Une révolution monétaire est-elle concevable ? La clé de 2007 ?
Cet été 2001, attelé à penser la société, sur fond de révolte antimondialiste, je jouais à refaire le monde, produisant une série d’articles mis en ligne sur le forum de Libération. AgoraVox n’existait pas. Et les tours du WTC n’en avaient que pour quelques semaines à rester debout, symbolisant la toute-puissance économique des Etats-Unis avec sa célèbre institution délivrant le Dow Jones à New York, capitale de la finance. En réfléchissant sur le système économique, une idée m’est venue. Pour compenser les inégalités et produire un développement équitable, il suffit de réformer le système monétaire en instituant une banque monéthique.
Le principe de la monéthique est simple, et son intitulé signifie parfaitement sa vocation, créer une monnaie dont l’usage répond au domaine de l’action éthique pour autant que celle-ci puisse être décidée selon des règles de débat démocratique. Mon article fut publié sur les forums de Libération, puis sur ceux du Monde. Je l’ai ensuite légèrement retravaillé pour le mettre en ligne ici. J’avoue que cette idée m’a valu force moqueries et ricanements. Ce qui ne m’a pas empêché de persister, de signer, et de continuer à défendre ce concept qui, en fin de compte, n’a rien d’une utopie extravagante ni d’une fantaisie philosophique, puisque cette idée est énoncée dans un livre paru en octobre 2006 aux Editions du Panama. Son auteur, François Rachline, professeur d’économie à Sciences po, envisage une possibilité de combattre la pauvreté en jouant sur la création de monnaie. Bref, un usage de la planche à billets, mais sous un contrôle politique, et de manière concertée au niveau international. Ceux qui liront mon article verront que c’est exactement le principe de la monéthique. Voilà comment je présente cette affaire, indépendamment du contenu de ce livre que bien évidemment, j’invite à lire (moi inclus).
Le système monétaire se transforme
Les historiens le savent, le système monétaire change selon les époques, et a notamment évolué à l’ère moderne et industrielle, où l’économie a eu besoin d’un instrument d’échange efficace et adapté au commerce sans cesse croissant, conséquence d’un système productif de plus en plus puissant. Dans les temps anciens, on frappait la monnaie faite dans des métaux rares. Déjà, Aristote dénonçait la chrématistique, l’accumulation de la monnaie pour la satisfaction de posséder. Puis Law, et la pagaille consécutive à l’introduction du papier monnaie, ce qui en dit long sur ce rapport fétichiste et hystérique de l’homme à l’argent. La suite est connue. L’émission de monnaie fut liée aux réserves d’or détenues par les banques nationales, puis, la croissance aidant, l’or fut remplacé par le dollar, puis par le système monétariste des libres changes, sous les conseils de Friedman récemment décédé (au moment où son système devient obsolète, tout comme Kojève décéda en 1968, étranger au mouvement de mai). Et nous voilà dans le monde actuel. La seule chose à retenir, c’est que le système monétaire répond aux objectifs économiques : favoriser les échanges, le marché, l’épargne et le progrès technologique. Les Etats, responsables du système monétaire, ont joué avec différentes mesures, fixation des taux de change, dévaluation et, rarement, la planche à billets.
Lincoln, pour financer la guerre contre les confédérés, a usé de la planche à billets pour ne pas être l’otage des banques venues prêter à des taux exorbitants les moyens de financer ce conflit qui avait des ressorts éthiques. La planche à billets se réclame d’un motif légitime contre un ordre légal économique. Actuellement, la planche à billets peut servir à combattre la pauvreté, mais est-ce une guerre que veut mener la France ? Le fait même que cette éventualité soit passée sous silence dans les médias montre bien que les élites et leurs obligés n’ont aucune intention en ce domaine. Mettre deux paquets de pâtes dans le chariot pour la banque alimentaire dispense de réfléchir.
Conséquences de la monéthique sur le système économique
L’un des problèmes majeurs de nos sociétés repose sur la disparité des moyens de paiement, avec d’un côté une économie empire drainant d’énormes flux, partagés entre quelques-uns, et d’un autre côté une tierce économie, asséchée en moyens financiers et servant souvent d’ajustement. Cette conjoncture s’éclaire avec une allégorie toute simple. Il suffit d’imaginer un territoire où des vergers sont arrosés en excès ; on y voit pousser une végétation luxuriante, alors que d’autres lieux bénéficient d’un arrosage limité, les plantes y sont rachitiques et desséchées. Plusieurs parutions récentes décrivent un capitalisme aux tendances prédatrices, dont la mise en place date de plus de dix ans. Maurice Allais avait compris le processus. Patrick Arthus envisage actuellement une autodestruction du capitalisme, pointant les disparités énormes entre les résultats des grandes entreprises (économie empire) et la précarité qui s’étend (le désert de la tierce économie). Mais pointer la disparité entre les revenus du travail et ceux du capital ne résoudrait qu’une faible part du problème, rééquilibrant le rapport salaire-actionnaire certes, mais au sein de l’économie empire, ce qui ne modifierait guère la conjoncture.
Autre point de vue, celui de François Morin, professeur de sciences économiques, dont la thèse ne manque pas de piment. Rapprochant la conjoncture actuelle de celle des années 1920-1930, il confirme la tendance prise dans les années 1990 et les positions actuelles des grands établissements financiers, dont la puissance leur permettrait d’influer sur les décisions des banques centrales. Extrait de la présentation de l’éditeur du Nouveau mur de l’argent (Le Seuil) : « L’action des grandes banques internationales dresse un nouveau "mur de l’argent" auquel se heurte la volonté des politiques. Cet ouvrage analyse l’architecture, la construction et les dangers de ce mur. Il propose tout d’abord une évaluation précise de l’emprise de la finance globale sur l’économie réelle. Des tableaux inédits, exprimés dans une nouvelle unité de mesure (le téradollar, soit mille milliards de dollars), offrent une vision cohérente des flux financiers (capitaux) et des flux réels (biens et services) qui traversent l’économie mondiale. Il met ensuite au jour le rôle singulier que jouent les plus grandes banques mondiales. Depuis les années 1990, quelques dizaines de banques ont conquis le vrai pouvoir de régulation monétaire : ce sont elles désormais qui dictent effectivement l’évolution des taux d’intérêt, et non plus les banques centrales. »
Il est facile de comprendre que la monéthique est capable de s’opposer à ce pouvoir des hyper-puissances monétaires en levant des dizaines de milliards d’euros. Le plus difficile est de conduire les négociations politiques et de bien utiliser cet argent, avec le bon sens public, le souci de l’équité et des priorités en matières sociale et culturelle. On pourrait ainsi financer l’éducation, la recherche, le développement des arts... Mais cette disposition ne peut tout résoudre. Il faut une politique de réduction des gaspillages publics, assortie d’une fiscalité juste. Pour faire sauter ce mur de l’argent qui semble poser problème au PS et à l’UMP (et encore, c’est un problème accessoire), il faut une combinaison de plusieurs types d’actions. La planche à billets monéthique peut cependant se révéler d’une incroyable efficacité.
Question économique : et l’inflation ?
D’après Rachline, il n’y a pas de risque si la politique de planche à billets est menée de manière conjointe par les banques centrales régulant les monnaies des différentes zones économiques (c’est ce que j’avais énoncé en explicitant le mécanisme avec le concept d’invariance en physique). Mais rien ne s’oppose à une politique unilatérale menée par l’Europe (voir plus loin). Sinon, quelques arguments peuvent être émis contre ceux qui pensent à une tension inflationniste. Cela a été le cas dans les années 1980, dans un contexte économique et politique différent. D’une part, les marchés étaient moins ouverts et d’autre part, la pression salariale faisait monter les prix ; enfin, la capacité productive était moins puissante (ne pas oublier que l’inflation repose aussi sur le déséquilibre entre monnaie disponible et biens mis sur le marché). Tous ces facteurs se sont modifiés. Le principe de la monéthique n’est pas d’augmenter le pouvoir d’achat de ceux qui en ont déjà un, mais d’augmenter le nombre des accédants à un pouvoir d’achat décent.
La politique et la question de l’Europe
Abordons la question essentielle. La France étant dans la zone euro, seule une décision européenne peut décider de créer cette banque monéthique fonctionnant selon le principe de la planche à billets, sous un contrôle qui ne peut être que politique (décision des montants et des affectations). Ce serait là la plus heureuse des conséquences pour ceux qui ont voté non au TCE (dans le cas inverse, l’indépendance de la BCE eût été gravée dans le marbre). L’effet de la planche à billets d’euros serait certainement de faire baisser l’euro dans une proportion dépendant du montant de monnaie créé. Mais n’est-ce pas ce que souhaitent la plupart des acteurs économiques ? Quant à ce dispositif, il donnerait à l’Europe une nouvelle raison d’être. L’union serait à l’avant-garde avec ce nouveau dispositif qui participe à la croissance équitable. Et elle financerait ses objectifs éthiques.
Et les élections de 2007 ?
Voilà un élément clé pour 2007. Quel politique pourrait s’emparer de cette idée ? Osons un peu de politique fiction. Laurent Fabius semble le mieux placé, fort de sa légitimité de l’appel du non en 2004 (à noter également que cette monéthique ne s’oppose pas à une politique libérale, car elle multiplie le nombre d’acteurs économiques en réduisant le chômage, d’où une alliance Fabius-Bayrou ). Et puis, il y a une fenêtre de tir. Les gouvernements d’Espagne et d’Italie sont à gauche, tout comme le Parlement allemand qui, si la chancelière Merkel s’opposait à l’avènement de ce système, pourrait élire un chancelier du SPD (le cas d’un changement de chancelier s’est déjà présenté dans les années 1960). De plus, la situation sociale calamiteuse en Allemagne relève d’un traitement par la planche à billets. Comme le dit bien la formule, il existe une fenêtre de tir pour agir. Si 2007 offre un véritable enjeu, il se situe à ce niveau. C’est d’une incroyable audace, mais nul ne affirmer que c’est impossible sans se demander s’il n’est pas un Munichois face à la menace qui pèse sur le système et sur l’amputation sociale qui en découle.
En conclusion, et malgré la pénurie de précisions et de modalités sur l’outil de la planche à billets (on peut se référer à l’ouvrage de Rachline, et méditer sur des livres à venir), autrement dit sur la monéthique, je pense que nous avons là une carte maîtresse du jeu politique qui peut être jouée en 2007. Une carte nécessaire, bien plus essentielle que toute cette agitation écologiste, pour ne citer qu’une des obsessions troublant l’esprit des citoyens. Ce qui pose problème, c’est que ni les citoyens, ni les politiques n’aient la volonté et la présence d’esprit nécessaire pour la jouer de cette manière. A suivre...
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