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Retour sur le mythe des dominos bancaires

L’explication de la crise financière qui s’est imposée dans les médias est que la faillite de Lehman Brothers avait entraîné le ralentissement économique que nous connaissons actuellement, suggérant qu’un sauvetage financier de cette dernière aurait pu prévenir la récession. Cet argument a d’ailleurs été utilisé par le Directeur de la Fed, Ben Bernanke, pour justifier les sauvetages financiers de 2008 (Goldman Sachs, AIG...), suggérant que si une de ces sociétés faisait faillite elle emporterait avec elle la quasi-totalité du système bancaire. La menace de ce scénario d’Apocalypse financier a coûté aux contribuables américains plusieurs centaines de milliards de dollars. Pourtant, ce scénario est-il vraisemblable ?
 
En effet, c’est un scénario exigeant ; il faudrait non seulement que la banque concernée soit un acteur majeur du système financier, qu’on assiste à une chute rapide et importante dans la valeur de ses actifs, mais aussi que les autres banques lui ayant prêté soient très peu diversifiées. Selon ce scénario, qu’on illustre parfois par l’hyperbole « too big to fail » (trop gros pour laisser faillir), la faillite d’une banque importante entraînerait la contagion des autres banques par la dépréciation du prix des avoirs financiers, et au final une cascade de faillites mettant le système financier à plat et incapable de financer l’économie. La liquidation judiciaire de ce géant entraînerait la vente rapide de ses actifs sur un marché déjà en difficulté et ruinerait les institutions ayant prêté à la firme faisant faillite. Le problème est que ce scénario est plutôt improbable.
 
En effet, contrairement à la croyance ambiante, le processus de faillite ne fait pas disparaître instantanément la firme en difficulté, et il n’y a aucune obligation de la démanteler pour la solder rapidement. D’ailleurs, on reproche généralement tout à fait l’inverse au processus de faillite américain ; il serait trop lent. Les lois régissant les faillites aux États-Unis, les « Chapter 11 » et « Chapter 7 », sont faites de manière à permettre aux créditeurs de la firme en difficulté de maximiser la valeur de leurs droits sur les avoirs de la firme en faillite (tout comme la cessation de paiements en France). Pour ce faire, ils peuvent, si c’est dans leur intérêt, tout simplement réorganiser la firme ayant fait faillite pour éventuellement lui faire reprendre son activité commerciale (Chapter 11), ou procéder à une liquidation judiciaire (Chapter 7) qui peut, si c’est dans l’intérêt des créditeurs, s’étaler sur une très longue période. Ils ont bien entendu la possibilité de vendre rapidement les actifs, comme ce fut le cas pour certains départements de Lehman Brothers cédés en vitesse à Barclays par crainte de voir son personnel filer vers les concurrents. Cependant, la plupart des banques font comme la Finova, ayant fait faillite en 2001 et toujours en processus de liquidation presque 10 ans plus tard. Une chose est sûre, c’est qu’il n’y a aucune obligation de liquider rapidement les firmes ayant fait faillite si c’est contre l’intérêt de ses ayants droit et risque de déclencher une cascade de faillites.
 
Par ailleurs, le « too big to fail », même admettant que la banque soit soldée rapidement, tient aussi à l’hypothèse que les banques sont peu diversifiées. Dans une industrie qui est non seulement bien sensibilisée aux vertus de la diversification, mais qui doit répondre à des quotas sévères réglementant les parts maximales de son capital qu’elles peuvent engager sur une seule et même société, cette hypothèse est peu susceptible d’être vérifiée. Aux États-Unis par exemple une banque ne peut pas accorder de prêts excédant 15 % de son capital à une seule et même entité. Mais même sans ces réglementations, les informations révélées par la faillite de Lehman Brothers nous enseignent que jamais les banques ne s’exposent de manière aussi importante à un seul emprunteur. Le créditeur le plus important de ses 600 milliards de dollars de dettes, la banque japonaise Aozora, s’était assuré ramenant ses pertes réelles à environ 25 millions de dollars. Une somme insuffisante pour la menacer de faillite avec son capital de 7,4 milliards de dollars. Une étude menée sur des faillites antérieures fait apparaître des chiffres encore plus petits avec des expositions d’une valeur maximale égale à 2.4 % des capitaux d’une banque concentrés vers une seule firme. La concentration des engagements vers une seule firme nécessaire pour le scénario des faillites en cascade n’est généralement pas vérifiée. C’est là qu’il devient apparent que ce scénario du « too big to fail » est peu crédible.
 
Somme toute la thèse du « too big to fail », et du renflouement financier salvateur, sont bien peu convaincants. Il ne fait aucun doute qu’une faillite bancaire entraîne un certain ralentissement économique, mais les études (Lang et Stulz 1992, Furfine 2003, Jorion et Zhang 2008, Theocharides 2008) tendent à démontrer que ce ralentissement est à la fois négligeable et, contrairement à ce qu’on pourrait penser, beaucoup moins important que dans le cas des faillites industrielles. De plus, les spécialistes suggèrent que si un risque systémique existe il ne prendrait pas source dans le type de contagion directe évoquée plus haut entre l’emprunteur et ses créditeurs, mais dans l’information révélée par les faillites sur des facteurs de risques qui sont partagés par toute l’industrie. Les sauvetages financiers tels qu’on les a vus en 2008 n’ont aucun effet sur ce genre de contagion.
 
S’il faut chercher à comprendre les sauvetages financiers de 2008, la réponse ne se trouve certainement pas dans la politique du « too big to fail » ou dans l’épouvantail du « risque systémique », mais peut-être dans le copinage inéluctable entre les autorités et le secteur qu’elles réglementent. Souvenons-nous en avant de demander davantage de réglementation.
 
Mathieu Bédard est analyste sur www.UnMondeLibre.org.
 

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5 réactions à cet article    


  • W.Best fonzibrain 20 mai 2010 15:25

    l’épouvantail du « risque systémique 


    ce n’est pas un épouvantail, on a du soauver la grece pour sauver les banques française, lerisque de domino est la

    mais c’est qu’il faut, il faut une faillite généralisée, il ne faut pas qu’on paye les cds et autres conneries.

    espérons que l’euro explose, sinon bruxelles deviendra moscou et nous perdrons le peu de souveraineté que nous avons encore

    bref, c’eest l’Histoire que se déroule sous nos yeux, c’est magnifique


    • Lisa SION 2 Lisa SION 2 20 mai 2010 16:22

      Bonjour Mathieu,

      que c’est agréable de lire pareils propos. Dites moi, sur quelle sereine planète vivez vous ? Je ne comprends pas, le monde entier vibre sur la corde ( dis ) si sensible « qu’elle va casser » et vous, nonchalant, vous rassurez...J’admire l’exploit ! C’est la preuve vivante de l’autonomie mentale que génère la forte personnalité d’un auteur bien trop confidentiel. Le fait est que les discours catastrophistiques tendent à pousser les crédules à sauter par dessus bord en route pour alléger le grand vaisseau bancaire. En effet, il faut de la place pour entreposer l’or sur lequel comptent les hauts parleurs pour repeupler le monde futur après coulage de celui-ci...merci à vous et revenez plus souvent. L.S.


      • Mathieu Bédard Mathieu Bédard 20 mai 2010 17:31

        Bonjour Lisa,


        Attention, le cas de la faillite de certains Etats européen est une toute autre paire de manches. On sait que les banques sont plus exposés à ces risques qu’il pourrait sembler raisonnable à cause de la réglementation qui leur demande de traiter les dettes des Etats comme étant sans risque et donc ne demandent pas de réserve de capital pour la détention de ces titres. Dans ce cas est-ce qu’une cascade de faillites est possible ? Dur à dire sans étude approfondie du sujet, mais l’intuition pousserait à penser que les banques se sont assurés sur ces titres.

        Il faut aussi prendre en compte que ce que les autorités craignent en ce moment n’est pas seulement une vague de faillites chez les banques mais, sans entrer dans les détails, une contagion de la monnaie, voir aussi une contagion informationnelle... des scénarios qui semblent eux beaucoup plus crédibles.

      • _Ulysse_ _Ulysse_ 20 mai 2010 17:49

        Si il est probablement vrai que la faillite d’un seul établissement ne suffit pas à lui tout seul vous semblez sous estimer le risque de chute générale.
        Je vous rappelle tout de même qu’en 1929 90% des banques US ont fermé, c’est donc que c’est possible.

        La chute de lehman n’a pas directement menacé le système seulement il a entraîné un crack boursier qui lui a déprécier beaucoup d’actifs bancaires ce qui a menacé le système bancaire dans son ensemble.

        La cessation de paiement de la grèce déséquilibrerais le bilan des banques françaises et allemande de quelques dizaines de milliards. Cela je crois les mettrais d’office en faillite.
        Si la SG + Crédit agricole + BNP + Deutsche Bank font faillite en même temps, êtes vous certain que le système ne s’écroulerais pas ?

        Aujourd’hui il y a tellement d’actifs financiers basés sur des dettes NON REMBOURSABLES que tous les bilans bancaires sont potentiellement fortement déséquilibrés. C’est bien pour ca que les banques centrales jouent les poubelles en rachetant les actifs pourris très au dessus de leur valeur ! Ca permet d’éponger les actifs pourris en mettant ces papiers cul dans les banques centrales. Le souci c’est qu’elle achètent cela en éméttant de la monnaie et pour éviter l’inflation les banques ne font plus crédit => récession et chômage.


        • Mathieu Bédard Mathieu Bédard 20 mai 2010 18:20

          Bonjour _Ulysse_,


          Vous donnez l’exemple du Krach des années 30, c’est un exemple de faillites qui ont eu lieu simultanément et qui ont été causé non pas par la faillite d’une première institution mais par un risque tiers auquel toutes les banques était exposé. Les données empiriques tendent à démontrer que ce type d’effets joue, et peut mener à des problèmes systémiques. Ce qui est important de retenir c’est que les sauvetages financiers n’ont aucun effet sur ce genre de risque.

          Le problème européen actuel va un peu au-delà de la portée de cet article, mais l’essentiel de l’analyse reste un peu la même. Je vous conseille à ce sujet cet article ;

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