TVA sociale : le cas danois
La décision, annoncée par le locataire actuel de l’Elysée lors de la réunion du Congrès du 22 juin, de recourir à un emprunt national est lourde de conséquence. Elle reflète le décalage de plus en plus flagrant entre le discours de la majorité actuelle et la réalité de ses actes. « Moi, je suis à la tête d’un État qui est en situation de faillite. Je suis à la tête d’un État en déficit chronique. Je suis à la tête d’un État qui n’a jamais voté un budget en équilibre depuis vingt-cinq ans. Moi, je dois ramener l’équilibre à la fin du quinquennat, sinon on ne bâtira plus rien » déclarait en 2007 François Fillon (1). De même, Nicolas Sarkozy appelait encore récemment à une concertation plus étroite au niveau européen afin de lutter contre la crise. Pour finalement prendre l’exact contre-pied de la politique suivie par une Allemagne déterminée à mettre de l’ordre dans ses finances publiques (2).
Il est très difficile de penser que le recours à cette mesure ne serve en fait qu’à dégager des marges de manœuvre utiles dans la perspective des présidentielles de 2012…La raison est qu’il faudra bien un jour stopper cette spirale de l’endettement : les banques ont prêté avec démesure, contraignant l’Etat, pourtant déjà lourdement endetté, à leur prêter à son tour, et c’est désormais le particulier français, prêtant déjà à EDF, qui vient boucler la boucle !
On avance souvent l’exemple du Japon, dont la dette publique dépasse les 200% du PIB, pour minimiser l’impact de l’endettement croissant de notre pays. Mais sans jamais se poser la question de savoir à partir de quel seuil d’endettement les marges de croissance se réduisent. L’économie japonaise n’est-elle pas en quasi-stagnation depuis les années 90 ?
Constatant la dégradation des comptes publics, Philippe Séguin, Président de la Cour des Comptes, jugeait cette semaine « trompeuse » la perception selon laquelle « “la France s’en tirerait mieux » que ses voisins, ajoutant que « les lendemains risquent d’y être pire qu’ailleurs » (3). Raison de plus pour faire du concept de dette soutenable une priorité…Car il existe une alternative à la « fuite en avant » proposée aujourd’hui par la tête de l’exécutif : conjointement à l’adoption d’une ambitieuse réforme des collectivités locales, susceptible de freiner les dépenses publiques, la refonte intégrale du système fiscal, refonte passant notamment par l’introduction de la TVA sociale.
Le seul véritable exemple de TVA sociale est offert par le Danemark, puisque l’Allemagne a finalement affecté les 2/3 du relèvement de 3 points (de 16 à 19%) du taux de TVA intervenu au 1er janvier 2007 à la réduction de son déficit budgétaire.
Le cas danois, constitué par le relèvement, en 1987, de trois points (de 22 à 25%) du taux de TVA moyennant la quasi-suppression des charges sociales pesant sur les entreprises, doit être analysé en prenant compte des particularités suivantes :
- Le contexte économique spécifique de 1987. L’introduction de la TVA sociale s’inscrivait dans le cadre d’une politique, initiée en 1986 (« kartoffelkur »), visant à refroidir la demande intérieure et à rétablir l’équilibre de la balance des paiements (4). La quasi suppression des charges sociales pesant sur les entreprises a donc été accompagnée par toute une série de mesures (freinage de la dépense publique, réduction du taux applicable à la déductibilité des intérêts d’emprunts, réduction de la durée de perception des allocations chômage…).
- La philosophie du système fiscal danois, dont notre pays est contraint de suivre certaines des caractéristiques avant toute introduction de la TVA sociale. Parmi elles, le rôle redistributif prépondérant joué par l’impôt sur le revenu, première source incontestée de recettes pour l’Etat danois, et le nombre très limité de niches fiscales. Rappelons également la suppression (par les socio-démocrates !) de l’ISF en 1997, impôt jugé inefficace…
Répartition attendue des recettes fiscales en 2010 (Ministère des Impôts)
Impôt sur le revenu : 52%, TVA : 23%
- La manière dont est perçue la TVA. Son caractère proportionnel et uniforme (il existe très peu d’exemptions au taux de 25%) est accepté par la population tant que l’impôt sur le revenu occupe la première place en termes de redistribution.
- L’introduction de la TVA sociale est allée de pair avec l’engagement pris par les syndicats de modération des revendications salariales au cours des années qui ont suivi. En dépit de la quasi-suppression des charges sociales pesant sur les entreprises, le coût du travail est en effet depuis longtemps plus élevé au Danemark en raison du niveau des salaires.
L’héritage de Poul Schlüter, Premier Ministre danois de 1982 à 1993, est controversé. Suite à la « kartoffelkur », la balance des paiements est redevenue positive en 1990, pour la première fois depuis plus de 20 ans. Le taux d’inflation, qui excédait 10% en 1982, fut divisé par cinq dix ans après. Le déficit budgétaire fut quant à lui ramené de 9,1 à 2,6% sur la même période. Afin d’éviter l’emballement de l’économie, l’objectif de refroidissement la demande interne a toutefois conduit à une forte poussée du chômage, dont le pic fut atteint en 1993 (12,4%), qui a à son tour contribué au creusement de la dette publique, cette dernière dépassant à la même date la barre de 80% du PIB.
Il existe toutefois aujourd’hui un relatif consensus au Danemark sur le fait que les résultats obtenus par la suite, tant en termes de chômage (baisse de 12,4 à 5,2% du taux de chômage sous l’ère Poul Nyrup Rasmussen entre 1993 et 2001, atteinte du plein emploi sous l’ère Anders Fogh Rasmussen) qu’en termes de réduction de la dette publique (27% du PIB fin 2007), n’auraient pu être atteints sans la résolution préalable des problèmes rencontrés en termes de compétitivité. De nombreux économistes indiquent également que les effets collatéraux d’une telle réforme auraient été plus limités si elle avait été mise en oeuvre plus tôt.
De l’introduction de la TVA sociale, réalisée dans un contexte spécifique mais dont certains des éléments ne vont pas sans rappeler la situation économique prévalant aujourd’hui dans notre pays (déséquilibre des comptes extérieurs et des comptes publics), peuvent être tirés les constats suivants :
1) La compétitivité des entreprises danoises n’a jamais été démentie depuis son introduction, malgré le niveau élevé des salaires. Sur l’année 2007, le coût du travail moyen dans le secteur privé était de 36 euros par heure. Seulement 4% de ce montant était constitué de charges hors salaire (5). Les exportations représentaient avant la crise 35% du PIB, le pays affichant des excédents commerciaux et des excédents de la balance des paiements réguliers.
Evolution du solde de la balance des paiements
Evolution du solde de la balance commerciale (Danmarks Statistik)
2) L’introduction de la TVA sociale a permis de mener une réflexion plus large sur la manière de développer la compétitivité des entreprises. Il convient en effet une nouvelle fois de souligner que l’adaptation aux défis posés par la mondialisation est également passée par l’approfondissement de la politique de formation continue, condition indispensable de la spécialisation de la main d’œuvre sur des productions à plus haute valeur ajoutée.
3) D’autre part, l’introduction de la TVA sociale a eu le mérite de clarifier le débat sur les délocalisations. Elle permet donc, dans une certaine mesure, d’expliquer le pragmatisme danois sur un thème toujours très sensible dans notre pays, puisqu’elle a débouché sur la quasi-suppression de toute distorsion fiscale dans le coût de production entre les biens produits au Danemark et ceux produits à l’étranger.
4) L’introduction de la TVA sociale a été suivie, à partir du milieu des années 90, par une remarquable série d’excédents budgétaires que seule la crise actuelle est venue remettre en cause.
Evolution du solde public (Ministère des Finances)
Pour résumer, le principe de TVA sociale ne peut être mis en oeuvre dans notre pays sans une réforme préalable du système fiscal, qui doit intégrer davantage d’éléments de justice sociale, et sans le lancement d’une politique globale en faveur de la compétitivité. Ajoutons qu’une coordination au niveau européen serait bien évidemment souhaitable. Jean Arthuis avance par exemple que la TVA sociale aurait le mérite de mettre un terme au débat sur le projet de Directive Européenne sur les services (6). Ouvrons également les yeux sur notre niveau d’endettement, qui nous contraint à financer notre protection sociale par des produits et services conçus à l’étranger…Rappelons enfin qu’il s’agit de réduire les charges pesant sur les entreprises, pas de parvenir, comme au Danemark, à leur quasi-suppression.
Creuser davantage les déficits en affirmant que chaque euro d’endettement supplémentaire sera affecté à des priorités nationales, c’est reconnaître implicitement que la dérive des finances publiques n’a été jusqu’ici que le résultat d’un immense gâchis…Certes, la TVA sociale pourrait momentanément ralentir la consommation. Mais comme l’affirmait cette semaine Philippe Séguin, une dégradation encore plus marquée des comptes publics expose la France à plusieurs risques dont “un risque économique” marqué par la remontée du taux d’épargne des ménages.
Le Danemark a souvent eu recours à l’arme fiscale en temps de crise. En 1987, en instaurant la TVA sociale, ou encore aujourd’hui, à travers la réforme adoptée dans le cadre du “paquet de printemps 2.0”, qui débouche sur des changements d’une ampleur inégalée. Qu’est-ce qui nous empêche de faire de même ?
(1) « Requinqué, Fillon s’offre une journée en Corse » Le Figaro, 22 septembre 2007 http://www.lefigaro.fr/politique/20070922.FIG000000937_requinque_fillon_s_offre_une_journee_en_corse.html
(2) « L’Europe divisée sur les hausses d’impôt » le Figaro, 26 juin 2009 http://www.lefigaro.fr/impots/2009/06/26/05003-20090626ARTFIG00253-l-europe-divisee-sur-les-hausses-d-impots-.php
(3) « La Cour des Comptes s’inquiète du risque d’emballement de la dette », Le Monde, 24 juin 2009 http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/06/24/la-cour-des-comptes-s-inquiete-du-risque-d-emballement-de-la-dette_1210595_3234.html#xtor=RSS-3208 Philippe Séguin précise par ailleurs que la France est le quatrième Etat le plus endetté de la zone euro et que ses dépenses publiques (plus de 52% du PIB) sont supérieures de 9 points à celles de l’Allemagne.
(4) Outre le fort déficit de la balance des paiements, l’économie danoise était caractérisée en 1986 par un taux de croissance proche de 5% et une consommation privée en hausse de 5,6%.
(5) Donnée Danmark Statistiks http://www.dst.dk/pukora/epub/Nyt/2008/NR480.pdf Les employeurs contribuent de plus au système de retraite complémentaire professionnelle (dispositifs de retraite apparus dans le cadre de conventions collectives couvrant 85% du marché du travail danois). Le montant versé chaque mois, dont les 2/3 sont à la charge de l’employeur, peut être considéré comme un élément de salaire différé. Le montant à la charge de l’employeur est variable mais équivaut en moyenne à 10% du salaire. Il faut également noter que les entreprises danoises ne contribuent pas au financement du système d’assurance-chômage.
(6) “TVA sociale et plombier polonais” http://www.jeanarthuis-blog.fr/index.php?sujet_id=2588
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