Retour de l’inflation : entre revendications salariales et surprofits des grandes entreprises
Depuis quelques mois déjà, la presse mainstream multiplie les effets d’annonce et les gros titres au sujet de l’inflation qui serait occupée à faire son grand retour. S’il est vrai que la hausse des prix aux Etats-Unis a été spectaculaire depuis un an, on notera que cela fut un peu moins le cas en Europe mais que les lignes sont, pour l’heure, en train de bouger sur le Vieux Continent. On discutera également dans ce texte de la question de l’autoalimentassions de l’inflation en faisant clairement référence aux théories postkeynésiennes dans le domaine. En ce qui concerne les prix de l’énergie, l’organisation du marché libéralisé de l’énergie en Europe sera également passée au crible de la critique.
Aux Etats-Unis, une certaine pénurie
Les chiffres sont particulièrement éloquents. Pour rappel, la core inflation désigne l’évolution des prix en omettant une série de produits, comme les matières premières agricoles ou énergétiques, dont les cours sont sujets à de fortes variations. En octobre de cette année, la core inflation aux Etats-Unis s’élevait à 4,58%. Il s’agit là d’un niveau important puisqu’en intégrant les prix de l’énergie et des aliments, on arrive à établir un indice des prix à la consommation de 6,24%[1]. D’un point de vue davantage diachronique, c’est-à-dire en considérant les choses dans le temps, on s’aperçoit que l’inflation, que l’on intègre ou non les produits énergétiques et les aliments dans le panier de la ménagère, était en voie de stabilisation (accusant même, au passage, une légère baisse) au cours de l’été entre juin et septembre de cette année. A cette époque, la core inflation aux Etats-Unis était passée de 4,47 à 4,03%.
En ce temps (déjà lointain semble-t-il), Janet Yellen, l’actuelle Secrétaire au Trésor de Joe Biden, se voulait rassurante. L’inflation outre-Atlantique était, selon elle, de nature essentiellement transitoire. De surcroît, toujours selon cette même source, des éléments de refroidissement étaient également à signaler, parmi lesquels le fait que les taux d’intérêt à long terme (10 ans) sur les Bons du Trésor étaient légèrement orientés à la baisse. Cela signifiait, d’après Janet Yellen, que si les taux diminuaient, c’est parce que les marchés n’anticipaient une hausse du niveau général des prix. On pourrait rapporter ce mouvement à une anticipation à la baisse du taux de croissance de l’économie américaine, sans que cette dernière ne puisse renseigner de quelque manière que ce soit sur des anticipations concernant le niveau de l’inflation. Après tout, les années 1970 aux Etats-Unis se sont bien caractérisées par un épisode de stagflation, lequel correspondait à la coexistence de taux d’inflation élevés et des taux de croissance faibles voire nuls selon les années. Pour information, le taux moyen de croissance du PIB aux Etats-Unis entre 1974 et 1980 a été de 2,07% alors que l’inflation moyenne y a été, durant cette même période, de 8,5%. En tout état de cause, les invitations au calme de l’ancienne titulaire de la FED ne se sont pas traduites par une diminution de l’inflation outre-Atlantique. Les faits sont là.
Au contraire, la core inflation aux Etats-Unis en octobre de cette année n’avait plus jamais été aussi élevée depuis juillet 1991. Rien ne semble, d’ailleurs, indiquer qu’elle doive baisser dans les mois qui viennent. C’est ainsi que l'indice des prix à la consommation devrait progresser de 5,8% à la fin du quatrième trimestre de cette année par rapport à l'année précédente. Il s’agit d’un chiffre se situant au-dessus des 5,5% projetés il y a encore à peine un mois[2]. L’apparition récente du variant Omicron pourrait s’avérer susceptible d’aggraver les ruptures sur les chaînes de valeur. Dès lors, des frictions entre l’offre et la demande devraient en résulter avec à la clé une pression à la hausse sur les prix.
On constate, au demeurant, que les prix mesurés en novembre 2021 ont été augmentés de 6,8% par rapport à l’année précédente. Par rapport au mois d’octobre, les prix ont connu une hausse de 0,7%. En projection annuelle, cette tendance, si elle devait se prolonger tout au long de 2022, donnerait une inflation de 8,4% aux Etats-Unis[3]. Ce constat permet d’entrevoir assez clairement une auto-alimentation de l’inflation outre-Atlantique.
Par conséquent, les autorités monétaires américaines ne qualifient désormais plus l’inflation de temporaire. A la base de ce revirement, Janet Yellen signale l’apparition du variant Omicron. Ces déclarations confirment la vision de Jay Powell, le président de la Fed, qui n’a pas hésité à déclarer que l’inflation n’était plus un problème de court terme[4]. Il s’agit là d’une rupture majeure avec la thèse aujourd’hui encore dominante chez les banquiers centraux en Europe qui estiment que ce regain d’inflation n’est qu’un mauvais moment à passer. A ce propos, et la chose risque de surprendre, des analystes, que l’on hésitera sans peine à qualifier d’orthodoxes, estimaient encore tout récemment que la remontée de l’inflation n’était pas un problème pour la zone euro ou le Japon.
Par exemple, le Financial Times que l’on suspectera peu de complaisances démesurément hétérodoxes (ni même pro-keynésiennes) : « Pour le Japon et la zone euro, [cette] anticipation [d’une inflation limitée dans le temps] semble fondée, puisque ces deux économies ont été en proie au cours de la dernière décennie à une inflation structurellement faible »[5]. Il y avait même, dans ces conditions, un risque de rupture prématurée avec les politiques monétaires accommodantes qui ont été mises en œuvre en même temps que les mesures de confinement strict en mars 2020.
En quelques mois, le moins que l’on puisse dire est que les données ont changé pour l’Europe. L’inflation s’emballe sur le Vieux Continent. On se basera, pour vérifier cette hypothèse, sur l’indice des prix à la consommation (IPC) dans la zone euro. Pour rappel, l’IPC désigne un instrument permettant de quantifier les variations des prix des produits consommés par les ménages sans omettre l’énergie ou les produits alimentaires. On peut, de ce point de vue, dire que l’IPC renvoie à l’inflation réellement ressentie par les citoyens.
En la matière, les chiffres sont clairs. La variation sur un an de l’IPC de l’eurozone, au mois d’août 2021, était de 3%. On pouvait difficilement parler d’une poussée de fièvre inflationniste. Ce niveau avait, d’ailleurs, déjà été dépassé de manière structurelle entre décembre 2007 et octobre 2008. En juillet 2008, cette tendance à la progression des prix à la consommation atteignait, d’ailleurs, un sommet avec un taux annuel de 4,1%[6].
A cette époque, alors que la crise financière venait de commencer un an auparavant aux Etats-Unis, la BCE décidait de maintenir ses taux à un niveau élevé. De proche en proche, cette décision a conduit à une aggravation des difficultés au sein de la zone euro et plus particulièrement pour les pays d’Europe du sud[7]. Au demeurant, ces chiffres permettaient de penser que le retour à des politiques keynésiennes en Europe ne conduisait pas nécessairement à un déferlement de pressions inflationnistes incontrôlées. Depuis la fin des années 1970, un consensus a, en effet, émergé, au sein de la communauté des analystes économiques, pour estimer qu’un taux annuel de 10% était toxique.
Nous en étions encore, en effet, bien loin mais on se rassurait un peu vite par chez nous en rappelant sans cesse que les exercices de comparaison des prix qui s’effectuent sur une période d’un an intégraient forcément, en 2021, comme base de leur calcul le niveau particulièrement bas du deuxième trimestre 2020 alors que l’économie mondiale était pratiquement à l’arrêt. Il fallait faire le gros dos et attendre que le mal passe tout seul.
En novembre de cette année, ce storytelling qui avait décrété que l’Europe était définitivement à l’abri d’une vague inflationniste a sérieusement pris du plomb dans l’aile. La core inflation de la zone euro était, à l’époque, de 2,6%. Si la chose n’a rien à première vue de particulièrement alarmant, il se pourrait fort bien que nous étions arrivés, à ce moment précis, à la croisée des chemins.
C’est, en tout état de cause, l’hypothèse qui sera discutée et explorée, chiffres à l’appui, dans la suite de ce document. En réalité, jamais la zone euro n’a connu un tel taux d’inflation de base depuis sa création.
On s’aperçoit que la core inflation dans la zone euro est actuellement à un plus haut historique. Seules les premières années qui ont suivi la création de l’Euroland peuvent se comparer à la période actuelle. Cela dit, il faut bien constater que le chiffre relevé pour le mois de novembre de cette année est exceptionnel. Jamais sur une base interannuelle, on n’avait de mémoire d’Européen assisté à une telle progression des prix dans l’eurozone. Une tendance à l’emballement semble, en réalité, se manifester pour l’heure sur le Vieux Continent.
On constate la même tendance pour ce qui est de l’évolution de l’indice des prix à la consommation. En novembre 2021, ce dernier a, en effet, progressé en douze mois de 4,9%. Là encore, c’est du jamais vu pour la zone euro. C’est ainsi que la France a également connu une augmentation de son taux d’'inflation. Ce dernier se situait à 3,4%, soit son plus haut niveau en une décennie mais c'est en Allemagne, la plus grande économie du continent, que les prix ont le plus progressé. On peut même dire qu’ils ont grimpé en flèche avec un taux de 6%. Pour la Belgique, la progression des prix de l’indice à la consommation a été aussi particulièrement impressionnante avec un taux en novembre de cette année de 5,64%[8].
La presse britannique a, à l’occasion, pointé le fait que certains analystes financiers sur le Vieux Continent s’inquiétaient de l’intensité de la hausse des prix de base au-dessus de l'objectif de 2% de la BCE. Selon cette source, cette vigueur de l’augmentation du niveau général des prix signifiait que le taux d'inflation global était déjà en train de s’auto-entretenir par le biais de revendications d’augmentations salariales[9].
En réalité, tout s’est passé durant le premier semestre de cette année comme si l’actuel regain inflationniste était presque exclusivement un phénomène localisé aux Etats-Unis. Il n’y a rien d’étonnant à ce que ce soit les Etats-Unis qui aient expérimenté en tout premier lieu une vague d’inflation. En effet, le gouvernement de l’Oncle Sam n’a pas géré son marché du travail durant la pandémie de la même manière que ses homologues européens. Alors que les pouvoirs publics du Vieux Continent subsidiaient les employeurs pour que ces derniers gardent le plus possible au complet leurs équipes de travail, les autorités américaines ont fait le pari inverse consistant à s’en remettre davantage au jeu spontané des forces de l’offre et de la demande sur le marché du travail.
Les employeurs états-uniens ont donc, au contraire, bénéficié de la possibilité de licencier en masse. Ce qui explique que le taux de chômage outre-Atlantique a atteint l’impressionnant niveau de 14,3% en mars 2020. Trois mois auparavant, il était de 3,5%. Une rupture géographique s’est alors progressivement opérée entre employeurs et travailleurs car une partie de la main d’œuvre US a, pour faire face aux conséquences de la crise sur son niveau de vie, choisi de quitter les zones où le coût de la vie est le plus élevé. Or, ces régions (en particulier les métropoles de Los Angeles, San Francisco, New York et Chicago) constituent les piliers de l’économie américaine. Par conséquent, lorsque l’économie nationale est sortie des affres du confinement, les employeurs de ces grandes zones économiques ont, faute de candidats, été contraints de concéder des augmentations salariales pour pouvoir redémarrer. De surcroît, cette pénurie de main-d'œuvre a aggravé les dysfonctionnements des chaînes d'approvisionnement aux Etats-Unis, et partant, la pression à la hausse sur les coûts salariaux et donc le niveau général des prix[10].
Pour situer au mieux le phénomène, on signalera que les Etats-Unis ont, cette année, connu une vague de démissions sans précédent. Les salariés américains mécontents de leurs conditions de travail quittent leurs emplois en masse, créant une tendance à la pénurie du côté du marché du travail. Par exemple, 3,9 millions de travailleurs américains ont démissionné de leur emploi pour le seul mois de juin. Il s’agit là d’un record. Au total, d’avril à juin 2021, 11,5 millions de salariés américains ont quitté leur emploi. En moyenne, près de 4 millions de travailleurs employés aux Etats-Unis ont déserté chaque mois leur poste de travail au cours de cette période[11].
Trois facteurs permettent d’expliquer cette vague sans précédent. Tout d’abord, il semble possible d’identifier une volonté d’une partie de la main d’œuvre US de mieux concilier vies familiale et professionnelle. Cette motivation explique sans doute pourquoi davantage de femmes que d’hommes délaissent, pour l’heure, le marché du travail aux Etats-Unis. C’est ainsi qu’une salariée sur quatre envisageait, au mois de mars 2021, de réaménager sa carrière. La cause serait à imputer à des situations de stress et de burn out, elles-mêmes liées à des politiques publiques déficientes en ce qui concerne la compatibilité entre l’engagement professionnel et la vie de famille[12].
Un manque certain d’interventionnisme des pouvoirs publics US en ce qui concerne la conciliation des vies familiale et professionnelle doit donc être mis en cause. Ensuite, les caractéristiques en termes d’ancienneté des travailleurs concernés par le mouvement de cet épisode qualifié outre-Atlantique de « Grande Démission » permettent de repérer un indice troublant. Ce sont les salariés ayant entre 30 et 45 ans qui ont connu la plus forte progression des taux de démission, avec une augmentation moyenne de plus de 20% entre 2020 et 2021. Enfin, ce constat doit être croisé avec l’identification des secteurs les plus touchés par ce mouvement. Alors que les démissions ont en fait légèrement diminué dans des branches telles que la fabrication et la finance, les employés de la santé ayant quitté leur emploi a augmenté de 3,6 points de pourcentage (p.p) par rapport à l’année dernière, et dans la technologie, les démissions ont augmenté de 4,5 p.p. On peut donc en conclure que ce sont les éléments les plus recherchés dans les offres d’emploi (car encore jeunes mais présentant déjà une expérience fonctionnelle intéressante) qui sont les plus susceptibles de démissionner et ce, dans des secteurs qui connaissaient déjà des pénuries de candidats avant la pandémie, à savoir les soins de santé et les nouvelles technologies[13]. Il s’agit là de deux secteurs qui se caractérisent par des conditions de travail difficiles et une capacité à faire jouer la concurrence entre les employeurs de la part des salariés.
Avec le temps, cette situation a perduré. Par conséquent, l’augmentation des rémunérations qui s’en est suivie a fini par doper l’inflation aux Etats-Unis. De ce point de vue, les commentateurs conservateurs se sont quelque peu fourvoyés. Ceux-ci anticipaient, dès cet automne, un déclin de la force de la pression à la hausse sur les salaires. En effet, il se trouvait que les mesures de soutien destinées à pallier les conséquences du chômage corona ont été démantelées aux Etats-Unis au cours du mois de septembre de cette année. Selon ces mêmes sources, les ménages US auraient dû perdre, du fait de ce réaménagement législatif majeur, l’équivalent de 145 milliards de dollars de revenus qu’ils auraient forcément été contraints d’aller chercher sur le marché du travail[14].
D’ailleurs, il semblait, à cette époque, que l’inflation outre-Atlantique était en train de se calmer. Au mois d’août de cette année après douze mois de hausse ininterrompue, l’inflation états-unienne est retombée à son niveau du début de l’année. En septembre 2021, les prix à la consommation aux États-Unis avaient, d’ailleurs, augmenté à leur rythme le plus lent depuis un semestre.
Au début de l’automne 2021, ces éléments permettaient de penser que l'inflation aux Etats-Unis avait peut-être déjà atteint son sommet et qu’une phase de diminution allait progressivement voir le jour au cours du premier trimestre 2022[15]. Nous n’en sommes, d’évidence, plus là aujourd’hui. Un consensus a, en effet, émergé, outre-Atlantique, qui n’espère pas une retombée de l’inflation avant 2023 au minimum. Pour y voir plus clair sur ce point, il faut discuter de l’inflation d’un point de vue théorique.
Un peu de théorie au sujet de l’inflation
Les courants hétérodoxes en économie décrivent, l’inflation comme déterminée, en grande partie, par des facteurs exogènes correspondant à « des caractéristiques historiques, institutionnelles et culturelles. La cible des travailleurs [en termes de rémunération] dépend ainsi largement des critères d’équité qu’ils défendent et de l’information qu’ils reçoivent concernant les revenus perçus par telle ou telle catégorie socio-professionnelle »[16]. Du côté des entreprises, « la cible en ce qui concerne la rémunération du facteur travail dépend de différentes contraintes (…), en particulier la nécessité de réaliser un compromis entre l’objectif de croissance des managers et l’objectif de profit des actionnaires. Ce conflit entre les managers et les actionnaires peut d’ailleurs se retourner contre les travailleurs, lorsque les premiers baissent [le niveau des rémunérations] pour répondre à l’appétit croissant des seconds. Par ailleurs, [cet objectif de rémunération des travailleurs] diminue avec le degré de concentration des entreprises. Il en va de même en cas de hausse du taux de change réel, les entrepreneurs cherchant à préserver leurs marges face à l’augmentation du coût de l’énergie ou des matières premières importées de l’étranger »[17].
L’inflation, dans cette optique, procède d’un conflit de répartition entre capital et travail. Après qu’un choc exogène ait fait augmenter le niveau général des prix, les travailleurs décident de lutter collectivement pour le maintien de leur pouvoir d’achat et de leurs conditions sociales d’existence. Pour cela, ils revendiquent des augmentations de salaires. Mais ces augmentations se traduisent, d’un autre côté, par un alourdissement des charges d’exploitation pour les entreprises. Par conséquent, afin de maintenir le niveau de leurs profits, les compagnies privées augmentent le prix de vente de leurs produits. A partir de là, un second tour de revendications salariales peut voir le jour qui ne manquera pas de susciter, du côté des entreprises, un mouvement d’alignement à la hausse du prix final de leurs marchandises. Et c’est comme cela que l’inflation s’autoalimente. A la fin, il faut qu’un des deux facteurs de production s’incline devant l’autre. Ou bien le niveau des salaires réels va augmenter et ce sont les profits et les dividendes qui finiront par diminuer en termes réels ou alors, le niveau des profits se maintiendra, ce qui correspondra à une diminution de la valorisation réelle de l’effort productif des salariés. On ne sortira pas trop vite son drapeau rouge. C’est que la victoire n’est pas nécessairement au bout du piquet de grève. En effet, on peut repérer un précédent épisode d’autoalimentation de l’inflation de ce type au sein des pays de l’OCDE au cours des années 1970. Cette ère de forte conflictualité sociale s’est terminée par une augmentation très sensible des taux d’intérêts réels à partir de 1979 et une restructuration de l’appareil productif des grands pays industrialisés, entraînant, au passage, une diminution de la part des salaires par rapport au PIB et une précarisation croissante du monde du travail.
Il ne faut pourtant pas désespérer de l’avenir. En effet, le déroulement chronologique de la pandémie a contribué, de manière peut-être aussi involontaire que décisive, à une revalorisation idéologique du facteur travail en tant que source de la richesse collective. Lorsque le gouvernement chinois a, à la fin du mois de janvier de l’année dernière, décidé d’empêcher la main d’œuvre locale de se rendre au travail, il n’a pas fallu trois mois pour qu’un krach d’ampleur historique se produise sur les principales bourses de la planète. En France, le CAC 40 qui avait connu un plus haut situé à 6.111 points à la mi-février 2020 s’est complètement écrasé tant et si bien qu’au début du mois de mars, il était retombé au niveau 4.708 points. Il s’agit là d’une chute de près de 25%. La totalité des gains réalisés au cours de l’année 2019 a été intégralement effacée au cours de cette période. Aux Etats-Unis, le Dow Jones a perdu 40% de sa valeur entre janvier et mars 2020. En réalité, c’est l’ensemble des indices boursiers à travers le monde qui s’est effondré, faisant craindre une réédition du scénario de 1929[18]. La morale de l’histoire étant la suivante. Sans un ouvrier chinois derrière son poste de travail, Warren Buffett et autres gourous de la finance internationale n’étaient plus en mesure de réaliser un centime de bénéfice. Les vieilles litanies désignant les salaires comme des coûts et rien que des coûts de production et insistant très lourdement sur la création de valeur à partir du libre fonctionnement des marchés ont explosé en plein vol. Au contraire, la thèse des économistes classiques qui, de Smith à Marx en passant par Ricardo, assigne une fonction centrale au facteur travail dans la création de la richesse venait de se voir pleinement validée en direct de la manière la plus confondante qui soit. Et cela, des millions de travailleurs à travers le monde l’ont vu en même temps alors qu’ils assistaient à la débâcle des marchés financiers au fur et à mesure que les mesures de confinement se généralisaient. On ajoutera à cela que les fonctions essentielles, synonymes de mise au travail pendant la pandémie, étaient souvent des emplois ouvriers mal rémunérés et pénibles. On pouvait difficilement imaginer un scénario à ce point propice à la multiplication des conflits sociaux.
Voilà sans doute pourquoi on signale, depuis des mois, aux Etats-Unis une vigoureuse remontée de la conflictualité sociale. Depuis un an, des dizaines de milliers de travailleurs se sont mis en grève aux USA. Il s’agit là d’une vague de troubles sociaux sans précédent qui a commencé au mois de mai 2020 alors que les travailleurs maintenus sur leur poste de travail, en raison du caractère « essentiel » de leur emploi, ont débrayé spontanément pour exiger de meilleurs salaires et des conditions de travail plus sûres. A l’époque, les directions syndicales espéraient que ce mouvement gagnerait en vigueur.
C’est peut-être chose faite aujourd’hui. Les syndicats américains sont, en effet, sur la défensive depuis des décennies, mais en octobre de cette année, il y a eu une explosion surprenante de militantisme et de grèves alors que les travailleurs sont passés à l'offensive pour exiger des revalorisations salariales. La chose a pris une telle tournure que les commentateurs spécialisés dans l’analyse de la conflictualité sociale aux Etats-Unis ont qualifié le mois d’octobre de cette année de « striketober », soit un mot-valise formé à partir de strike (grève) et october (octobre). Ce mois d’octobre 2021 fut donc le grand mois de la grève au pays de l’Oncle Sam, du billet vert et des marchés financiers libéralisés.
Et en Europe, le pari de la modération salariale
Jusqu’à la fin de l’été 2021, de telles évolutions en termes de conflit de répartition étaient exclues par les observateurs de l’économie européenne qui estimaient que le regain d’inflation actuel était un problème qui se posait exclusivement aux Etats-Unis. L’Europe, pour sa part, ne serait, d’après cette grille de lecture, que faiblement affectée par cette remontée des prix. Il n'y avait d’ailleurs, pour le surplus, « rien d’intrinsèquement dangereux à ce que l'inflation s'installe dans une fourchette de 3 à 5% au lieu des 1 à 2% qui étaient normaux au cours de la dernière décennie.
Le plus grand risque était (et, comme nous le verrons plus tard, demeure) que les banquiers centraux jusque-là accommodants perdent leurs nerfs et augmentent les taux d'intérêt jusqu'à provoquer une récession, comme ils l'ont déjà fait dans le passé[19]. Il ne fallait même pas s’étonner qu’à titre transitoire, des pénuries sur le marché de l’emploi en Allemagne, s’expliquant en grande partie par une démographie en berne outre-Rhin, aient pu conduire à un pic d’inflation inégalé depuis 13 ans à 3,4%[20].
Il n’y avait là rien de vraiment bien préoccupant dans la mesure où ce chiffre ne permettait guère d’évoquer un dérapage inflationniste. En tout état de cause, rien de tout cela ne justifiait que l’on tire prématurément la sonnette d’alarme, ce d’autant que l’inflation en Allemagne devait se stabiliser autour de 2 à 2,5% en 2022[21]. Au total, ce serait business as usual dans la mesure où l’inflation moyenne pour la zone euro devrait un peu remonter mais se situerait plutôt autour de 2,5% dans les années à venir. La chose ne dérangeait même pas la Banque Centrale Européenne (BCE), laquelle avait, au cours de l’été, admis que le seuil de 2% ne constituait pas spécialement un plafond[22].
Ce début de remontée de l’inflation avait tout de même intrigué, mais fort modérément, les banquiers centraux. C’est ainsi qu’à la fin du mois de septembre 2021, les représentants des grandes banques centrales, à l’occasion d’un forum organisé par la Banque Centrale Européenne (BCE), avaient manifesté leur préoccupation en ce qui concerne les goulets d’étranglement sur les chaînes de valeur. Selon Jay Powell, l’actuel président de la Fed, la remontée de l’inflation serait temporaire, le temps que l’offre et la demande se rééquilibrent à l’échelle mondiale[23].
L’explication de ce bel optimisme des banquiers centraux avait été exposée, à cette époque, par Christine Lagarde. Cette dernière avait, en effet, estimé que rien ne permettait de penser que les perturbations de la chaîne d'approvisionnement alimenteraient des « effets de second tour »[24]. Ces derniers désignent bien les mouvements par lequel des revendications salariales émergent pour faire face à l’augmentation du coût de la vie. Au passage, on notera que madame Lagarde validait dans les faits un cadre hétérodoxe pour expliquer les phénomènes de montée inflationniste en lien avec un conflit de répartition capital-travail.
C’est, de ce point de vue, évidemment en cas d’activation d’effets de second tour que l’inflation peut s’autoentretenir puisque c’est à ce moment précis que les entreprises pour maintenir leurs marges augmentent leurs prix de vente. Cette augmentation est alors susceptible de nourrir la boucle de rétroaction précédemment décrite à l’occasion de laquelle de nouvelles exigences de revalorisation salariales sont formulées par le collectif des salariés, lesquelles susciteront en retour une réaction du patronat en termes de hausses des prix. Et le serpent de se mordre joyeusement la queue jusqu’à ce qu’un des deux facteurs de production remporte la bataille de la répartition de la valeur ajoutée.
En d’autres termes, le maintien des taux de profit devait être assuré par la modération salariale. C’était, en tout cas, le pari de la BCE. Il y a lieu aujourd’hui de questionner le bien-fondé de cette analyse. D’après Eurostat, le taux d'inflation dans la zone euro a, comme nous l’avons vu précédemment, atteint, son plus haut niveau depuis le début de ses estimations, il y a de cela plus de 20 ans.
A ce sujet, on n’oubliera pas de faire remarquer que le différentiel entre les Etats-Unis et l’Europe concernant la progression de l’inflation ne cesse de se rétrécir. Sur un an, l’inflation aux Etats-Unis a gagné 6,2 points en novembre de cette année contre 4,9 pour la zone euro. On ne peut plus guère, dans ces conditions, soutenir que la question de l’augmentation des prix a un visage radicalement différent des deux côtés de l’Atlantique.
Pour ce qui est du cas du Vieux Continent, on commence, d’ailleurs, à voir émerger un peu partout des conflits visant à des revalorisations salariales. Depuis le mois d’octobre de cette année, un nombre croissant de travailleurs en Allemagne réclame des salaires plus élevés dans un contexte d’augmentation de l’inflation. Certains se mettent en grève, ce qui fait craindre aux économistes (néoclassiques, il va sans dire) que des demandes généralisées de salaires plus élevés ne déclenchent une spirale inflationniste autoentretenue dans la plus grande économie d'Europe. Le récit selon lequel les accords salariaux allemands se sont bien comportés cette année appartient de plus en plus clairement au registre de la fable.
De ce que l’on peut, en effet, observer des derniers développements dans le domaine des relations industrielles outre-Rhin, il est de plus en plus évident que les syndicats y engagent les négociations sur la base de revendications liées aux chiffres actuels de l'inflation, et non aux anticipations d'inflation[25]. On peut, à ce propos, estimer que cette base de négociation va commencer à s’étendre à travers l’Europe.
C’est ainsi que l’économie belge, et cela ne se produit pas tous les jours, a eu récemment l’honneur d’intéresser la grande presse économique française de référence. Cette dernière n’a pas manqué de relayer les inquiétudes de la FEB devant la perspective d’une « spirale prix-salaires » en Belgique[26]. L’hypothèse d’un point de basculement, constituant, par ailleurs, une rupture avec la vision irénique que professait encore la BCE à la fin de l’été dernier, ne peut en tout cas être balayée d’un revers de la main.
Les digues de la politique européenne de limitation des effets de second tour de la vague inflationniste via la compression salariale vont peut-être commencer à céder petit à petit. On verra plus tard que la question de l’autoalimentation de l’inflation nécessite également d’interroger le niveau des marges bénéficiaires des entreprises.
Nul ne s’étonnera que ce questionnement soit singulièrement absent des revendications de la FEB ou des papers de la BCE. Ce document n’hésitera pas à trancher avec cet unilatéralisme ronronnant dont la nature idéologique n’échappera évidemment à personne.
Mais chaque chose en son temps. Pour l’heure, on veillera à identifier les composantes qui poussent à la hausse les taux d’inflation.
Deux secteurs au cœur des débats
A ce propos, force est de constater que l’actuel regain d’inflation en Europe fut, jusqu’à cet été le fait quasi exclusif de l’énergie dont les prix ont augmenté de 15% en un an.
En revanche, on notait, à cette époque, pour les autres composantes de l’inflation un comportement assez proche de ce qui a existé dans un passé récent. C’est ainsi que le prix des services avait retrouvé un rythme de progression comparable à ce qu’il avait été entre 2018 et 2019. Pour ce qui est du poste « aliments, alcool et tabac » (en anglais : « food, alcohol & tobacco »), on s’apercevait que le rythme de progression du niveau des prix pour cette catégorie de biens s’était plutôt calmé entre août 2020 et 2021. Autrement dit, les prix des aliments ont augmenté au cours des douze derniers mois mais moins qu’entre 2019 et 2020. L’inflation, pour cette catégorie de biens, semblait donc légèrement diminuer. On constatait également une progression du prix des produits industriels non-énergétiques (en anglais, « non-energy industrial goods ») qui avaient connu une hausse de l’ordre de 3% entre août 2020 et 2021.
Il s’agissait là d’un niveau d’augmentation interannuelle sans précédent depuis 10 ans. En revanche, le secteur des services, qui est le principal employeur des travailleurs européens de nos jours, n’était clairement pas sujet à une augmentation de ses coûts. On peut en déduire que dans ce segment de l’économie, on ne pouvait pas encore discerner d’augmentation notable des salaires réels. Il est vrai qu’en France, par exemple, selon l'étude sur la rémunération du cabinet Deloitte publiée en septembre de cette année, 45% des salariés de l’Hexagone n'ont obtenu aucune augmentation en 2021 et près de 30% ont vu leurs salaires progresser de moins de 2%… soit un niveau inférieur à l'inflation, inflation que l'Insee a estimée en octobre, sur une année glissante, à 2,6% (contre pour 0,5% pour 2020)[27]. Autrement dit, la valeur réelle des salaires perçus par ces travailleurs a diminué.
Au total, deux secteurs doivent donc mobiliser notre attention si l’on veut tenter d’expliquer la montée actuelle de l’inflation en Europe. Il s’agit des produits industriels non-énergétiques et de l’énergie. Chacun de ces secteurs sera analysé séparément.
Le point sur l’énergie
Commençons par l’énergie. Les mesures de confinement introduites en mars 2020 se sont fort logiquement traduites par un affaiblissement de la demande, notamment en ce qui concerne l’énergie. Les chiffres sont, de ce point, de vue assez impressionnants. Une diminution spectaculaire de la consommation d’énergie s’est produite l’année dernière. Il a été, à ce propos, calculé que la demande dans le secteur a baissé de 4,5% à cette époque. Il s’agit de la plus forte diminution depuis 1945[28].
En revanche, le rebond économique de 2021 s’est traduit par une reprise de la demande d’énergie et cette dernière a été plus rapide que ce qui était initialement prévu. En effet, la demande mondiale en produits énergétiques a été, d’après l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), complètement rétablie cette année alors qu’il était initialement prévu qu’elle ne retrouverait son niveau de 2019 qu’en 2023 seulement[29].
En attendant, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et ses alliés n’ont que très partiellement revu à la hausse leur production de brut. Par exemple, l'OPEP+ (élargie à la Russie) s’était réunie au mois d’octobre de cette année afin de redéfinir sa politique de production. Les pays consommateurs furent bien peinés d’apprendre que le cartel formé par les puissances pétrolières de la planète n’amplifierait pas l’expansion de la production décidée deux mois auparavant. Pourtant, jusqu’à cette époque, les pays producteurs de pétrole n’avaient que très partiellement augmenté leur production. En réalité, les pays de l’OPEP ont, au cours de l’année écoulée, éprouvé de grandes difficultés à extraire suffisamment de pétrole pour faire face à la demande mondiale. Des pays producteurs, spécialement en Afrique (Angola et Nigéria), se sont trouvés dans l’impossibilité d’intensifier leur production en raison d'années de sous-investissement ou encore de gros retards dans des travaux de maintenance suite à la pandémie[30].
Cette dernière a, en réalité, contribué à masquer temporairement une tendance structurelle en matière de production pétrolière qui permettait d’augurer, il y a quelques années déjà, d’un nouveau choc pétrolier. En effet, la stagnation des cours du baril depuis 2015-2016 a conduit à une diminution des investissements dans le secteur de telle sorte que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) entrevoyait, en 2017, une flambée des prix à partir de 2022. La pandémie a constitué une pause qui a masqué cette tendance lourde. « Pour tenter d’éviter la pénurie, les pays de l’UE diminuent leur consommation depuis 2010, grâce notamment aux énergies renouvelables. Mais la baisse n’est pas suffisante. L’agence Rystad a estimé mi-juin que le pic pétrolier se rapproche. Nous disions auparavant qu’il arriverait autour de 2030. Nous pensons maintenant qu’il pourrait arriver en 2027 ou 2028 et avec lui une véritable pénurie de pétrole pour les pays de l’Union européenne »[31]. En outre, la baisse de la consommation de pétrole en Occident pourrait être plus que compensée par une augmentation de la demande finale en Afrique ou en Asie du sud-est[32]. Le baril pourrait donc continuer à coûter cher à l’avenir.
Pour toutes ces raisons, il n’était en rien acquis que le sommet de l’OPEP du mois d’août de cette année, ayant débouché sur une augmentation de la production journalière de 400.000 barils, eût pu être en mesure d’exercer une pression à la baisse significative sur les cours. C’est ainsi que les analystes de Goldman Sachs entrevoyaient un baril à 90 dollars à la fin de cette année. Toutefois, le rétablissement progressif de la production et la perspective d’un accord entre l’Iran et les Etats-Unis conduisaient la célèbre banque d’affaires américaine à abaisser ses prévisions pour le deuxième et le quatrième trimestre de 2022 avec un baril oscillant entre 80 et 85 dollars. Sur ce point, il faut bien constater que les prévisions de Goldman Sachs se sont avérées quelque peu en décalage avec la réalité. En effet, le baril d’or noir se situait, à l’heure où ces lignes étaient écrites (12 décembre 2021), aux niveaux de 72,27 dollars US pour le baril WTI (indicateur de référence aux Etats-Unis) et de 75,35 dollars US pour ce qui est du Brent en Europe. Ce décalage sensible s’expliquerait au départ par une augmentation de la production de pétrole dans les pays n’appartenant pas à l’OPEP+.
A ce propos, l'Agence internationale de l'énergie estimait, à la mi-novembre, que les approvisionnements en pétrole avaient partiellement rattrapé la demande, atténuant potentiellement la pression à la hausse sur les prix. L'agence, basée à Paris, a déclaré que le marché du pétrole restait « tendu à tous égards, mais qu'un sursis de la hausse des prix pourrait être à l'horizon »[33]. Par conséquent, la progression des cours de l’or noir semble donc, dans cette perspective, appelée à se calmer à moyen terme[34].
Si tel n’était pas le cas, il pourrait en résulter à terme une retombée paradoxale du taux de l’inflation puisque une montée trop forte des prix des produits énergétiques (et plus globalement, l’ensemble des matières premières) se traduirait par une diminution de la croissance et partant, une évolution des prix plus modérée, y compris le baril pour lequel la demande devrait finir par retomber faute d’activité économique[35]. Le moins que l’on puisse dire est que l’OPEP a parfaitement enregistré ce message, comme en témoigne sa décision récente d’augmenter sa production. « En acceptant le jeudi 2 décembre, de continuer d’augmenter en janvier leur production de 400 000 barils de brut par jour malgré le contexte sanitaire, l’Opep+ et ses alliés ont plié devant la pression des consommateurs »[36].
Toutefois, l’OPEP pourrait revenir sur cette décision et donc resserrer le robinet de l’or noir en raison des inconnues pesant sur les marchés suite à l’apparition de variants du coronavirus susceptibles d’entraîner un ralentissement de la croissance de l’économie mondiale. Cette nuance est importante et n’incite guère à l’optimisme béat. La question de l’or noir restera donc marquée du sceau de l’incertitude dans un avenir proche. En effet, il semblait, à la fin de l’année 2021, que le variant Omicron se caractériserait par une transmissibilité plus importante ainsi qu’une plus grande résistance aux anticorps. A cette époque, une flambée d’infections était à redouter avec à la clé un risque de surcharge des services hospitaliers et donc de nouvelles mesures restrictives à l’activité économique afin d’éviter la saturation des services de soins intensifs[37].
On constate, à ce propos, qu’un facteur exogène pèse résolument sur l’économie mondiale. Autant, dès lors, reconnaître humblement que les développements qui suivent au sujet de l’inflation pourraient être invalidés en cas de nouveau confinement de nos économies puisque ces dernières, en raison de la fermeture de la production, tourneraient au ralenti et cet état de choses ne manquerait pas d’entraîner un fléchissement de l’inflation. Cela dit, les mécanismes inflationnistes dont nous avons jusqu’à présent parlé ne disparaîtraient pas tous comme par enchantement. La fermeture de nombreuses lignes et sites de production, en cas de nouveau lockdown généralisé dans le monde, finira par démontrer, une fois encore, la centralité du travail dans la création des richesses. Partant, la phase de réactivation qui succédera à la grande fermeture fera à nouveau apparaître des goulets d’étranglement dans de nombreuses filières (dont l’énergie) et des mouvements sociaux visant à arracher des revalorisations salariales.
En ce qui concerne le gaz, les causes de la flambée des prix sont également imputables aux frictions entre l’offre et la demande résultant des suites de la pandémie qui s’est traduite en Europe par une diminution de la consommation. Mais alors que la demande en 2021 était revenue au niveau de 2019, la production et les stocks se situaient à un niveau particulièrement bas car durant la pandémie, toute une série de travaux de maintenance ont également été postposés.
L’offre de gaz est donc en retard par rapport à la demande. Cette tension sur les prix risque de durer quelques mois encore car l’hiver vient à peine d’arriver. C’est seulement à ce moment qu’un pic de consommation sera atteint avec comme conséquence de faire baisser davantage encore le niveau des stocks. Pour l’instant, la Russie, qui fournit un peu plus de 40% du gaz consommé au sein de l’Union européenne, ne peut augmenter ses livraisons de gaz ni mettre en route de nouvelles productions en raison des investissements et travaux de maintenance en retard[38]. De plus, les tensions géopolitiques entre Moscou et l’OTAN ne permettent guère d’augurer en Europe occidentale d’une baisse rapide du prix du gaz. A ce propos, on rappellera la terrible dépendance de nos pays à l’égard de la Russie comme puissance exportatrice de gaz.
En 2018, la Russie pesait pour 40,4 % des importations européennes de gaz, loin devant la Norvège, deuxième fournisseur (18,1 %), et l’Algérie, troisième (11,8 %). La volonté des dirigeants européens de diversifier leurs sources d’approvisionnement en gaz les a conduits à réduire la part de leurs contrats à long terme sur le gaz naturel russe et privilégié des achats sur le marché au jour le jour (dans le métier, on parle de marché « spot ») où les prix ont, comme nous l’avons vu, particulièrement augmenté au cours des derniers mois[39].
A ce sujet, afin de dissiper tout malentendu et éviter, si la chose est toutefois passible, d’inutiles polémiques, on rappellera que la description qui précède concernant l’approvisionnement en gaz de l’Europe occidentale ne correspond pas à un jugement de valeur sur la politique étrangère de nos pays. Il s’agit là d’un débat fort distinct du propos constituant le cœur de ce texte mais chacun, après tout, reste libre de décider si le jeu en valait la chandelle sur un plan strictement économique. Il n’en reste, en revanche, pas moins que remplacer des contrats à prix prédéterminés avec un fournisseur de la taille de la Russie pour s’orienter vers les marchés spot comportait une indéniable part de risque. Cette dernière n’affecte d’ailleurs pas que le secteur gazier proprement dit.
En effet, il se trouve que les prix de l'électricité évoluent parallèlement à ceux des hydrocarbures. Et comme 20% de la production électrique du Vieux Continent a pour origine des installations au gaz, le prix de l’électricité est corrélé à celui du gaz. D’où, pour l’heure, la flambée constatée. Cette dernière pourrait toutefois être atténuée par des importations croissantes de gaz naturel liquéfié en provenance des Etats-Unis mais pas de manière à retrouver à brève échéance le niveau des prix de 2019. C’est ainsi qu’à la veille de Noël, l’arrivée programmée en Europe de méthaniers US a, certes, fait chuter le prix du gaz mais ce dernier coûtait encore plus de 132 euros le mégawattheure à la veille du Nouvel An. Pour toutes ces raisons, les prix du gaz et de l’électricité devraient rester élevés jusqu’en 2025.
De surcroît, le coût de la tonne de CO2 sur le marché du carbone en Europe a doublé depuis le début de l’année pour se situer au niveau de 100 euros. Or, un tiers de l’électricité en Europe (20% avec du gaz et 13% avec du charbon) est produite à partir de sources fossiles. Par voie de conséquence, la flambée conjuguée du gaz, du charbon et du CO2 influe directement sur le niveau du prix de l’électricité.
Ce mécanisme de fixation des prix déterminé au niveau européen désavantage donc un pays comme la France, dont la production d’électricité à partir du nucléaire est largement décarbonée[40]. En réalité, c’est toute la philosophie du « pollueur payeur » qui est remise en cause par cette phase ascensionnelle des cours du gaz. Avoir remis entre les mains du marché la question de la décarbonisation de nos économies via un système européen d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre conduit en cas de mise sous tension du système à un alourdissement des coûts pour les ménages à travers tout le continent. Une politique de planification davantage centrée sur le niveau de vie des consommateurs aurait présenté le double avantage d’orienter résolument l’économie européenne vers une transition verte tout en ne laissant pas la facture du green deal sur les épaules des seuls ménages.
C’est évidemment une tout autre voie qui a été choisie en Europe. Nous en payons le prix fort aujourd’hui. En tout état de cause, il serait souhaitable que cet épisode d’envolée des cours permette le passage à une politique énergétique européenne qui se situe en rupture avec la théorie de l’efficience des marchés. Plus fondamentalement, la flambée des prix que nous vivons actuellement devrait conduire à interroger le modèle de libéralisation du secteur de l’énergie en Europe tel qu’il a été conduit depuis la fin des années 1990. En effet, la privatisation et la libéralisation ont entraîné des effets négatifs pour le consommateur européen dans la mesure précisément où« la propriété publique tend à faire baisser les prix [et] la désintégration verticale tend à [les] faire augmenter »[41]. Au passage, on notera qu’une partie du problème énergétique correspond également à des facteurs idéologiques.
Il suffit pour s’en convaincre de prêter l’oreille au discours de l’idéologie dominante au sujet de l’actuelle montée des prix. Selon ce récit, lorsque les désajustements entre l’offre et la demande se seront dissipés, les effets inflationnistes actuellement constatés s’atténueront. Par conséquent, seul un accompagnement social temporaire sous forme de chèques de consommation de cette augmentation doit être envisagé.
On notera, au passage, la timidité des montants alloués. Avec un chèque de 80 euros accordés aux ménages les plus fragiles, on ne peut guère repérer une amélioration notable des conditions de vie de cette frange de la population belge. Pourtant, alors que la reprise économique pourrait, dans les semaines qui viennent, s’accompagner d’un démantèlement partiel des aides aux entreprises, il ne serait absolument pas illogique que des formules de subsidiation de la consommation d’énergie bénéficient aux ménages européens dans la mesure où l’actuelle augmentation des cours constitue une conséquence directe de la reprise post-confinement.
De surcroît, nous verrons dans la suite de ce document consacrée à des développements davantage centrés sur la Belgique que ce soutien à la consommation des ménages ne devrait pas nécessairement se traduire par un accroissement des déficits puisque les bénéfices des multinationales de la filière énergie ont spectaculairement augmenté et pourraient donc être mis à contribution (à l’instar des mesures adoptées récemment par le gouvernement de gauche plurielle au pouvoir en Espagne).
Le point sur l’industrie
A côté de ces tensions dans le secteur de l’énergie, on constate également des difficultés d’approvisionnement sur les chaînes de valeur industrielles aujourd’hui largement mondialisées. L’expansion de la production des entreprises en est pénalisée et par conséquent, le niveau des prix augmente. Ce sont ces phénomènes de friction entre l’offre et la demande qui nourrissent, pour l’heure, l’inflation.
Jusqu’à présent, les milieux industriels se sont voulus rassurants. Les facteurs expliquant ces difficultés d’approvisionnement étaient censés être de nature purement temporaire puisque la pénurie de certains composants industriels allait s’achever en 2022 grâce à la fin des restrictions sanitaires. On ne peut que comprendre la raison de ce storytelling dominant. Si des représentants patronaux de grandes filières industrielles confiaient ouvertement leurs incertitudes sur leurs coûts de production, commet imaginer qu’ils puissent parallèlement continuer à prêcher la modération salariale à leurs employés qui sont aussi des consommateurs ? Si une nouvelle vague de contaminations venait, comme c’est hautement probable, frapper l’Europe occidentale, on pourrait, au contraire, craindre un approfondissement des pénuries avec à la clé davantage de perturbations des chaînes de valeur. La situation pourrait devenir intenable car des secteurs importants de nos économies ont déjà le couteau sur la gorge.
Les chiffres sont très clairs. 78% des sites français de l’industrie automobile, 43% des fabricants d’équipement électronique présents sur le territoire de l’Hexagone et 22% des entreprises du bâtiment sont, outre-Quiévrain, victimes de pénuries d’intrants. « Ces difficultés d’approvisionnement, observées au niveau mondial, s’associent à une forte hausse du prix de nombreux intrants. Le prix des matières industrielles a été multiplié par 1,7 entre mi-2020 et mai 2021. Dans le détail, l’indice des prix des matériaux semi-conducteurs a doublé, de même que celui du cuivre et des matières minérales. Le prix de l’acier a été multiplié par 1,8, alors que celui du bois a plus que doublé. La pénurie d’intrants affecte déjà la production dans l’industrie automobile. Selon Fitch Ratings, la pénurie d’intrants devrait coûter 5% de la production mondiale de l’industrie automobile. Soit une perte de 3,8 millions de voitures à l’échelle mondiale, dont 36% en Europe. Renault affiche par exemple une perte d’environ 100.000 véhicules et Stellantis de 190.000. La hausse des prix qui en découle peut limiter l’amélioration des marges des entreprises. Les entreprises font part d’un impact de plus en plus négatif de la hausse des prix sur leur trésorerie »[42].
Cette importante tension des chaînes de valeur trouve son explication dans les suites de la crise sanitaire se caractérisant par un important rebond de la demande de matériel électronique en Europe occidentale et en Amérique du Nord qui a entraîné une hausse de la production en Chine. Mais ce segment des activités en Chine absorbe la plus grande part des intrants industriels. Par exemple, près de 60% des importations mondiales de semi-conducteurs et plus de la moitié des importations de cuivre sont le fait de la Chine qui reste encore et toujours l’atelier du monde. Mais la production des matières premières industrielles est actuellement cantonnée à un nombre très limité de pays. Par exemple, 60 à 80% de la production de métaux comme le fer, le cuivre ou l’étain, est concentrée dans 5 Etats du Sud dont certains sont très touchés par la pandémie.
La production de cuivre du Pérou et du Chili (soit respectivement 12% et 30% de la production mondiale) connaît des difficultés à tenir le rythme face à la demande croissante puisque la pandémie réduit les effectifs des travailleurs productifs dans ces secteurs. Au début de cette année, l’extraction de cuivre péruvien et chilien restait inférieure au niveau antérieur à la crise. Avec l’apparition du variant Omicron, on ne peut gère avancer qu’une sortie rapide de l’état de crise sanitaire permettra une augmentation de la production de cuivre cette année. Voilà qui ne devrait évidemment pas calmer cette composante de l’inflation dans les mois à venir.
A court terme, les difficultés rencontrées actuellement par la Chine et l’apparition de nouveaux variants pourraient exercer, il est vrai, une pression à la baisse sur les prix de l’énergie. Cependant, on n’omettra pas d’ajouter, d’une part, que la multiplication des variants perturbe les chaînes de valeur et donc accentue les pressions inflationnistes et que, d’autre part, la Chine dispose de moyens considérables pour faire face à sa crise de l’immobilier de telle sorte que l’Empire du Milieu n’aura pas à mettre en péril sa croissance en ayant recours à l’endettement extérieur pour recapitaliser son secteur bancaire.
Au total, il y a réellement lieu de craindre pour certaines matières premières un état de pénurie structurelle. « Alors qu’une voiture électrique nécessite 10 fois plus de semi-conducteurs qu’une voiture thermique, son stock mondial serait multiplié par 20 d’ici 2030. La demande de semi-conducteurs augmenterait aussi avec le développement de la 5G (…). Le développement des voitures électriques à lui seul multiplierait d’ici 2030 la demande de nickel par 14 et celle de cuivre par 17, alors que ce métal est aussi utilisé pour la fabrication de panneaux solaires (…). Les capacités de production devraient s’accroître, mais un risque demeure pour certains matériaux. Les fabricants de semi-conducteur entament ainsi des plans d’investissement : Intel prévoit d’investir 27 milliards dans la recherche et développement et 33 milliards dans l’extension des capacités aux États-Unis, TSMC prévoit quant à lui d’investir 100 milliards jusqu’en 2024 pour étendre ses capacités. Pour d’autres matériaux, comme le cuivre, la capacité d’offre à long terme est plus incertaine. En effet, les projets de mines seraient en nombre insuffisants, si bien que le déficit de production serait de 7 Mt/an en 2030 »[43]. En tout état de cause, rien ne garantit que les cours de certaines matières premières stratégiques baissent dans un proche avenir.
Au total, on voit clairement qu’il existe une tendance structurelle à des tensions structurelles pour certaines matières premières. C’est notamment le cas du cuivre. Il devrait en résulter un mouvement haussier sur l’ensemble des matières premières, à l’exception du pétrole qui sera la victime de la décarbonisation à moyen terme. Entretemps, cette perspective n’incitera évidemment guère à renouveler les capacités de production dans le secteur. Dès lors, le choc de l’offre sur l’or noir devrait encore continuer sauf en cas de reconfinement de l’économie mondiale. Pour ce qui est du gaz, la situation en Europe restera également compliquée du fait de la volonté des autorités européennes de s’autonomiser du fournisseur russe. Cette stratégie s’est jusqu’à présent soldée par une multiplication de contrats de court terme qui mine la stabilité des prix sur le Vieux Continent. Partant, vu la corrélation existant entre le prix du gaz et celui de l’électricité, il ne faut pas tabler sur une accalmie rapide des coûts de l’énergie pour les ménages et les entreprises en Europe. On ajoutera à ces facteurs structurels un élément de politique économique, à savoir la libéralisation du marché de l’énergie en Europe qui se caractérise par un principe « pollueur payeur » prenant en étau les milieux populaires. Plus la pression à la transition énergétique sera forte, plus le prix de la tonne de CO2 sera élevé. Les prix de l’énergie ne risquent évidemment pas de baisser dans ces conditions.
Ce contexte particulier incite évidemment à l’apparition et au développement de mouvements sociaux visant à des augmentations salariales. Jusqu’à présent, cette boucle de rétroaction entre les évolutions du coût de la vie et la formation des salaires est décrite, du point de vue de l’idéologie dominante, comme une catastrophe appelée à s’autoentretenir si les salariés ne reviennent pas rapidement à la raison. Nous allons voir au point qui suit que cette approche résolument idéologique doit être quelque peu nuancée, y compris dans le cas de l’économie belge.
Prise de distance et retour en Belgique
Si l’inflation résulte d’un conflit de répartition, l’effet de dépréciation des termes de l’échange ne doit pas obligatoirement toujours s’exercer sur le seul « travail » en tant que facteur de production. On rappellera que du point de vue des facteurs de production, le PIB est composé du travail et du capital. Dans ce cadre, ce qui va au travail est retiré au capital et vice-versa. La relation entre ces deux variables, dans ce cadre conceptuel, renvoie donc à un modèle à somme nulle. A ce propos, seul un partisan du centrisme « sans nuances » statuerait éventuellement que ce type de configuration relève d’une optique simpliste et il aurait pleinement tort puisque c’est sur la base d’un jeu à sommes nulle que la complexité des échecs se déploie depuis plus de quinze siècles.
En la matière, rien n’implique sur le plan logique que ce soit le facteur travail qui soit contraint d’accepter de payer la facture du conflit de répartition se traduisant par des pressions inflationnistes. Il convient, dès lors, de scruter de près les marges des entreprises pour vérifier si ce sont elles qui, idéalement, devraient passer à la caisse.
Qui va devoir faire le gros dos face à l’augmentation généralisée du niveau des prix ? Il n’y a aucune réponse prédéterminée à cette question. Tout est affaire de nuances et d’appareil statistique à moins, bien sûr, de préférer les paroles en l’air. Afin que le débat notionnel soit le plus clair possible pour tout le monde, rappelons que l’on désigne par « taux de marge » la part exprimée sous la forme d’un pourcentage de gain ou de perte (dans ce cas, on parle de taux de marge négatif) réalisé par le secteur privé d’un pays. Pour calculer le taux de marge (TM), la comptabilité nationale rapporte l'excédent brut d'exploitation (EBE) à la valeur ajoutée (VA), soit TM =EBE/VA. Le taux de marge ne constitue donc pas une donnée polémique produite à des fins d’agitation. Il s’agit d’un indicateur objectif parfaitement mobilisable à partir des données présentes pour la Belgique dans le tableau agrégé des ressources et des emplois de la Banque nationale.
En matière de taux de marge, à quel paysage correspond « le monde d’après » ? N’en déplaise amateurs de scoutisme et autres zélés « vélorutionnaires » décroissants de tout poil, la question de l’appropriation de la valeur ajoutée créée par le travail continuera pour un certain encore à structurer en profondeur nos sociétés. En l’occurrence, on observe, pour la France, que le rétablissement des taux de marge a été spectaculaire depuis une bonne dizaine de mois. « Au cours des premier et deuxième trimestres 2021, le taux de marge des entreprises s’est envolé aux alentours de 36% selon l’Insee, son plus haut niveau depuis 1949, date à laquelle l’institut a commencé la mesure de ce ratio »[44].
On comprend mieux dans ces conditions pourquoi on doit signaler une forte reprise des dividendes à travers le monde. En effet, les dividendes mondiaux ont progressé de 26,3 % en glissement annuel. C’est ainsi qu’en août 2021, ils sont remontés à 471,7 milliards de dollars, soit seulement 6,8 % en-deçà du niveau du 2e trimestre 2019. De surcroît, il apparaît que les dividendes mondiaux retrouveront leur niveau d’avant la pandémie au cours des 12 prochains mois[45].
Pour la Belgique, en compulsant les bases de données de la Banque nationale relatives aux comptes trimestriels des secteurs, on peut repérer les éléments suivants en ce qui concerne le taux de marge dans notre pays. Au quatrième trimestre 2019, soit juste avant que la crise corona n’éclate, l’excédent brut d’exploitation des entreprises belges était fixé à 39,122 milliards d’euros pour une valeur ajoutée totale s’élevant à 127,196 milliards d’euros. Autrement dit, à cette période de l’année, le taux de marge des entreprises belges était de 30,7%. Au deuxième trimestre de cette année civile, la valeur ajoutée brute de l’économie belge était de 125,866 milliards d’euros et l’excédent brut d’exploitation valait 44,334 milliards. Il s’agit là d’un taux de marge de 35,22%. Bref, le taux de marge des entreprises s’était, à la fin de l’année 2021, spectaculairement redressé.
Bien sûr, on pourra toujours arguer du fait que l’excédent brut d’exploitation affère au résultat des entreprises, certes grevée des dépenses courantes et du paiement des rémunérations des salariés, mais également avant décompte des frais financiers, des amortissements et de l’impôt sur les bénéfices. Pour éviter ce biais finalement plutôt gênant, on sondera la valeur ajoutée nette des entreprises qui, outre les dépenses courantes et les salaires, déduit du chiffre d’affaires le montant des amortissements. On tiendra alors mieux compte du poids des amortissements pour évaluer et comparer les marges des entreprises belges.
Pour cet exercice de comparaison, on peut laisser de côté la question de l’impôt sur les bénéfices puisque ce dernier n’a pas été modifié au cours des deux années écoulées. En ce qui concerne les frais financiers, la comparaison avec 2019 doit tenir compte du fait que l’importante détente sur les taux d’intérêt a réduit, parfois de façon importante, les coûts de financement des entreprises. Par conséquent, il n’est pas pertinent de tirer prétexte de ces deux variables pour faire peser sur les épaules du seul monde du travail l’augmentation du coût de la vie.
En scrutant le compte des secteurs de la Banque nationale de Belgique, on apprend qu’au dernier trimestre de l’année 2019, la valeur ajoutée nette dégagée par l’économie belge était de 104,514 milliards. Pour mémoire, la valeur ajoutée nette correspond à la valeur ajoutée brute diminuée des dotations aux amortissements de l’équipement sollicité par le procès de production. On rappellera, à ce propos, que la valeur ajoutée brute était, à cette même époque, de 127,196 milliards. A partir de là, on peut chiffrer le poids des amortissements à 22,682 milliards. En diminuant l’excédent brut d’exploitation du montant des amortissements, on obtient 16,44 milliards. Si on rapporte ce chiffre au montant de la valeur ajoutée nette, on obtient un taux de marge corrigé du poids des amortissements de 15,72%.
Au deuxième trimestre 2021, on a déjà vu que la valeur ajoutée brute dégagée par notre économie était de 125,866 milliards. La valeur ajoutée nette, pour sa part, était de 102,172 milliards. Par conséquent, on peut estimer le poids des amortissements à 23,694 milliards d’euros. A cette période de l’année, l’excédent brut d’exploitation des entreprises belges s’élevait à 44,334 milliards d’euros. En déduisant le montant des amortissements, on fait apparaître un taux d’excédent corrigé se chiffrant à 20,64 milliards[46]. En rapportant ce taux d’excédent corrigé à la valeur ajoutée nette, on obtient un taux de marge « corrigé » de 20,201%. Autrement dit, le taux de marge des entreprises, même en tenant compte des amortissements indispensables à la production, a augmenté de 4,481 points de pourcentage en deux ans entre 2019 et 2021.
Une augmentation salariale peut, de ce fait, intervenir sans pour autant nuire à la profitabilité des entreprises belges. On pourrait encore objecter que par-delà la question de la profitabilité, c’est la compétitivité de nos entreprises qui est en jeu. Dans une économie ouverte, si nos concurrents augmentent, en effet, leur profitabilité davantage que nous, les entreprises belges perdront pied et les investissements ne se dirigeront pas vers notre pays. Cette question est importante et ne peut bien sûr être balayée d’un revers de la main. De la même façon, elle ne doit pas non plus être brandie comme un tabou. Là encore, il s’avère plus intéressant de raisonner à partir de chiffres et de juger sur pièces.
Pour établir nos comparaisons, nous allons comparer les données de l’économie belge avec celles de ses principaux voisins et concurrents, c’est-à-dire la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. Avant de procéder à ce petit exercice comparatif, on prendra soin de préciser que la compétitivité d’une économie ne se mesure pas exclusivement au niveau nominal des salaires mais également en regard de la productivité. Si l’on tient compte de ces deux facteurs, on ne peut établir de manière irréfragable que la Belgique souffre, en ce moment, d’un défaut de compétitivité particulièrement flagrant.
Au contraire, on observe que les salaires chez nous ont progressé de 0,9% en 2021 alors que la productivité du travail a, pour sa part, crû de 5,2%[47]. Cette information capitale ne provient d’une source forcément douteuse parce que de gauche (on connaît la chanson) mais au contraire, de la base de données AMECO de la Direction générale des Affaires économiques et financières de la Commission européenne. On constate donc, pour l’année écoulée, un décrochage de 4,3 p.p au désavantage des salaires. Pour arriver à ce résultat, il suffit procéder à la soustraction de l’évolution de la productivité par celle des salaires. Si on obtient un total positif, cela signifie que la progression de la productivité a été supérieure à celle des salaires. Les salaires ont donc perdu du terrain par rapport au capital dans le PIB. En cas de résultat négatif, c’est l’inverse qui s’est produit.
En comparaison, on voit que ce décalage est moins prononcé en France où au cours de cette année, les salaires réels ont progressé de 2,7% et la productivité du travail de 5,7%, soit un décrochage « productivité-salaires » de l’ordre de 3 p.p. Les Pays-Bas ont, pour leur part, vu leurs salaires réels diminuer de 0,1% et la productivité du travail progresser de 2,5%. Le différentiel « productivité-salaires » propre aux Pays-Bas est donc de 2,6%.
Ce chiffre pourra peut-être surprendre certains lecteurs. On rappellera, à ce propos, que le différentiel « productivité-salaires » est construit en pratiquant la soustraction suivante : évolution de la productivité (ΔP) – évolution des salaires réels (ΔW). Donc si ΔW est négatif, le total de l’opération est le suivant : (ΔP)-(-ΔW) et donc puisque selon l’adage maintes fois répété par les institutrices de notre enfance, « moins par moins, cela fait plus », on obtient finalement ΔP+ΔW.
En l’occurrence, dans le cas hollandais, cela donne 2,5%-(-0,1%). Donc 2,5+0,1. Soit 2,6 p.p. Le différentiel « productivité –salaires » des Pays-Bas est comme en Belgique favorable au capital mais bien moins que chez nous où ce différentiel est de 4,3 points de pourcentage comme nous l’avons vu auparavant. En ce qui concerne l’Allemagne, on observe une progression de la productivité en 2021 de 3,6% et une augmentation salariale de 0,5%. C’est ici que les partisans de la modération salariale chez nous font preuve ou d’incompétence économique ou de malhonnêteté intellectuelle en n’attirant l’attention que sur la progression des salaires qui est bien inférieure à celle de la Belgique.
En effet, il faut aussi tenir compte de l’évolution de productivité du travail en Germanie. Au total, on obtient un différentiel « productivité-salaires » de 3,1 p.p (3,6%-0,5%). Bref, la comparaison du point de vue de la compétitivité est défavorable pour nos voisins de l’est. Les salaires, en 2021, ont été davantage comprimés en Belgique qu’en Allemagne.
On peut donc pointer une très nette amélioration en 2021 de la position de la Belgique vis-à-vis de ses voisins qui lui servent de point de repère en ce qui concerne sa compétitivité. Rien ne s’oppose donc sur un plan strictement économique à une augmentation des salaires chez nous.
Durant de nombreuses années, le « handicap salarial » belge a fait les gros titres de la presse et le moins que l’on puisse dire est que ce problème est aujourd’hui plus que résolu. En effet, la loi de 2017 venue modifier la loi de 1996 sur la détermination de la norme salariale (cette dernière fixait une marge de progression indicative des salaires à laquelle les secteurs pouvaient toujours, le cas échéant, déroger) comporte une série de mécanismes correctifs visant à corriger a posteriori le « handicap historique des coûts salariaux » qui n’aurait pas été résorbé par la loi de 1996. Pourtant, si, durant 25 ans, des entreprises en Belgique n’ont pas été capables de résoudre un problème de compétitivité-coût par des gains de productivité, elles ont tout simplement disparu aujourd’hui. Dès lors, les mécanismes correctifs visant à revenir sur le « handicap salarial historique » bénéficient, en réalité, à des entreprises qui ont toujours disposé des gains de productivité leur permettant de tenir le choc de la compétition avec nos voisins. Voilà pourquoi la Belgique se caractérise par un niveau à ce point élevé de décalage entre la progression des salaires réels et les gains de productivité.
Ce constat a été formulé de manière tout aussi explicite par le Conseil Central de l’Economie (CCE) qui repérait « un handicap négatif en 2019. Un handicap négatif indique que le coût salarial en Belgique depuis 1996 a évolué moins rapidement que le coût salarial moyen dans les trois pays de référence. On peut donc en déduire qu’entre 1996 et 2019, les coûts salariaux en Belgique ont suivi une évolution plus faible de 4,0% par rapport à la moyenne dans les trois pays de référence (la France, l’Allemagne et les Pays-Bas) »[48]. Le corsetage des salaires a finalement trop bien fonctionné en Belgique. Là encore, ce n’est pas un service d’études « digne du Venezuela » qui a dressé cet implacable constat mais une institution officielle absolument centrale dans le pilotage de l’économie belge (en l’occurrence, le CCE). Il existe donc, en tout état de cause, des marges pour augmenter les salaires en Belgique sans pour autant porter un coup fatal à la compétitivité de nos entreprises.
De surcroît, la conclusion précédemment citée du CCE ne permet guère d’accuser l’indexation automatique des salaires d’avoir nui à la compétitivité des entreprises de Belgique puisque durant la période de référence, les salaires ont été indexés, à l’exception du saut d’index de 2014 mais celui-ci ne peut expliquer à lui-seul le décalage précédemment estimé à 4% entre nos voisins et nous. A vrai dire, même une norme salariale indicative, comme cela fut le cas entre 1996 et 2017, a rempli un rôle de machine à corseter les salaires. Cette tendance a naturellement été amplifiée par la modification de 2017 de la loi d’encadrement des salaires. Et c’est ce qui explique qu’il existe dans notre pays de la marge pour à la fois indexer les salaires sur le coût de la vie et augmenter raisonnablement les barèmes.
L'inflation au pays de Goethe a, en effet, atteint 5,2% (contre 5% prévu) sur un an en novembre. Il s’agit là d’un plus-haut depuis 1992. Depuis une génération, on n’avait plus vu un tel niveau d’augmentation du coût de la vie en Allemagne. Nul doute qu’un mouvement d’augmentation salariale finira par émerger chez nos voisins teutons. En Belgique, avec une inflation à 5,6 points en novembre, nous sommes au-dessus de l’Allemagne mais il ne faut pas oublier que nous disposons d’un différentiel « productivité-salaires » favorable vis-à-vis de l’Allemagne équivalent à 1,2 point de pourcentage. Si l’inflation en Belgique est plus élevée de 0,4 p.p sur ce qui existe en Allemagne, il nous reste donc encore de la marge. A ce sujet, nous verrons bien si les salariés allemands parviendront à arracher des augmentations aussi conséquentes qu’en 2018. A cette époque, les salaires réels des travailleurs allemands avaient augmenté au deuxième trimestre, et ce malgré une inflation au plus haut depuis cinq années. D’un point de vue nominal, les salaires allemands ont progressé de 2,5% d'avril à juin 2021 tandis que l'inflation annuelle avait augmenté de 2,0%. Il s’agissait là d’un gain salarial d’un demi-point. A l’époque, la nouvelle avait même fait dire au très conservateur Figaro (un journal, au demeurant, peu suspect de sympathies pour l’aile gauche du mouvement ouvrier) que « les dépenses de consommation resteront le principal moteur de croissance de la première économie européenne »[49].
Pour le coup, le Figaro a pleinement justifié sa réputation bien établie de quotidien de référence. En effet, les dépenses de consommation finale se sont, après des années d’écrasement, redressées en Allemagne et ont augmenté de 6,5% entre 2017 et 2019[50]. C’est dans cette optique que la nouvelle coalition conduite par le chancelier social-démocrate Olaf Scholz s’est engagée, en dépit de l’inflation, à augmenter le salaire minimum de 25%. On peut difficilement dire que dans ces conditions, l’indexation automatique des salaires en Belgique représente un danger pour l’économie du pays. En ce qui concerne la compétitivité avec les Pays-Bas et à la France, la Belgique bénéficie là encore d’un différentiel « salaires-compétitivité » favorable. Au total, il n’y a aucune raison, ni du côté des taux de marge ni de celui de la compétitivité de l’économie nationale, pour que ce soit le facteur « travail » qui paie l’addition du conflit de répartition qui se prépare et qui n’est sans doute pas prêt de diminuer en intensité dans un avenir proche.
En effet, si l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) prédit, pour la France, une diminution de l’inflation sur les prix de l’énergie l’an prochain, il prévoit également une hausse des prix des produits manufacturés et alimentaires. Cette progression s’explique par une augmentation brutale des coûts de productions dans l’industrie, l’agriculture et le bâtiment. Au total, en l’absence de mouvements visant à des revendications salariales, le pouvoir d’achat des salariés français pourrait diminuer de 0,5 % au cours du prochain semestre[51]. Cette diminution pourrait être plus marquée encore si le variant Omicron venait à approfondir les perturbations sur les chaînes de valeur mondiales. Etant donné le caractère aujourd’hui mondialisé de ces dernières, on peut gager que ces tendances seront également présentes en Belgique.
En effet, la mondialisation des chaînes de production et de distribution est la résultante d’un processus de centralisation du capital qui n’a rien de bien récent. C’est, d’ailleurs, à partir de cette tendance du capitalisme, depuis la fin du XIXème siècle, à s’organiser sur la base d’oligopoles au nombre de plus en plus limité que s’explique cette tendance à la protection des marges au détriment des consommateurs. L’ingénuité des thuriféraires de l’économie politique vulgaire (et de l’idéologie dominante, ce qui revient en fait au même) affirmant qu’il faut fractionner la chaîne des offreurs pour remettre de la concurrence au centre du jeu ne cessera jamais de surprendre[52]. La centralisation du capital ne relève, en effet, aucunement d’un caprice ou d’un choix de gestion. Face à la tendance à la baisse des taux de profit, la nécessité de dégager des économies d’échelle conduit inévitablement le capital, en tant que facteur de production, à se concentrer, soit de façon horizontale via le rachat d'entreprises du même secteur d’activités ou soit verticale en contrôlant la chaîne de la matière première au produit fini.
C’est cette stratégie qui prévaut de nos jours et de ce point de vue, l’externalisation des activités ne met pas fin au contrôle du capital oligopolistique sur les filières de production. Il est, dès lors, inutile d’opposer le schéma marxiste de tendance à la centralisation du capital à la vague d’externalisation de certaines fonctions d’entreprise. En tout état de cause, si la centralisation du capital revêt un caractère à ce point fonctionnel, il est logique de considérer que la multiplication des législations antitrust est globalement inopérante. On en verra pour preuve la manière dont le Sherman Anti-Trust Act qui fut adopté aux Etats-Unis le 2 juillet 1890 s’est révélé bien peu en mesure d’œuvrer utilement pour empêcher la centralisation du capital outre-Atlantique. Pierre Bezbakh, maître de conférences à Paris-Dauphine et, par ailleurs, chroniqueur économique pour le quotidien « Le Monde », ne disait pas le contraire, il y a déjà de cela une petite quinzaine d’années : « Mais cette législation se révéla finalement relativement peu efficace, dans la mesure où les grands groupes industriels surent contourner la loi, et où les autorités elles-mêmes ne souhaitaient pas entraver le dynamisme d'entreprises créatrices de richesses, à la dimension internationale, et particulièrement innovantes. Dans le cas de la Standard Oil, les lois antitrust conduisirent à la constitution des quatre majors Exxon, Mobil, Chevron et Esso : le monopole fut supprimé, mais pas l'hégémonie de ces grandes entreprises »[53]. Par conséquent, il s’avère plus intéressant de travailler la question du maintien des taux de marge à la base de l’inflation en visant le pouvoir hégémonique des grandes firmes. De ce fait, la taxation des importants taux de marge des firmes centrales donneuses d’ordre devrait être priorisée à des fins de rééquilibrage des prix en faveur du consommateur. Cette recommandation n’interdit pas, comme nous le verrons par la suite, d’affirmer, en fonction, bien sûr, des rapports de forces, la nécessité d’un contrôle public fort sur certains secteurs vitaux pour une économie moderne (énergie et banques, notamment).
Voici venu le temps de conclure cette étude en montrant que l’actuelle vague inflationniste en tant que conflit de répartition permet de pointer des contradictions structurelles dans un autre domaine de l’économie que les relations industrielles. Il s’agit de celui des politiques monétaires. On verra dans cette dernière partie que si l’économie mondiale se caractérise, pour l’heure, par des tendances actuelles à court et moyen terme, il n’en va pas du tout de même à un horizon de 5 ans. En l’espèce, c’est même plutôt la déflation qui très probablement va continuer à déterminer les perspectives.
Surtout ne pas surréagir du côté des banques centrales !
Jusqu’à présent, la réponse des banques centrales à la crise du corona a, en effet, revêtu la forme de politiques d’assouplissement quantitatif (quantitative easing, en anglais) qui consistent en des rachats de dettes sur les marchés secondaires. Cette politique non-conventionnelle a pour effet de soutenir le prix des actifs demandés. Or, il existe une relation inverse entre le prix d’un actif et son taux d’intérêt. Autrement dit, en faisant grimper la valeur des actifs, les différentes vagues de quantitative easing ont, depuis 2008, fait spectaculairement baisser le niveau des taux d’intérêt.
Or, la baisse des taux d’intérêt a incité les investisseurs à chercher du rendement en se portant acquéreurs de titres plus risqués comme les actions dont les cours ont flambé, garantissant des sources de plus-value pour leurs détenteurs, parmi lesquels de grandes sociétés d’investissement ainsi que des particuliers fortunés. De surcroît, la politique des taux bas a renforcé la concentration des biens immobiliers qui s’est traduite par une augmentation du prix des immeubles et une flambée des loyers dans les grandes villes.
De ce point de vue, les politiques de quantitative easing n’ont pas, loin de là, tenu leurs promesses. En effet, le rachat des titres détenus par les banques devait théoriquement se traduire à l’origine par une injection de liquidités supplémentaires que lesdites banques auraient distribuées, sous la forme de crédits, au secteur non-financier avec à la clé, une hausse de l’activité économique. Or, on a surtout observé que les mesures d’assouplissement quantitatif ont produit l’effet inverse. La création de liquidités n’a que très peu bénéficié aux investissements productifs.
Pour l’heure, les actuelles vagues inflationnistes inquiètent les banquiers centraux. Aux Etats-Unis, la Fed pratiquera trois augmentations des taux l’an prochain et réduira la voilure de son programme de rachats d’obligations sur les marchés secondaires afin de venir à bout du spectre de l’inflation. En outre, trois nouvelles augmentations de taux sont programmées pour 2023, suivies de deux autres en 2024[54]. Désormais, il importe de limiter au plus vite l’ampleur des programmes de soutien monétaire. L’emballement constaté sur les salaires outre-Atlantique semble contraindre les élites politiques américaines à couper la tête à l’hydre inflationniste en prenant le risque de provoquer, au passage, une nouvelle crise financière. En revanche, la BCE semble, pour l’heure, continuer à miser sur le scénario d’une inflation limitée dans le temps.
Sans doute le directoire de la BCE croit-il encore en la possibilité de museler sur les salaires sur le Vieux Continent. C’est ainsi que notre banque centrale sort très mollement de son programme d’assouplissement quantitatif. Le programme d’achats de crise se terminera, certes, en 2022 mais la BCE doublera ses achats ordinaires sur les marchés secondaires d’avril à juin 2022. Ils passeront ainsi de 20 à 40 milliards d’euros par mois. Ils seront ensuite maintenus au niveau de 30 milliards d’euros au cours du troisième trimestre pour retrouver leur niveau actuel à partir d’octobre 2022. Le produit des obligations achetées par la BCE continuera cependant à être réinjecté sur les marchés jusqu’en 2024. Initialement, la date de fin de ce type d’opérations était fixée à 2023[55]. En outre, aucune hausse des taux d’intérêts n’est prévue. Par ailleurs, la BCE a clairement fait entendre qu’elle reprendrait ses achats extraordinaires en cas de nécessité. Il est également vrai, par-delà la question de l’inflation autoentretenue, qu’un resserrement monétaire trop marqué en Europe pourrait provoquer une nouvelle crise des dettes publiques. La saignée qui accompagne classiquement ce type de configurations ne serait guère de nature à aider une économie européenne qui montrait déjà des signes d’essoufflement avant la crise « corona ».
Souvenons-nous. A l’automne 2019, soit un petit trimestre avant que n’éclate que la crise du coronavirus, les spécialistes s’inquiétaient de la dégradation en Europe de l’activité manufacturière et du manque de dynamisme des prêts aux entreprises. Les craintes de récession sur le Vieux Continent étaient, chaque jour, plus nombreuses[56]. En l’espèce, il importe de questionner les politiques de quantitative easing du point de vue de leur fondement institutionnel. C’est que les mesures de soutien non-conventionnel ont surtout profité à la finance de marché. Dans cette optique, rediriger les flux monétaires résultant du quantitative easing vers les classes populaires, le secteur non-financier et les pouvoirs publics s’avère une nécessité. Bien sûr, il pourrait résulter de ce choix politique une augmentation de l’inflation. A ce propos, on mentionnera que le mandat de la BCE entièrement focalisé sur la stabilité des prix mériterait d’être révisé pour intégrer des dimensions de croissance et d’emploi. Plus fondamentalement, une remontée du niveau de l’inflation annuelle aux alentours de 5-6% dans nos économies ne représenterait en aucune manière une catastrophe majeure.
Bien sûr, l’augmentation du niveau de l’inflation désavantage la classe des créanciers au profit de celles des débiteurs (dont les Etats). Pour bon nombre de ménages fortunés et d’institutions financières, les périodes modérément inflationnistes constituent des épisodes de relative diminution de la valeur nette de leurs actifs. Avant de sortir les mouchoirs, on rappellera que cette catégorie limitée d’acteurs a été particulièrement choyée depuis la crise financière de 2007-2008. En réalité, les intérêts particuliers de ces agents nuisent de plus en plus au bon fonctionnement de l’économie dans son ensemble. Parallèlement, on ne peut, dans ces conditions, que s’inquiéter des projets d’austérité budgétaire qui semblent refleurir un peu partout en Europe pour le moment. Depuis la réunion de l’Eurogroupe du début du mois de septembre, les choses sont, de ce point de vue, particulièrement limpides[57]. Pourtant, la réduction des déficits publics pourrait très bien n’être d’aucune aide en ce qui concerne la diminution des niveaux d’endettement de nos Etats puisque la diminution de la croissance économique qui en résulterait ferait diminuer les recettes fiscales pour les pouvoirs publics.
En définitive, il existe une probabilité réelle que les Etats de l’eurozone sortent de la crise corona avec un niveau structurel de déficit plus élevé en raison des nouvelles dépenses récurrentes mises en place depuis un an et demi alors que nos économies étaient envoyées en soins intensifs. Il n’y aura, dès lors, pas 36 solutions pour faire face à ce nouveau défi. Il faudra, d’une part, que la croissance soit plus forte avec à la clef de nouvelles rentrées fiscales permettant in fine d’abonder les finances publiques et d’autre part que les coûts de financement réels des dettes publiques soient diminués du fait de l’inflation. Face à cette option, l’alternative que représenterait le corsetage des finances publiques débouchera assez rapidement sur une croissance atone et des risques d’éclatement de la zone euro spécialement si la diminution des déficits au sud du continent ne se fait pas au même rythme que la réduction du programme de rachat d’actifs de la BCE, auquel cas le différentiel des taux entre l’Allemagne et les Etats méditerranéens de l’Euroland se creusera dangereusement.
Il ne faut, par ailleurs, pas avoir peur d’affirmer que le risque structurel minant l’économie mondiale a davantage trait aujourd’hui encore à la déflation qu’à l’inflation. Cette perspective est sans doute contre-intuitive mais elle s’avère rationnellement fondée. Nous vivons, en effet, une époque de grandes innovations technologiques dont la propriété macroéconomique consiste précisément à faire pression à la baisse sur les coûts de production.
Cette caractéristique est de nature à faire régner une anarchie de la production puisque les grandes compagnies privées qui sont très endettées seront évidemment tentées, chacune dans leur coin, de tirer profit de cette baisse des coûts pour accroître leurs parts de marché. Du côté des coûts du travail, ce double mouvement de création de valeur et de destruction d’emplois se traduira inévitablement, si tant est que le rapport de forces actuellement défavorable au travail se maintienne, par une baisse des salaires réels, laquelle se répercutera sur le niveau des prix. Les ménages et les entreprises les plus endettés pourraient être littéralement aspirés par cette tendance lourde profondément défavorable aux structures bilantaires présentant des passifs trop importants.
Le point de départ de ce scénario aux antipodes du fantasme du retour durable à de hauts niveaux d’inflation se situera très vraisemblablement sur les marchés financiers. Les actifs financiers sont, pour l’heure, surcotés. Au début du mois de septembre de cette année, l'Autorité européenne des marchés financiers (Esma) estimait que le risque de chute des cours était élevé. Des corrections importantes seraient même à prévoir. Etaient principalement visés les marchés des actions et les cryptomonnaies. Plus globalement, l’Esma entrevoyait « une période prolongée de risque impliquant de nouvelles corrections du marché, éventuellement importantes, au détriment des institutions et des particuliers »[58]. En fin de compte, l’ESMA considère que l'actuelle exubérance des marchés financiers n’a plus aucun lien tangible avec l’économie productive. Et la menace est sérieuse. Voilà ce qu’en disait De Tijd, le quotidien économique néerlandophone du pays, que l’on suspectera peu d’accointances avec la gauche : « De nombreux acteurs des marchés financiers se soucieront fort peu du message de l'ESMA. Mais ils feraient mieux de le garder dans un coin de leur tête lors de l'élaboration de leur stratégie d'investissement. Cela peut les sauver, en cas de lourdes pertes. Un investisseur averti en vaut deux »[59]. En d’autres termes, nous redécouvrirons sans doute assez rapidement que le vrai péril qui guette l’économie mondiale est bien davantage la déflation que l’inflation.
Pour ce qui est des Etats-Unis, des remarques similaires ont déjà été formulées dans les pages du prestigieux Wall Street Journal. Ce dernier relevait, à la fin de l’année dernière, que la progression des cours sur les marchés d’actions aux Etats-Unis correspond à un niveau attendu de profitabilité des entreprises très supérieure à ce qui a été observé dans un passé récent. Pour que ces prévisions se matérialisent, « le taux de croissance annuel des bénéfices de 2019 à 2022 devrait être supérieur à la norme historique récente, elle-même gonflée par l'impact des réductions d'impôts décidée par le président Trump en 2018. Il est possible que les entreprises technologiques sortent renforcées de la pandémie. Il est plus difficile d'affirmer la même chose au sujet des autres industries »[60].
Voilà pourquoi le Wall Street Journal recommandait aux marchés de s’inquiéter pour 2022 et non 2021. En cas de resserrement trop rapide du crédit, certains analystes vont jusqu’à prédire un effondrement des cours particulièrement brutal qui ne serait pas sans faire penser à la dynamique du krach de 1929[61]. En cas de démantèlement plus soft des dispositifs de soutien monétaire de la Fed, les experts de Morgan Stanley entrevoient une chute des cours de bourse de l’ordre de 20%, ce qui nous rapprocherait du scénario de récession de 1999[62]. A noter qu’à cette époque, les acteurs économiques US étaient bien moins endettés que de nos jours. Autrement dit, une chute de ce niveau pourrait avoir des répercussions beaucoup plus déprimantes qu’il y a 20 ans.
Le retour aux politiques économiques interventionnistes, dont il a été dit et répété ad nauseam qu’elles nous conduiraient inévitablement à un retour aux vagues inflationnistes des années 1970, pourrait, en fin de compte, nous protéger contre la tendance structurelle à la déflation et à la destruction de capital qui caractérise l’économie mondiale. En revanche, on évitera de décréter sans autre forme de procès que les grandes vagues de création monétaire de ces dernières années, à la base de l’emballement de cours de bourse devenus aujourd’hui intenables, sont le fait de politiques trop dirigistes. Au contraire, ces envolées irrationnelles sont à mettre au compte de politiques trop favorables au secteur privé. En effet, si les canaux bancaires de nos économies avaient été davantage socialisés, on peut gager que l’extraordinaire baisse des taux d’intérêts observable depuis bientôt une quinzaine d’années aurait davantage profité à l’économie productive.
Mais c’est une autre histoire. Elle reste, d’ailleurs, à écrire car l’actualité financière des prochains mois pourrait fort bien remettre ce point à l’ordre du jour. Mais cette fois, le monde du travail semble davantage prêt à relever le défi…
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[17] Olivier Allain, Marc Lavoie, ibid.
[18] Gabriel Nedelec et Sophie Rolland, « Le coronavirus provoque un krach Boursier mondial », édition papier des Echos (France) du 9 mars 2020.
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[24] Martin Arnold, Colby Smith, Fed’s Powell warns inflationary supply chain snags may persist, Financial Times, édition mise en ligne le 29 septembre 2021. Url : shorturl.at/qCFTW. Date de consultation : 30 septembre 2021.
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[29] International Energy Agency, World Energy Outlook, 2020.
[30] George Libby, As OPEC reopens the taps, African giants losing race to pump more, The Djakarta Post, édition mise en ligne du 27 septembre 2021, Url : shorturl.at/dnIR5. Date de consultation : 28 septembre 2021.
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[32] Ibid.
[33] Stanley Reed, Oil output is catching up with demand, possibly easing prices. A report says, New York Times, édition papier du 16 novembre 2021.
[34] ArabNews, Goldman expects oil prices to hit $90 by year-end as supply tightens, édition mise en ligne le 27 septembre 2021, Url : https://www.arabnews.com/node/1936281/business-economy. Date de consultation : 28 septembre 2021.
[35] La Libre Belgique, La Libre Eco, L’œil du marché, édition mise en ligne le 28 septembre 2021. Url : shorturl.at/mzKQZ. Date de consultation : 28 septembre 2021.
[36] Le Courrier International, « L’Opep+ maintient la hausse de sa production, une victoire pour Biden », 3 décembre 2021.
[37] Elsa Freyssenet, « Covid : le monde se barricade face au variant Omicron », Les Echos, édition mise en ligne du 28 novembre 2021. Url : shorturl.at/qrwQR. Date de consultation : 3 décembre 201.
[38] Juliette Raynal, « Essence, gaz, électricité... Pourquoi les prix de l'énergie flambent » in La Tribune, édition mise en ligne le 18 août 2021. Url : shorturl.at/jnwB5. Date de consultation : 29 septembre 2021.
[39] Hayat Gazzane, « Flambée des prix du gaz : comprendre le rôle de la Russie en 5 questions », Les Echos, édition mise en ligne du 7 octobre 2021. Url : shorturl.at/gEMPV. Date de consultation : 12 décembre 2021.
[40] Jean-Christophe Féraud, « Y a du haut dans le gaz. Gaz, électricité : jusqu’où les prix de l’énergie peuvent-ils grimper ? », Libération, édition papier du 28 septembre 2021.
[41] Fiorio, C.V. and Florio, M., Εlectricity prices and public ownership : Evidence from the EU15 over thirty years, Energy Economics, n°39, 2013, pp. 222-232.
[42] Laboratoire d'idées pour les PME-ETI, « Difficultés d’approvisionnement et hausse des prix des matières premières : vont-elles perdurer ? », 15 juillet 2021. Url : shorturl.at/dAFKN. Date de consultation : 30 septembre 2021.
[43] Ibid.
[44] Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) cité par le quotidien Libération, édition du 2 décembre 2021.
[45] Janus Henderson Investors, communiqué de presse du 23 août 2021 ? Url : shorturl.at/cvGNZ. Date de consultation : 5 septembre 2021.
[46] Banque nationale de Belgique, Compte des secteurs trimestriels détaillés, Url : shorturl.at/kxHIW. Date de consultation : 15 décembre 2021 (calculs propres).
[47] Ameco, septembre 2021.
[48] Conseil Central de l’Economie, « Le handicap des coûts salariaux », rapport CCE 2021-0101, 22 janvier 2021, p.10.
[49] Le Figaro, édition mise en ligne du 20 septembre 2018, Url : shorturl.at/suAF7. Date de consultation : 25 novembre 2021.
[50] Laurence Nayman, « Allemagne : je t’entraîne, moi non plus », CEPII, billet du 4 mars 2020. Url : http://www.cepii.fr/Blog/bi/post.asp?IDcommunique=788 Date de consultation : 25 novembre 2021.
[51] Béatrice Madeline, « L’Insee anticipe une baisse du pouvoir d’achat en France au premier semestre 2022 », Le Monde, édition mise en ligne le 14 décembre 2021. Url : shorturl.at/atJK6. Date de consultation : 16 décembre 2021.
[52] Lire à ce sujet le consternant article de la nouvelle égérie de la pensée alternative BCBG en Belgique francophone, à savoir Robert Reich, (site personnel), Psst : You want to know the truth about inflation ? (It's not what the Fed thinks it is), 16 décembre 2021. Url : shorturl.at/xEPV1. Date de consultation : 17 décembre 2021.
[53] Pierre Bezbakh, « Sherman et la loi antitrust » in Le Monde, édition mise e, ligne le 1er décembre 2008. Url : shorturl.at/ezIR0. Date de consultation : 12 décembre 2021.
[54] Colby Smith et Eric Platt, Fed officials expect three rate rises next year in hawkish pivot on inflation, Financial Times, édition papier du 15 décembre 2021.
[55] L’Echo, édition papier du 17 décembre 2021.
[56] Parmi ces voix inquiètes, citons notamment Alexandre Baradez (responsable analyses marchés chez IG France), « Zone euro : une situation économique fragile », Capital, édition mise en ligne le 29 octobre2019. Url : shorturl.at/jkmJS. Date de consultation : 30 septembre 2021.
[57] Guillaume de Calignon, « Zone euro : la réduction des déficits publics revient à l'ordre du jour », Les Echos, édition mise en ligne le 5 septembre 2021. Url : shorturl.at/uzKLU. Date de consultation : 3 octobre 2021.
[58] European Securities and Markets Authority (ESMA), ESMA Report on Trends, Risks and Vulnerabilities, n°2, Paris, 2021, p.4.
[59] Stefaan Michielsen, « Een gewaarschuwd belegger is er twee waard », De Tijd, édition mise en ligne le 1er septembre 2021. Url : https://www.tijd.be/opinie/commentaar/een-gewaarschuwd-belegger-is-er-twee-waard/10329445.html. Date de consultation : 15 septembre 2021.
[60] Jon Sindreu, The market should worry about 2022, not 2021, The Wall Street Journal, édition mise en ligne du 5 décembre 2020. Url : shorturl.at/hluFK. Date de consultation : 26 janvier 2021.
[61] Christopher Competiello, The stock market can drop as much as 80% : A 47-year market vet explains why we're in the midst of a global bust and makes a case for $10,000 gold, Business Insider, édition mise en ligne le 1er août 2020, Url : shorturl.at/jkxDP. Date de consultation : 4 octobre 2021.
[62] Thyagaraju Adinarayan, Morgan Stanley Sees Growing Risk of 20% Drop in S&P 500, Bloomberg, édition mise en ligne le 20 septembre 2021. Url : shorturl.at/bkxV9. Date de consultation : 4 septembre 2021.
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