Débat sur la transition énergétique : une farce planifiée ?
Après avoir connu de multiples vicissitudes, le débat sur la transition énergétique (DTNE), commencé en novembre 2012, a franchi une étape décisive le 19 juillet dernier avec la remise de la synthèse au gouvernement qui préparera un projet de loi cet automne. Pourtant, jusqu’au dernier moment, le consensus entre parties prenantes du débat n’était pas acquis puisque le MEDEF annonça à la veille du dépôt officiel de la synthèse qu’il ne la signerait pas. Il aura fallu des marchandages de dernière minute et le remplacement du terme « recommandations » par celui d’ « enjeu » pour pouvoir amorcer l’ultime étape.Pourtant, comme je le montrerai dans cet article, ce débat est un échec cuisant dans la mesure ou le consensus de façade explosera dès le commencement de l’écriture du projet de loi par le gouvernement. Pour cette raison, il est légitime de se demander dans quelle mesure ce débat pseudo-participatif n’était pas une mascarade montée de toute pièce dans un but politique.
Une médiatisation catastrophique
Un débat d’une telle envergure et d’une telle durée (quasiment un an) se devait d’obtenir les faveurs des médias pour pouvoir captiver les Français. Il n’en pas été ainsi.
La phase de pédagogie et d’information était censée durer 2 mois entre janvier et février. Le 16 janvier déjà, alors que le débat devait battre son plein, seuls 21% des français en avaient entendu parler, ce qui s’annonçait mal quant à sa popularité. Les médias s’en sont finalement très peu saisis, par exemple le journal « de référence » Le Monde n’a publié que 5 articles sur la transition énergétique entre janvier et février contre 70 articles sur le mariage pour tous durant la première quinzaine du mois de janvier !
Le débat sur la transition énergétique et bien d’autres sujets majeurs ont d’ailleurs été totalement parasités par ce débat qui a commencé le 29 janvier à l’Assemblée nationale et dont l’engouement médiatique s’est repéré dès la première semaine de janvier. Le « débat » sur le mariage pour tous a littéralement hypnotisé nos amis journalistes, infligeant un premier camouflet au DTNE.
Les autres sujets importants traités par les médias durant les mois de janvier et de février ont été les suivants : l’opération Serval, le dopage d’Armstrong, l’investiture d’Obama, la libération de Florence Cassez, la fin du pontificat de Benoît XVI ou encore les élections en Italie. Le DTNE n’a en fait jamais été à l’ordre du jour.
Le débat d’experts
Sur le papier, la méthode utilisée était intéressante, elle ouvrait le débat aux citoyens en leur permettant à la fois de s’informer (phase 1 : pédagogie et information en janvier et février) sur un sujet fort complexe et de faire leurs propres propositions (phase 2 : participation des acteurs et du grand public entre mars et juin). Le débat pourrait donc être affublé du terme de citoyen, pourtant il ne l’est pas et ce n’est pas un hasard.
D’une part, il est clairement indiqué sur le site du ministère de l’écologie que les orientations et la formulation de recommandations sont l’apanage exclusif du conseil national constitué d’organisations syndicales, d’employeurs, d’associations de consommateurs et d’ONG. Le débat participatif ressemble donc davantage à des cahiers de doléances qui finiront invariablement dans les poubelles des ministères.
D’autre part, le format du débat participatif était une gageure tant les thèmes étaient complexes et techniques ; seule une médiatisation massive expliquant objectivement les tenants et les aboutissants des choix présentés auraient permis un vrai saisissement de ces questions par les Français. Cela n’a pas été le cas comme nous l’avons expliqué précédemment. En réalité, le débat est resté confiné à un petit groupe de passionnés : seules 1152 idées ont été déposées et le site n’a recensé 300000 visiteurs uniques en 8 mois de débat. Il n’y a donc eu aucun engouement citoyen pour ce débat « national ».
Le débat « participatif » n’était donc qu’un maquillage destiné à légitimer un énième débat d’ « experts » dépossédant ainsi les Français d’un choix majeur pour leur avenir.
Le triomphe des lobbys et du consensus mou
On retrouve ici la patte de François Hollande, à savoir la préférence pour le dialogue entre partenaires sociaux que le passage direct par la représentation nationale ou même le peuple. Sept collèges constituent le conseil national du DTNE :
- Syndicats : CGT, FO, CFDT, CFTC, CFE/CGC
- Employeurs : MEDEF, FNSE, CGPME, UPA
- ONG environnementales : Ecologie sans frontière, LPO, FNE, Fondation Nicolas Hulot, WWF, Humanité et biodiversité, Réseau Action Climat France, CLER, 4D, Fondation Goodplanet, Agir pour l’environnement
- Autres personnes morales : CLCV, UNIOPSS, UFC Que choisir…
- Elus locaux : Association des maires de France, Association des régions de France…
- Parlementaires : Assemblée nationale…
- Etat : les ministères et l’Ademe
A quoi sert le conseil national ? Il consiste à organiser le dialogue entre acteurs « tel un parlement » selon le site de la transition énergétique. Constatons tout de suite une anomalie, les parlementaires et l’Etat sont placés au même niveau que des lobbys privés. Comparer d’ailleurs le parlement élu avec une Assemblée mélangeant lobbys privés et représentants élus est le signe d’un « court-circuitage » de ces derniers. La légitimité de ces lobbys n’est pas démontré : les syndicats ne représentent que 8% des employés, les employeurs ne représentent que quelques centaines de personnes souvent très riches qui ont des intérêts contraires à ceux de la plupart des gens, même les ONG censés représenter l’intérêt général contre l’intérêt économique particulier ne sont pas forcément indépendantes ni même représentatives.Le court-circuitage ne s’arrête pas là puisque le Conseil national du débat s’est doté d’un « comité de pilotage » représentant en fait le pouvoir exécutif nommé par le gouvernement. Cet « exécutif » a été décrié dès sa création par la plupart des ONG au motif qu’il y avait deux (ex)représentants de l’industrie nucléaire (Anne Lauvergeon, ex-patronne d’Areva et Pascal Colombani, ex-administrateur général du CEA). Finalement, cet épisode s’est soldé par le départ brutal de l’ONG Greenpeace de la table des négociations (dommage puisqu’elle était l’une des seules à être financièrement indépendante des entreprises et de l’Etat).
Ce Conseil national est donc une pâle copie de nos institutions et l’on voit bien que le citoyen est éjecté du débat dès lors qu’il n’est pas représenté directement dans celles-ci. A contrario les groupes d’intérêt peuvent aisément utiliser ce format pour guerroyer en sous-main dans les couloirs et les restaurants afin de protéger leurs positions. Or, le MEDEF est toujours gagnant à ce jeu là, comme le montre son rôle décisif dans l’édulcoration de l’article 225 du Grenelle 2 sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE).
L’autre aspect du choix de la méthode de la consultation des partenaires « sociétaux » est son inefficacité à produire des mesures fortes. Le Grenelle a bien montré que cette méthode ne pouvait produire que du consensus mou (seul le secteur du bâtiment a connu de réels avancées) tant les acteurs sont intrinsèquement opposés entre eux. Même lorsque de vrais accords sont trouvés lors de ce genre de débats, les lobbys se mettent en branle dès le passage des projets à l’Assemblée nationale, trahissant leur propre position entérinée lors des discussions.
Rebondissements vaudevillesques et impasse final
Conséquence logique du choix des acteurs et des stratégies d’influence discrètes, les couacs se sont multipliés depuis que Greenpeace a claqué la porte : le 20 juin, le document de synthèse des « priorités » du DTNE est retiré du site du ministère de l’écologie après seulement quelques heures de mise en ligne, du fait d’une divergence des acteurs sur la question du nucléaire, puis vient enfin le volte-face spectaculaire du MEDEF qui annonce la veille du dépôt officiel de la synthèse finale qu’il ne s’y associera pas…mais qu’il accepte finalement après avoir transformé son nom.
Que nous indiquent ces rebondissements ? Nous ne connaîtrons jamais les dessous de ces tractations ayant menés à ces soubresauts. Néanmoins, nous pouvons constater une chose : ce débat a été une voie sans issue. En effet, bien que les organisations patronales endossent les « enjeux » du DTNE, ceux-ci rappellent « que le document soumis au conseil national est une synthèse partielle et qu’il ne peut être considéré comme consensuel ».
En clair, les protagonistes ne sont pas d’accord sur les orientations finales et tout porte à croire que le lobbying reprendra encore plus intensément lors du saisissement des « enjeux » par le gouvernement en septembre.
Conclusion : Le DTNE était-il une immense farce planifiée ?
Nous avons vu ici que les membres du gouvernement n’ont pas appris de l’échec de leurs prédécesseurs : la méthode du dialogue sociétal avait accouché d’une souris lors du Grenelle de l’environnement, malgré sa grandiloquence. Les conclusions du Grenelle n’ont jamais été respectées car elles ont été sabordées dès leur passage à l’Assemblée nationale à cause des lobbys qui n’ont jamais déposé les armes. Aujourd’hui, après 8 mois de débats sur cette question épineuse, 7 rapports ont été produits, mais leurs auteurs les rejettent. Ce débat n’aura donc servi qu’à acter un dissensus acquis depuis le départ.
La croyance dans le dialogue « social » ou « sociétal » a été largement infirmée à maintes reprises, le Grenelle de l’environnement, l’ANI… montrent que les acteurs de ces discussions sont radicalement opposés et/ou s’affrontent dans le cadre d’un rapport de force.
Cela m’amène donc à la question suivante : le gouvernement a-t-il sciemment organisé cette mascarade et si oui dans quel(s) but(s) ?
Dans son livre LQR La propagande du quotidien, Eric Hazan recense les manipulations langagières de l’élite française et dénonce l’euphémisme de l’adjectif « Haut » utilisé pour masquer la vacuité des institutions auxquelles il est attachées : « C’est pour donner ce faux-semblant de respectabilité que l’on crée de Hauts commissariats, de Hauts Conseils, de Hautes Autorités, ou la majesté du Haut sert à masquer le vide ».A défaut d’être « Haut », le débat national sur la transition énergétique renvoie à une stratégie historique, consistant à créer des commissions d’experts dont le but est de créer des rapports qui seront soigneusement enterrés dès leur publication. Cette stratégie politique a pour but d’éviter de s’attaquer à des enjeux trop grands pour les petits partis gestionnaires qui nous gouvernent.
En témoignent :
- Le Grenelle de l’environnement : 2007 (les ravages écologiques issus de la société de consommation)
- La Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique : 2012 (la représentation politique, les problèmes de corruption et de conflits d’intérêts)
- La Mission présidentielle de réflexion sur la fin de vie : 2012 (Mission Sicard)
- La Commission Stiglitz/Fitoussi 2009 (mesure du PIB, dossier bien trop gros pour un PDG de France)
En remontant plus loin dans le temps, on peut trouver pléthore de commissions ou autres qui n’ont en général jamais abouti. Au contraire, lorsqu’un président a une volonté politique, il cherchera presque toujours à impulser une loi directement ou à déléguer cette tâche à ses ministres qui se se chargeront eux-mêmes du travail préparatoire : à quoi peuvent servir des ministres si les lois ont déjà été préparées par des commissions ? On peut donc supposer que le dossier de la transition suscitera trop d’oppositions de la part d’intérêts puissants et que le président de la république risque de devoir s’investir lui-même au risque d’échouer. Ce qui revient donc à dire que la victoire politique serait trop compliquée pour que le pari soit tenté. Ou bien, on peut subodorer que François Hollande a une fois de plus menti sur sa volonté de légiférer sur ce sujet…A vous d’en juger.
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