Sur l’industrie du disque...
Quelle déception lorsqu’on entend nos parlementaires débattre du téléchargement gratuit sur Internet !
Le débat est bien plus complexe qu’une simple opposition entre petits pirates et grandes sociétés !
Le débat actuel qui oppose les parlementaires sur Internet a de quoi surprendre. Depuis le début du mandat de Nicolas Sarkozy, c’est une des premières fois que l’on voit les députés UMP voter selon leurs convictions, plutôt que d’agir en chambre d’enregistrement comme le Parlement sous Louis XIV.
Il est néanmoins décevant, en tant qu’élève d’école de commerce, de voir la faiblesse des arguments économiques utilisés dans le débat sur le téléchargement gratuit. Une de nos professeurs de droit à HEC le rappelle avec ironie : la référence à Internet n’est apparue droit du travail qu’en 2006… et seulement en 2008 pour le droit de la publicité. On reconnaît bien la grande réactivité de nos parlementaires au progrès. Certains, d’après leurs secrétaires, sauraient même envoyer des mails…
Le débat français sur le téléchargement gratuit, tel qu’on peut le lire dans la presse, oppose deux visions économiques différentes. D’une part, ceux qui proposent une interdiction du téléchargement gratuit, avec un système plus ou moins répressif ; ils relayent les inquiétudes des producteurs et distributeurs. D’autre part, certains réclament la gratuité, sans se soucier de la crise qui frappe ces sociétés de production ; ils relayent les inquiétudes des consommateurs. Dans ce débat, aucun des deux réponses n’apporte de solution intéressante, et leurs arguments utilisés souvent fallacieux.
Examinons la première solution. Elle propose un retour plus ou moins avoué au système économique pré-Internet, contrôlé et au profit des maisons de disques. Dans ce système de production les artistes signaient généralement des contrats pluri-annuels et contraignants ; le rapport de force était plus favorable aux premiers. Hollywood dans les années 40 fonctionnait de manière identique, avec des écrivains de scénarios et des acteurs signés pour plusieurs années ; les studios étaient tout-puissants et créaient des œuvres standardisées. Le système de distribution des œuvres musicales, la radio, ainsi que les magasines et revues spécialisés, assuraient un « filtre » de qualité. En se rendant chez son disquaire un client bien conseillé pouvait espérer en sortir avec un bon disque.
La musique est un bien économique dont la qualité est très difficile à évaluer. Dans ce système, ces trois filtres – presse, réseaux de distribution et radio- permettaient d’en jauger en partie la qualité. Or, ce système s’est renversé. Les artistes communiquent directement au consommateur via MySpace. Les consommateurs utilisent leur iPod ou se rendent sur Deezer pour écouter des chansons qu’ils connaissent déjà.
Que proposent donc ceux qui veulent rendre illégal le téléchargement gratuit sur Internet ? De revenir au système économique d’auparavant, avec les maisons de production, la radio musicale, et les réseaux de distribution comme ses trois piliers fondateurs. Pendant ce temps, les habitudes des consommateurs ont changé. On peut recevoir à tout moment un message d’un ami qui nous invite à découvrir la page MySpace d’un artiste, être inscrit à la newsletter d’un blog musical, écouter gratuitement sur Deezer un artiste que l’on veut découvrir. Le consommateur collecte lui-même l’information. Il (ou elle) jauge la qualité des « biens » musicaux bien souvent en dehors des canaux d’information cités ci-haut, incontournables il y a encore dix ans. Il est donc moins prêt à payer pour un service -trouver de la musique de bonne qualité- qu’il effectue maintenant en grande partie lui-même.
Ceci explique en partie le désaveu par les consommateurs d’acheter des CD de musique, en boutique ou sur Internet : les artistes aujourd’hui peuvent assurer leur propre promotion sur Internet, MySpace est l’un des sites les plus visités au monde, la presse musicale a presque disparu, les disquaires n’ont plus pignon sur rue. Interdire le téléchargement illégal serait aussi stupide que si on avait interdit la télé en 1940 car elle menacait de tuer l’industrie du cinéma. Celle-ci a vu son chiffre d’affaire chuter de 50% dans les années 1940 à cause de l’arrivée de la télévision mais s’est restructuré pour offrir des biens de meilleure qualité. De la à dire que Christine Albanel est influencée par son amante Laurence Parisot, relai efficace des intérêts des industries du disque, il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas. Toujours est-il, cette solution n’est pas satisfaisante car elle élimine les bienfaits du progrès pour le consommateur. D’ailleurs les études économiques montrent une augmentation de dépenses (pour l’ensemble du poste de dépense « Musique » !) chez les personnes qui téléchargent gratuitement. Il y a donc plus d’opportunités de bénéfices qu’auparavant !
La deuxième position propose de rester dans le statu quo en permettant le téléchargement gratuit. Un des arguments utilisés est celui-ci : les artistes récupèrent très peu d’argent sur un CD, et peuvent vivre de l’argent de leurs concerts . Soit. Mais est-ce que ceci ne risque pas, quand même, de diminuer les vocations musicales ? Les possibilités de gagner sa vie pour un artiste seraient moins importantes.
Comment sortir de ce dillemme ? Un groupe californien l’a résolu il y a 40 ans. The Grateful Dead est un groupe de rock pyschédélique originaire de San Francisco, actif dans les années 1960 et 70. Ils vendaient peu de CD mais arrivaient néanmoins à bien vivre de leur talent. En effet, ils encouragaient leurs fans à enregistrer et diffuser gratuitement leurs chansons. Une section spéciale leur était reservée lors des concerts. Ils gagnaient leur vie grace aux ventes de leurs produits dérivés (notamment leurs t-shirts avec les « Dancing Bears ») et leurs concerts. Ceci leur a permis, par l’engouement qu’ils ont suscité, de conserver jusqu’à aujourd’hui une grande notoriété aux Etats-Unis. Leur modèle économique repose sur la distribution d’un produit gratuit et la vente de produits annexes, à la manière du modèle économique de l’opensource. C’est un système économique viable, mais qui suppose d’envisager une nouvelle organisation de la filière.
Certaines sociétés téléphoniques ont mis en place un autre système économique viable et prometteur. Lorsqu’on achète un forfait de téléphone, on se voit proposé une option qui comprend l’accès à internet qui donne accès à un téléchargment rapide gratuit et illimité de musique. La musique n’est pas vendue en soi, elle fait partie d’un package comprenant d’autres services ou produits. Déjà testé dans plusieurs pays, le système permet de rémunérer artistes et sociétés de production, tout en laissant le consommateur bénéficiait des nouvelles fonctionnalités décrites en début de cet article. Ceci s’inscrit dans un mouvement général de l’économie capitaliste, bien décrit par Jeremy Rifkin, d’une logique de l’accès plutôt que de la propriété.
Le débat autour du téléchargement ne se résume donc pas à ces deux positions antagonistes : un nouveau système économique dans le domaine musical peut émerger et remplacer celui dont nous vivons la chute.
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