenne. Il dépasse ce débat pour parler de la guerre économique qui se joue, avec, comme adversaire principal des occidentaux, la Chine. Où l’on voit que la meilleure stratégie pour gagner la guerre est en fait la recherche de la paix...
Les défenseurs de la constitution qu’on nous propose nous disent que cette constitution sera un outil nécessaire pour lutter contre les Etats-Unis et surtout contre
Pour parer le coup, il est nécessaire d’employer une arme plus puissante que nos adversaires, et cette arme, c’est le texte de la constitution lui-même. Il est clair, pour ceux qui ont quelque connaissance du contenu de la partie III (dont les thuriféraires du oui ne parlent jamais), que la politique économique que cette constitution impose, c’est le libéralisme, dans sa forme ultra, mais avançant masqué sous les voiles du social : totale liberté de circulation des capitaux, concurrence libre et non faussée, qui s’applique même aux services d’intérêt général, interdiction d’emprunter de l’argent à la Banque centrale européenne, indépendante de tout contrôle démocratique de l’Union, etc. Ceux qui ont l’honnêteté, parmi les défenseurs du oui, de reconnaître cette orientation libérale, comme François Bayrou, nous disent que si l’on veut devenir plus fort dans un monde où la compétition sauvage domine, on n’a pas d’autre choix que de passer par le libéralisme. Le problème, c’est bien celui-là : cette constitution ne nous laisse pas le choix, autrement dit nous impose le non-choix, ce qui est contraire à l’essence même de la démocratie. D’autre part, est-ce bien raisonnable de soutenir, en la reconnaissant comme inévitable, la compétition mondiale sauvage, quand on sait qu’en face il y a une Chine avec plus d’un milliard d’habitants ? Le combat est perdu d’avance, à moins qu’on ne parvienne à abaisser le coût du travailleur européen à la hauteur du travailleur chinois. Mais dans ce cas, notre société européenne tomberait bien bas, et de toute façon les révoltes sociales violentes entraînées par la pression sur la population détruiraient la cohésion interne de nos pays démocratiques avant même qu’on ne parvienne à ce stade. Autrement dit, l’attitude qui consiste à s’enfoncer dans le carcan ultralibéral plutôt que d’essayer d’en sortir en agissant au niveau des institutions financières et commerciales internationales est tout bonnement suicidaire.
On voit bien que les premiers bénéficiaires de cette libéralisation poussée ne seront pas les pays d’Europe, mais bien les entreprises multinationales, qui seules sont les vraies bénéficiaires de cette concurrence sans frein, parce qu’elle oblige les nations à abaisser les coûts du travail pour rester compétitives. Et les multinationales sont seules capables de délocaliser dans des proportions suffisantes leurs activités dans des pays aussi lointains que
Mais, me direz-vous, si le libéralisme ne peut pas permettre de lutter contre cette puissance émergente qu’est
Les multinationales pourraient, par exemple, autoriser l’émergence de syndicats indépendants, augmenter les salaires pour permettre aux travailleurs chinois d’avoir plus d’argent, donc plus de pouvoir face à l’Etat, abaisser le nombre d’heures de travail pour dégager du temps libre, nécessaire aux citoyens pour cultiver leur esprit critique, pour organiser la vie sociale, pour s’engager dans des associations, et ainsi favoriser l’émergence d’une société civile, qui pourrait à terme faire changer le visage de cette Chine qui n’a de république et de populaire que le nom. Mais non, les multinationales sont prisonnières de leur vision à court terme, aveuglées par les œillères du profit, et ignorent les dangers d’une telle attitude. Prenons un exemple récent pour illustrer notre propos : en ce moment, le seul syndicat chinois, contrôlé par le Parti, fait pression pour s’introduire à l’intérieur des entreprises. S’il y parvient, il pourra exercer une forme de contrôle sur ces entreprises, ce qui à l’évidence est une perspective dangereuse. Le seul moyen pour les multinationales d’endiguer cette menace serait de permettre l’émergence de syndicats libres à l’intérieur de leurs structures, mais elles refusent de se passer de cet avantage d’absence de syndicats, qui leur permet de cultiver leurs profits à court terme.
Mais cet aveuglement démontre une chose encore plus importante : l’ignorance des occidentaux de la stratégie chinoise au sein de la guerre économique mondiale. Citons le sage chinois Sun Tzu, qui vécut au VIe siècle avant Jésus-Christ, qui écrivait dans L’Art de la guerre :
Généralement, celui qui occupe le terrain le premier et attend l’ennemi est en position de force... C’est pourquoi ceux qui sont experts en l’art militaire font venir l’ennemi sur le champ de bataille et ne s’y laissent pas amener par lui. Celui qui est capable de faire venir l’ennemi de son plein gré y parvient en lui offrant quelque avantage.
Or, que fait
Percez donc à jour les plans de l’ennemi et vous saurez quelle stratégie sera efficace et laquelle ne le sera pas.
Le mode de fonctionnement de l’ennemi, c’est celui du libéralisme, et la stratégie efficace, c’est de soutenir le libéralisme en s’introduisant au sein de l’OMC et en passant à l’économie de marché. Alors que les occidentaux croient que
Un dernier précepte de la stratégie de Sun Tzu nous dit :
De même que le flot épouse les accidents du terrain, de même une armée, pour parvenir à la victoire, adapte son action à la situation de l’ennemi.
Et, de même que l’eau n’a pas de forme stable, il n’existe pas dans la guerre de conditions permanentes .
La première nécessité pour résister, dans une bataille, c’est la souplesse, la capacité de s’adapter au changement des conditions du combat. Contrairement à
Pour éviter de nous faire écraser par
- de substituer la coopération à la concurrence sans frein et la compétition
- de rendre possible le recours au protectionnisme et de permettre aux Etats de réguler l’économie de marché
- de tout faire pour que la démocratie se développe en Chine, car une démocratie a moins tendance à vouloir conquérir le monde qu’une dictature
- de renforcer les relations culturelles avec
Et l’Europe a suffisamment de poids au sein des institutions financières et commerciales internationales pour inverser la tendance, pour faire sortir le monde du libéralisme débridé qui nous conduit tout droit au suicide. Ce n’est pas avec une telle constitution que nous pourrons le faire.
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