« Working more* » ou bien « working smarter * » ? Une “élite” en pantoufles
Au cours de ces 10 derniers mois le labeur des Français a été remis en question avec véhémence par nos politiques, mais peut-être pas dans le bon sens. Les Français ne produisent pas assez, dit-on. Ne produisent-ils pas assez, ou bien ne produisent-ils pas assez bien ? Pourtant nous avons paraît-il les meilleurs écoles d’ingénieurs et de commerce d’Europe. La crème de la crème. Paradoxe ? Le coût de la main-d’œuvre a été dénoncé. A juste titre ? Le coût de qui ? La Suède qui a, paraît-t-il, de moins bonnes écoles et où la main-d’œuvre « coûte » plus cher se porte à merveille économiquement. Tentative d’explication.
Les faits sont là : l’économie
française se porte médiocrement, ce qui se reflète par une embauche nette moins
forte que chez nos voisins européens et un creusement du déficit du commerce
extérieur. « La faute à l’euro trop fort », crie le président de la République.
Selon lui, la forte appréciation de l’euro à plus d’1,40 dollar pour un euro est
responsable du tarissement des exportations françaises dans la mesure où nos
clients étrangers doivent dépenser plus de dollars qu’auparavant pour acheter
un produit vendu au même prix en euro. « Faudrait voir à pas nous prendre
pour des c*** », lui répondent la commission européenne ainsi que nos
partenaires allemands, quoiqu’en des termes un peu plus diplomatiques. Selon
eux, la hausse de l’euro n’est pas responsable de la mauvaise santé économique
française.
En effet, plus de 60 % des exportations françaises
se font vers les pays de l’Union européenne qui font tous des efforts pour
aligner leur monnaie sur l’euro. L’économie allemande se porte d’ailleurs au
mieux alors que les entreprises allemandes vendent en euros au même titre que
les françaises. Logiquement,
l’appréciation de l’euro par rapport au dollar devrait même profiter aux
entreprises européennes : avec un euro plus fort, elles peuvent moderniser
leur équipement informatique en achetant des ordinateurs, serveurs, etc.,
« made in taïwan » qui, eux , sont toujours vendus en dollars,
donc moins chers pour les Européens. Airbus sauve sa mise en important des
pièces moins chères pour construire ses avions. Vous vous êtes sûrement rendus
compte que les prix des ordinateurs ont beaucoup baissé ces derniers temps ?
La faute à l’euro fort...
Or, n’en déplaise à l’Etat français, le
déficit du commerce extérieur français ne se rétablira pas en obtenant des
« deals » de gouvernement à gouvernement pour des livraisons d’armes
ou des constructions de centrales nucléaires. C’est même contraire au principe
de libre concurrence.
Non, il faut que nos PME
s’internationalisent d’avantage. Mais nos entrepreneurs sont confrontés à de
nombreuses difficultés comme par exemple :
1/ une difficile maîtrise de l’anglais ;
2/ des difficultés à obtenir des fonds de
la part de banques qui ne comprennent rien à l’esprit d’entreprise ;
3/ de GROSSES difficultés à recruter du
personnel compétent qui pourrait faire la différence pour pénétrer des marchés
étrangers ;
4/ et enfin une incompréhension généralisée
de la part des politiques de tout bord et des prétendus économistes.
La France a paraît-il les meilleurs
ingénieurs d’Europe alors pourquoi ne s’y créent pas des entreprises qui font
mieux que skype et que SAP ? Le coût du travail ? Mauvaise
réponse : un travailleur allemand ou suédois coûte davantage qu’un
Français. Législation des entreprises ? Mauvaise réponse : en Suède
il faut 100 000 couronnes suédoises, soit 11 euros pour démarrer une
entreprise par action, la seule forme juridique d’entreprise suédoise où la responsabilité
de l’entrepreneur est limitée. En France, une SARL (société à responsabilité
limité) peut se monter à partir d’un capital de 1 euro. Mauvaise maîtrise de
l’anglais ? Peut-être, mais au moins les ingénieurs français ne fuient pas
tous à l’étranger où ils sont mieux considérés (pardonnez-moi pour mon cynisme).
Selon moi, la principale réponse est que les
ingénieurs et commerciaux les plus doués snobent les PME. Ils se considèrent
comme « l’élite », et veulent être payés en tant que telle dans les
grosses entreprises. Ils sont l’élite, mais ne veulent pas prendre le risque de
se lancer dans une entreprise un peu aventureuse. Une élite en pantoufles !
La France souffre d’une mauvaise allocation
des « cerveaux » au sein de son tissu industriel. « L’élite »
y est déconnectée de la réalité.
Je sens déjà les foudres de certains
lecteurs s’abattre sur moi : « comment oses-tu critiquer les grandes
écoles, petit présomptueux ? », s’insurgent-ils. A moi de sortir mon
paratonnerre et de leur répondre calmement. J’ai moi-même fait une prétendue
« grande école » qui rime avec « cake ». Sa devise est
« former les managers de demain ».
Quelle arrogance ! Les « managers de demain », ce sont ceux qui
ferment des usines et délocalisent. J’ai fait un échange en Suède. Dans mon
établissement d’accueil, on se targuait plutôt de former les entrepreneurs de
demain. Les entrepreneurs sont ceux qui créeront des emplois.
Comment résoudre cette situation typiquement
française ? J’ai une idée qui déclenchera sûrement un tir de barrage dans
ma direction. Mais sachez toutefois qu’on ne me déloge pas aussi facilement de mes
positions et qu’il vous faudra avoir le verbe solide pour me convaincre que
j’ai tort.
L’idée est simple : imposer les
entreprises à taux plat (entre 30-25 %) et imposer à 75 % la tranche de revenu
mensuel supérieure à 4 000 euros.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela
signifie qu’un entrepreneur qui est rémunéré sur le profit de son entreprise
paie entre 25 et 30 % d’impôt sur ses bénéfices quel que soit le revenu de son
entreprise et qu’un employé qui gagne plus que 4 000 euros par mois paie 75 %
d’impôt sur chaque euro obtenu au-dessus de 4 000 euros par mois. En clair, un
employé qui gagne 5 000 euros par mois paiera environ 33 % d’impôt sur les 4 000
euros et 75 % sur les 1 000 euros. En fin de compte un employé qui gagne 4 000
euros par mois paiera 1 333 euros d’impôt par mois impliquant un revenu net de
2 667 euros par mois alors qu’un employé gagnant 5 000 euros par mois
paiera 1 333 + 750 = 2 083 euros impliquant un revenu net de 2 893 euros
par mois.
Comme de toute façon une personne qui gagne
plus qu’un certain montant ne fait qu’épargner, ce qui ne profite pas à
l’économie réelle (on l’a vu les banques ne se pressent pas pour prêter aux
PME), l’idée est en fait de décourager ceux qui se prétendent être l’élite et
gagnent plus de 4 000 euros de travailler comme salarié et de les inciter
fortement à monter leur propre entreprise : « Alors mec, tu crois que
tu vaux plus que 4 000 euros par mois ? Alors, crée ta boîte et mérite-les ! ».
Une telle loi aurait un effet positif pour
les entreprises :
1/ davantage de cadres ultra-compétents
quitteraient leurs grandes entreprises pour créer leur propre boîte ;
2/ les PME qui proposeraient à leurs
employés des parts dans la société afin qu’ils soient en partie rémunérés sur
les bénéfice de la boîte et donc imposés à moindre taux auraient beaucoup plus
de facilité à attirer les talents ;
3/ les grosses entreprises devront elles
aussi être contraintes d’impliquer davantage leurs salariés dans le capital de
l’entreprise. Il en effet patent que les employés français ont en moyenne
beaucoup moins de prise de participation dans leurs entreprises que leurs
homologues européens. L’avantage dans ce cas est que le coût de leur
main-d’œuvre la plus chère sera en partie variable, limitant les coûts fixes ;
4/ la rémunération des haut dirigeants
serait alignée sur la santé économique de leur entreprise et on éviterait les
aberrations actuelles où les dirigeants d’entreprises françaises sont les mieux
payés d’Europe alors que les firmes qu’ils dirigent sont loin d’être les
meilleures ;
5/ un tel projet ne coûterait rien aux
caisses de l’Etat, au contraire !
Remarquez que ces dispositions ne résolvent
pas le financement des PME, mais j’aborderai ce sujet dans un autre article.
Bien sûr, une telle loi devra aussi valoir
pour les agents du public, histoire de leur rappeler qu’ils sont les serviteurs
du peuple et pas le contraire. Je pense notamment à notre cher corps
diplomatique où un conseiller culturel à Stockholm est payé 9 000 euros par
mois net d’impôt et travaille tout juste 25 heures par semaine.
Forcément, une telle idée ne sera jamais implémentée
en France : l’élite qui nous dirige est directement visée et se garderait
bien d’une telle réforme.
C’est dommage, car le problème actuel n’est pas de mettre
« La France au travail » (elle travaille déjà), mais bien de mettre la
France à la « créativité entrepreneuriale ».
Par Tronche de Cake, dit "Tronchard"
* « Working more » signifie
« travailler plus » en anglais, “Working smarter” signifie
“travailler plus intelligemment”.
** « Deal » signifie
« contrat »
NB : les propos mentionnés prêtés à
Jacques marseilles sont une allusion caricaturée à un article synthétisant un
pseudo travail de recherche réalisé en 2002 par l’ADHE (Association pour le
développement économique) si je me souviens bien. Je ne retrouve cependant pas
les références sur son site http://jacquesmarseille.fr
et cette information est à prendre avec précaution. Si je me trompe, je prie M.
Marseilles d’accepter toutes mes excuses.
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