Restauration : vers l’obligation d’afficher si le plat n’est pas « fait maison »
« C'est (…) bon pour le moral des restaurateurs qui se donnent du mal pour offrir des plats maison à leurs clients, alors que la hausse des prix des produits alimentaires et du coût de l'énergie ne les a pas épargnés. » (Olivia Grégoire, le 22 octobre 2023).
Parler bouffe alors qu'il y a des guerres, des massacres, des horreurs en cours ? Oui. D'abord, il s'agit de parler de "bonne bouffe". Ensuite, les horreurs, individuelles ou collectives, il y en aura toujours, et il faut bien continuer à vivre et même à rire. C'était cette réflexion qui fusait lors des attentats du Bataclan le 13 novembre 2015. Lorsque tu peux être assassiné uniquement pour avoir osé t'installer en terrasse dans un café un vendredi soir pour papoter tranquillement avec des copains, il y a deux solutions : ou tu te terres au fond de ton trou jusqu'à la fin de ta vie... ou tu ignores ces considérations et tu continues à vivre, tu fais ce que tu avais l'intention de faire, car c'est le principe de la terreur, c'est l'objectif des terroristes, la cible, c'est notre mode de vie. Alors, parlons bouffe.
Ce dimanche 22 octobre 2023, dans une interview à "La Tribune Dimanche", la Ministre déléguée aux PME Olivia Grégoire a confirmé la mise en place d'une future obligation pour les restaurateurs : lorsqu'un plat proposé sur la carte n'est pas "fait maison", il faudra le signaler auprès du client. Cette obligation sera applicable en 2024 ou, au plus tard, en 2025, dans le cadre d'une loi à la suite d'une concertation avec les professionnels de la restauration et les associations de consommateurs.
Les objectifs de cette nouvelle obligation pour les restaurateurs sont évidemment la protection des consommateurs, les clients locaux comme les touristes (et la France a un rang à tenir sur ce secteur), mais aussi la défense des restaurateurs qui font leurs plats sur place, et plus généralement, de la gastronomie française.
L'idée est aussi de trouver des mécanismes de contrôle efficaces pour que cette obligation soit réelle. Les grands cuisiniers se réjouissent bien sûr de cette annonce mais certains pointent déjà du doigt quelques freins : le "fait maison" est moins cher en matières premières, mais impose de recruter des professionnels en cuisine ; le métier de chef est un métier en tension sur le marché de l'emploi, c'est difficile d'en embaucher.
Actuellement, cet aspect de la restauration est régie par la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, résultat d'une large consultation auprès des organisations professionnelles, associations de consommateurs et entreprises de distribution de produits alimentaires, et par le décret n°2014-787 du 11 juillet 2014 complété par le décret n°2015-505 du 6 mai 2015 sur la mise en place d'une mention "fait maison" dans les établissements de restauration commerciale ou de vente à emporter de plats préparés. Depuis le 15 juillet 2014, les restaurateurs peuvent ainsi indiquer à ses clients que certains ou tous leurs plats sont "faits maison" selon une définition très encadrée.
Comme l'explique le site du gouvernement, l'affichage de cette mention « oblige les professionnels à recourir aux produits crus, sans considération des procédés de conservation ou de conditionnement ». Le second décret (du 6 mai 2015) « justifie les raisons pour lesquelles certains produits sont autorisés ; toilette la liste des produits bruts tolérés du précédent décret ; acte la suppression de la mention obligatoire et clarifie l’utilisation du logo pour les produits finis qui n’ont pas été réalisés par le professionnel ».
En particulier, « certains produits sont acceptés pour l’élaboration de plats permettant d’être siglés "faits maison", notamment en ce qui concerne les produits que le consommateur ne s’attend pas à ce que le restaurateur les réalise lui-même et certains produits pour des raisons de sécurité sanitaire et de lutte contre le gaspillage alimentaire (y compris les produits à base d’œufs et les légumes blanchis). ».
Ainsi « le ministère a établi un logo, facilement reproductible, que les consommateurs devraient pouvoir trouver sur les cartes et menus dès à présent, composé d’une casserole surmontée d’un toit de maison. Ce logo peut figurer une seule fois, pour l’ensemble d’une carte si tous les plats sont réalisés exclusivement sur place avec des produits crus (c'est-à-dire acquis sans chauffage ni assemblage), ou en face de chacun des plats qui respectent les conditions d’élaboration prévues dans le décret. Si ce dispositif est simple, il n’exclut pas pour autant un certain niveau d’exigence. La DGCCRF, dans le cadre de ses contrôles habituels des établissements, vérifie la véracité des informations et dispose de son arsenal juridique pour sanctionner les tromperies. ».
Actuellement, il n'y a aucune certification pour avoir le droit d'apposer le logo "fait maison". Il n'y a donc pas de contrôle préalable de l'administration. En revanche, s'il s'avérait qu'il s'agisse d'une publicité mensongère, le restaurateur risquerait gros puisqu'il serait sanctionné pour délit de pratique commerciale trompeuse ; il encourrait alors une peine de deux ans de prison et une amende de 300 000 euros.
Il faut aussi remarquer ceci : « Un plat "fait maison" n'est pas forcément un plat artisanal. Il peut en effet être produit en grande quantité de façon industrielle (restaurants de chaîne, restauration collective), et non par un artisan. À l'inverse, un professionnel qui porte le titre d'artisan cuisinier ou de maître restaurateur doit proposer uniquement des plats faits maison. ».
Cette mention "fait maison" est pour l'instant facultative et finalement peu utilisée par les restaurateurs. Ce que souhaite le gouvernement, c'est de renverser le paradigme, que soit affichée de manière obligatoire une mention du style "pas fait maison" lorsque c'est le cas.
De quoi probablement inquiéter beaucoup de restaurateurs qui proposent une carte très longue de plats (parfois une centaine !) et aussi quelques boulangers qui ne cuisinent plus eux-mêmes les pâtisseries qu'ils proposent aux côtés de leurs pains. Pour les consommateurs, cette clarification sera bénéfique : ils sauront à quoi s'en tenir, même s'il y a fort à parier que l'indication désormais obligatoire du "fait maison" (ou la non-mention de "pas fait maison") valorisera un peu plus les plats, c'est-à-dire, augmentera leur prix.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (22 octobre 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Guide d'interprétation sur le "fait maison" (de janvier 2020).
Site d'information sur le "fait maison".
Restauration : vers l'obligation d'afficher si le plat n'est pas "fait maison".
Jean-Pierre Coffe.
Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".
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