Un abîme social en Europe : au suivant !
Ou comment le « cas particulier » de la Grèce devient la norme européenne.
Fin 2012, la Grèce n'est plus seule dans la crise. La zone Euro entière entre en récession et le Portugal, l'Espagne et l'Italie se retrouvent aujourd'hui là où était la Grèce en 2011.
Quel espoir reste-t-il encore ?
Cet article est le dernier d'une série de trois, rédigés en conclusion du travail documentaire Chroniques d'un hiver européen portant sur le vécu quotidien des mesures d'austérité par la population grecque.
Adresse originale de l'article : http://hivereuropeen.wordpress.com/listen/episode-3-5-athenes-conclusions/un-abime-social-en-europe-au-suivant/
Les deux premiers articles sont disponibles ici : http://hivereuropeen.wordpress.com/listen/episode-3-5-athenes-conclusions/
Le documentaire est disponble gratuitement sur le site du projet : http://hivereuropeen.wordpress.com/
En rentrant d’Athènes, j’ai essayé de garder contact avec les personnes qui ont accepté de témoigner pour le documentaire. En six mois, toutes sans exception ont vu leur situation matérielle et psychologique se dégrader. Sur la douzaine de voix que l’on peut entendre dans le documentaire, cinq au moins ont émigré hors de Grèce. La problématique de l’émigration est un véritable compte à rebours. Il faut avoir des moyens pour pouvoir partir. De quoi payer le voyage, une petite épargne pour subsister à l’étranger… Ceux qui ont le courage de ne pas quitter tout de suite la Grèce voient leurs réserves financières fondre et leurs possibilités futures d’émigrer disparaître. Il s’agit d’un dilemme où chaque semaine d’hésitation fait augmenter le risque de ne plus pouvoir s’en sortir.
Mais voilà presque un an que je ne me suis pas rendu en Grèce. Je n’ai plus aucune possibilité de pouvoir rendre compte de l’atmosphère qui y règne. Les mots ne donnent qu’une vague idée de ce que cela signifie que de voir sa vie bouleversée au milieu d’un pays qui sombre. Je l’ai réalisé l’an dernier en vivant trois semaines au milieu de la situation telle qu’elle était à l’époque. Il faut le vivre pour vraiment le comprendre. Un an plus tard, même à moi, cela me parait à nouveau abstrait. Je sais ce qu’il s’y passe mais je ne le ressens que très vaguement, en associant des souvenirs émotionnels de mon séjour passé à des nouvelles factuelles. Seuls les grecs savent exactement ce qu’il en est.
Ceux qui vivent au Portugal ou en Espagne peuvent eux par contre sûrement le comprendre. L’austérité y fait aussi son chemin, toujours plus loin1 . Les derniers mois, en discutant avec des gens ayant de la famille dans un de ces pays, j’ai entendu des échos de ce qu’il s’y passe. On m’a parlé d’amis ou de membres de la famille, de plus en plus nombreux, qui se rapprochent eux aussi de l’impasse. D’un sentiment de fatalité. Du bord du gouffre. Que les prochaines mesures pourraient être fatales…
Avec un petit délai, peut être une année, il se passe exactement la même chose. Le fameux cercle infernal « austérité->baisse de la consommation->augmentation du chômage->baisse de recettes de l’état->augmentation de la dette-> encore plus d’austérité » est aussi à l’oeuvre.
L’efficacité destructrice de ce cercle vicieux est maintenant confirmée par une répétition des exemples : en l’espace d’un an (octobre 2011 à octobre 2012), le chômage est passé de 13,7% à 16,3% au Portugal, de 22,7 à 26,2% en Espagne et de 8,8 à 11,1% en Italie. La croissance s’effondre, la dette gonfle. La Troïka et le gouvernement Merkel fustigent les pays sous austérité de « manque de sérieux » dans l’application des mesures. L’explosion du chômage n’est-elle pourtant pas une preuve tangible que les mesures sont bel et bien mises en place ?
Les histoires entendues en Grèce l’hiver dernier peuvent être aujourd’hui racontées dans un nombre infini de variantes. Au Portugal et en Espagne, mais aussi de manière croissante en Italie, en France….
En deux ans et demi, nous avons accumulé assez de preuves que le système européen régi et conditionné par ses dogmes d’influence néo-libérale a perdu toute mesure du danger de son programme économique. Dans l’idéologie néo-libérale, la variable sociale est un élément qui est délibérément et consciencieusement négligé. Non par omission mais par principe théorique. Sauf qu’en raisonnant uniquement en théorie économique on finit par en oublier que cette théorie est directement liée à d’autres facteurs, entre autres la vie de millions d’êtres humains.
On peut donc raisonnablement penser que le système politique actuel n’a tout simplement aucune conscience réelle des conséquences de ses actes. Tant que cet élément ne changera pas, on ne peut pas espérer de remise en cause du programme actuel.
Reste à parler de la Banque centrale européenne (BCE). Cette institution a tous les pouvoirs concernant l’euro. Pourtant, arguant de son statut « apolitique » et « technocratique », elle s’est bornée à ne rien faire en faveur des pays surendettés lorsqu’ils sont entrés en crise. Mais en 2012, deux mesures ont prouvé que la BCE a bel et bien tous les pouvoirs et qu’elle peut en user à sa guise. En Janvier 2012 tout d’abord, alors que les « marchés » étaient une fois de plus en situation critique à cause de la crise européenne, la BCE a créé 1000 milliards d’euros de prêts de longue durée et à taux très bas pour « soutenir » le secteur bancaire (opération LTRO). Puis, en septembre, après deux ans de refus ayant entraîné les plongeons successifs de la Grèce, du Portugal, de l’Irlande et de l’Espagne, la BCE a accepté de racheter si nécessaire en quantité illimitée les dettes de ces pays, rendant ainsi en théorie toute spéculation sur la dette impossible. Ces deux actions montrent bien que malgré le discours officiel, la BCE a en fait tous les pouvoirs. Seulement, elle en use ou non à sa guise et en faveur de qui lui plaît, exerçant par la même une pression politique gigantesque.
Au milieu de cet engrenage infernal, quelle peut finalement être l’utilité d’un projet documentaire tel que les Chroniques d’un hiver européen ? Le projet initial souhaitait explorer la psychologie de la crise de pays en pays. Mais les conclusions de la première partie en Grèce sont trop évidentes : nous retrouverons probablement les mêmes drames individuels au Portugal et en Espagne. Est il nécessaire d’accumuler à nouveau des témoignages de dépressions et de tragédies personnelles ?
Que faire alors ? Une des idées originales du projet était aussi d’enquêter sur les initiatives positives émergeant d’un tel bouleversement sociétal. Malheureusement, il y eut très peu à entendre à ce sujet en suivant le hasard des rencontres. Peut être faudrait-il mettre un peu plus d’énergie à dénicher des initiatives positives qui, nous l’espérons, existent. Et raconter alors ces histoires là.
—–
1 : Nous n’oublions pas l’Irlande, mais ce pays a au final une trajectoire assez particulière. Il a connu un énorme choc en 2008/2009 mais la dégradation de la situation par les mesures d’austérité, bien qu’existante, semble être pour l’instant beaucoup plus lente. Deux facteurs compensatoires entrent probablement en jeu : d’une part l’Irlande est un partenaire privilégié des États-Unis, pays qui connaît une situation relativement meilleure que celle de l’Europe au cours des deux dernières années et d’autre part, la fameuse et controversée loi d’impôt sur les sociétés (12,5% d’imposition contre 25,7% en moyenne en Europe) donne un avantage certain à l’Irlande pour résister aux dégâts de l’austérité.
Chroniques d’un hiver européen, une série documentaire sur l’austérité en Europe
À regarder sur : http://hivereuropeen.wordpress.com
Novembre 2012.
Pour lire le premier article de la série, cliquez ici.
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