Une approche française de la situation économique allemande
On entend souvent parler du miracle économique allemand de la part d'économistes et d'éditorialistes qui semblent faire acte de bonne foi en se plaçant d'un point de vue strictement germanique en comparant des statistiques officielles en matière de chômage, de compétitivité, de productivité et de croissance. Malheureusement si ce point de vue amène invariablement à conclure à la "supériorité du modèle allemand" sous réserve de l'adapter aux spécificités françaises, il conviendrait sans doute d'abord d'analyser le modèle allemand à l'aune des critères retenus pour analyser la société et l'économie française.
I- Le chômage :
Vision dominante : Le taux de chômage est à près de 10% en France et de 6.5% Allemagne POINT BARRE !!! (parfois justifier par les indispensables réformes de structures dont on n'explique jamais ce que c'est pour mieux laisser le premier venu vous expliquer ce que c'est).
Clarification méthodologique et statistique : Derrière les statistiques officielles, il y a les différentes catégories (A-B-C-D-E) en France qui permet d'aboutir à un "chômage" global dont on ne préfère retenir que la catégorie A dans les statistiques officielles françaises et l'équivalent allemand. MAIS, que se passe-t-il si on tente d'appliquer le reste des catégories à la situation allemande pour aboutir à un chômage global (total ou partiel) ?
La comparaison statistique est relativement ardue du fait de l'absence d'une telle catégorisation en Allemagne (on comprend bien pourquoi) et de la notion de "recherche active" qui constitue la variable clé en France. Mais on tentera d'aboutir grosso modo à une approximation qui permettra de retrouver la dynamique sous-jacente.
Rappel : Environ 5.5M de chômeurs au total en France toutes catégories confondues (en comptant les seniors de + de 55ans) et les non-inscrits à Pôle Emploi (qui permettra de pondérer les situations de formation ou de contrats aidés) ce qui donne un taux d'inactivité ou d'"activités réduites assimilables au chômage" de 19%
Tentons approximativement d'appliquer une telle méthode au cas Allemand...
- En Allemagne le taux de chômage officiel est calculé par rapport au nombre de personnes ayant droit aux indemnités chômage officielles dites « Arbeitslosengeld I ». Avant les lois "Hartz" le chômage allemand et le chômage français étaient quasi identiques, puis vinrent les lois "Hartz" qui rendirent plus dures les conditions d'accession et de maintien à ces « Arbeitslosengeld I » tout en développant les mini-jobs (payés entre 400 et 800€) ainsi que les "1€ jobs" payés 1 euro de l'heure. L'astuce incroyable réside dans le refus du droit à l'« Arbeitslosengeld I » pour les "bénéficiaires" de cette loi Hartz (concerné par un régime « Arbeitslosengeld II » ainsi que dans la réduction à 12 mois (contre 24 à 36 auparavant) du bénéfice du régime officiel.
En clair, les précaires des lois "Hartz" ne sont pas comptabilisés dans les statistiques officielles de même que l'équivalent des chômeurs de longue durée (supérieur à 12 mois). Un peu comme si l'on faisait passer les chômeurs de la catégorie A (officiel) dans les catégories inférieures en France.
Maintenant que ces correctifs sont posés on peut tenter avec une marge relativement fine de comparer les 2 pays (on retiendra qu'un travailleur allemand qui gagne moins de 800 euros par mois (maximum Hartz) a plutôt intérêt à chercher un travail et rentrerait dans les catégories B-C-D-E de Pôle Emploi :
L'étude de référence sur la question des lois Hartz estime à environ 5M le nombre d'allemands concernés par les lois Hartz qui ne rentrent donc pas dans les statistiques officielles, on rajoutera 1M de chômeurs de longue durée et de seniors non pris en compte dans les statistiques récentes (de l'aveu de la ministre du travail). Au total 3M de chômeurs officiels + 6M = 9M rapportés sur la population active on obtient ainsi : 20.5% de taux d'inactivité ou d'activités réduites assimilables au chômage" (évaluation a minima, la fourchette serait autour de 19-22).
On peut ajouter que 7M de personnes touchent moins de 10 bruts de l'heure (avec les spécificité brut-net que l'on verra par la suite) selon un rapport de rapport de l'Institut du Travail de l'Université de Duisbourg.
Conclusion : Au sens français du chômage, le chômage allemand se situe au même niveau que le chômage français.
(N.B : Malheureusement la méthode de calcul spécifique à l'Allemagne rend impossible un calcul du chômage français via la méthode de calcul allemande, il aurait été sans doute amusant de voir le chômage français à 7%).
II- Les salaires :
Vision dominante : Malgré la modération salariale en Allemagne dont chacun a conscience au titre des "réformes de structure" l'idée est répandue que les salaires sont plus élevés en Allemagne.
Analyse : Le brut en Allemagne est plus élevé 35 000€/an contre 29 000€/an en France grosso modo, mais qu'en est il du salaire net ?
Le but n'est pas de démontrer que les salaires réels sont plus faibles ou autre qu'en France mais de démystifier une idée reçue sur la pression fiscale sur le travail. Il convient de noter qu'en Allemagne le salaire brut est amputé des impôts et des charges sociales (le taux et le niveau varient constamment selon les situations dans la limite d'un plafond mais ils sont sensiblement supérieurs à ceux pratiqués en France notamment concernant la charge d'impôts). Le net français est avant impôt et le net allemand après impôts donc : Quelques exemples tirés de cette page : Pour un individu seul et sans enfant : "Un salaire français de 2.046,55 € correspond à un salaire de 2.537,84 € en Allemagne. En effet, pour ces deux salaires bruts, le net sera de 1.500 € après impôts"...
Conclusion : Le modèle particulier de prélèvement des impôts au cours de l'année additionnées à des charges salariales plus élevées de 10 points sur les salaires entre 400 et 2000 € font que le salaire net français et allemand se situe à des niveaux comparables contrairement à ce que laisserait penser le seul examen du salaire brut. Il en va différemment des charges patronales et des salaires inférieurs ou supérieurs à 2000€.
III- La compétitivité :
Vision dominante : Il existe une divergence de compétitivité entre la France et l'Allemagne au profit de cette dernière qui se manifeste dans l'excédent commercial allemand et fait ressurgir en France les débats sur les 35h et les charges sociales.
Nuances : La clef de lecture de cette démonstration réside dans l'abandon d'une simple comparaison franco-allemande qui n'a aucun sens si elle n'est pas replacée dans le contexte européen et des pays de l'OCDE qu'observe-on alors ?
- La réunification allemande a dopé la consommation intérieure au détriment des exportations, ce qui explique l'évolution spectaculaire des exportations allemandes lorsque cela s'est corrigé à partir de 2003 (le niveau des exportations allemandes en 2003 correspond au niveau de 1985 (alors qu'en France la progression a été constante quoique plus lente sur la période 1950-2012), ce qui permet à l'Allemagne de maintenir ses parts de marchés alors que tous les pays industriels développés (hormis la Chine et dans une moindre mesure la Russie) ont vu leurs parts diminer brutalement.
- Le débat sur les 35h et la durée légale du travail n'a de sens que rapportée aux heures de travail "effectivement prestées" qui se sont alignées entre la France et l'Allemagne autour de 36-37h. La comparaison portera donc sur le coût salarial unitaire dans l'industrie dont on constate qu'elle n'est nullement impactée en France par les 35h tandis qu'on observe en Allemagne que le coût du travail augmente quand la durée du travail augmente et qu'il baisse quand la durée du travail baisse (en raison des gains de productivité réalisés à côté et des mécanismes compensant la hausse du coût). En conséquence on peut réduire la durée du travail sans augmenter le coût horaire unitaire avec des mesures adaptées telles que celles mises en œuvre lors du passage aux 35h tandis que les heures supplémentaires se traduisent telles qu'elles par une dégradation de la compétitivité si des mesures correctrices ne sont pas prises.
- L'Allemagne par rapport aux autres pays de l'OCDE a une stratégie de mono-spécialisation industrielle tout en étant déficitaire concernant les avantages comparatifs relatifs aux minerais, aux services et à l'agriculture ce qui lui donne certes un gros potentiel exportateur pour son industrie mais la rend vulnérable pour les services et l'énergie (tout comme la France pour l'énergie)... La France elle équilibre globalement ses avantages dans tous les secteurs par rapport aux autres pays (CF : Panorama de l'économie mondiale) ce qui lui sera bénéfique à terme, elle est uniquement plombée par sa dépendance énergétique et par la prédation sur les exportations industrielles que l'Allemagne réalise aux dépends de toute l'Europe, certains appelleront cela de la concurrence, d'autres du dumping déloyal dans le cadre d'une Union supposée entre États Européens.
- On a vu la multiplication des emplois sous-payés en Allemagne notamment dans le domaine de l'industrie ce qui offre un joli dumping salarial à l'Allemagne dans le domaine industriel notamment.
Conclusion : On ne peut pas nier que l'Allemagne dispose d'un savoir faire et d'une qualité industrielle qui lui assure une compétitivité hors-coût sans doute supérieure à celle de la France mais concernant la compétitivité supposée sur les coûts de l'Allemagne, elle s'explique rationnellement mais de manière assez fourbe sur sa pression salariale à la baisse de manière à tenter illusoirement de rattraper la Chine, et historiquement par la réunification. Les excédents allemands sont autoentretenus par la croyance que ce sont les excédents qui traduisent des fondamentaux économiques supérieurs à ses concurrents alors qu'une analyse fine démontre que l'Allemagne a bénéficié de circonstances très favorables dues à des facteurs historiques et à des choix désastreux pour les autres économies de l'Union (notamment les pays du Sud et dans une moindre mesure la France).
CONCLUSION GÉNÉRALE :
1° Toutes les précédentes considérations concernant les "fondamentaux de l'économie" ayant pour but de démystifier certaines idées reçues ne doivent pas se départir de considérations tout aussi fondamentales concernant la démographie.
En effet, la démographie allemande est en bout de course (comme le montre les campagnes visant à attirer des étrangers) tandis que celle de la France est encore vigoureuse, les prévisions prévoient que la population française devrait doubler la population allemande d'ici 2030-2035. Les conséquences sont multiples et permettent en partie d'expliquer la situation actuelle. En premier lieu, la consommation française sera plus vigoureuse que la consommation allemande appelée à stagner dans les années à venir tirant la croissance vers le bas ce qui explique le choix d'une croissance basée sur les exportations à l'heure actuelle. En second lieu, l'Allemagne sera plus vite confrontée aux problèmes de financement de son système de retraite ce qui explique ses choix beaucoup plus "courageux" et rigoureux en la matière et qui justifie que la France ne soit pas obligée de suivre le même rythme (encore que les comptes y gagneraient). Enfin on peut penser que la jeunesse française des années futures aura un potentiel d'innovation et tirera la croissance vers le haut comme les études tendent à le prouver..
Ces éléments militent en faveur d'une prise en compte plus cohérente de ces tendances et de ces dynamiques géographiques, historiques et démographiques dans la réflexion sur les politiques économiques. Cette prise en compte est indispensable avant toute volonté de centraliser les politiques fiscales, ou budgétaires des états ou de les aligner alors que leurs fondamentaux économiques et démographiques ne sont pas les mêmes...
2° Enfin une réflexion personnelle sur les perspectives européennes : Toute réponse à la crise qui repose sur une cure d'austérité pénalisant trop la consommation intérieure d'états dont la croissance repose sur la consommation est une erreur majeure dont les effets récessifs monstrueux se font sentir en Grèce et en Espagne et bientôt (dans une moindre mesure en Italie dont le tissu industriel est plus dense)... Malheureusement on en prend le chemin et le chapeau sera porté par les grecs évidemment alors même que ce sont les choix allemands qui freinent toute potentialité de développement industriel permettant l'export dans les pays du Sud, laissant la pistache aux grecs et les agrumes aux espagnols. Seuls des transferts de technologies et une péréquation financière plus juste et plus cohérente (si l'Allemagne cessait de vendre des armes une seule année à la Grèce, son déficit public annuel serait inférieur de près de 10%). Il est temps qu'il y ait un débat sur l'équilibre des forces en Europe sauf à ce qu'on laisse l'Allemagne continuer à tuer dans l’œuf toute renaissance industrielle harmonisée en Europe dans le cadre d'une réelle Union en laissant aux états du sud la possibilité de se développer selon leur propre modèle de croissance...
3° Il est dangereux de lier sans cesse la compétitivité aux seuls coûts du travail sinon la course au dumping replongera l'Europe dans de vieux travers et replis nationalistes que l'Allemagne évite avec brio en camouflant ses propres replis derrière une volonté affichée d'Union visant en réalité à préserver ses propres débouchés.
Sources : Insee - Ecointerview - http://www.ambafrance-de.org - Statistiques-mondiales - Ifrap - Panorama de l'Economie Mondiale du CEPII - Aux infos du Nain - Blog d'Olivier Bouba-Olga...
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON