Dénucléarisation en Allemagne : un exemple à suivre ?
Entamée il y a dix ans, la sortie définitive de l’Allemagne du nucléaire - Energiewende, “révolution énergétique” - sera effective fin 2022. Fier et sans complexe, le pays n’hésite d’ailleurs pas à militer en faveur de sa stratégie à l'échelle européenne. Mais attention : ceux qui crient le plus fort ne sont pas toujours les plus sensés.
Processus lent et houleux
Certains diront avant-coureur, d’autres, plus avisés, parleront d’ignorance, de précipitation ou encore de naïveté… C’est au début des années 2000 que le parti écologiste allemand Bündnis 90/Die Grünen s’empare du sujet de la dénucléarisation. Un terme à la mode, qui prend de plus en plus de place sur la scène politique, allant jusqu’au vote d’un amendement de la loi atomique (Atomgesetz) en 2002.
La durée de fonctionnement d’une centrale est alors fixée à 32 ans, et la construction de toute nouvelle installation est proscrite. En quelques mois, l’Allemagne devient la première puissance mondiale à arrêter ses centrales nucléaires sans raison économique ou technique. 8 ans plus tard, la durée d’exploitation des centrales est prolongée de douze ans, sans toutefois qu’une date butoir concernant leur fermeture soit annoncée. Une transition lente, donc, mais qui prend un tournant le 11 mars 2011.
L’effet Fukushima
A la suite de l’accident nucléaire de Fukushima, la peur s’instaure. Rapidement, un projet de loi présenté par le gouvernement d’Angela Merkel est adopté par la majorité parlementaire, précisant le calendrier de sortie du nucléaire : 8 des 17 centrales sont arrêtées définitivement au cours de l’année, et la fermeture des 9 centrales restantes est programmée d’ici fin 2022. Une sortie du nucléaire désormais irréversible. Mais ce retournement de situation semble bien frivole. Ancienne chercheuse en physique à l’Académie des Sciences de Berlin Est, Angela Merkel n’avait-elle pas déclaré en 1995 que “sans l’énergie nucléaire, nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs en matière de réchauffement climatique” ? D’autant plus que les déchets radioactifs émis par la centrale n’ont eu aucun effet sanitaire, comme le confirme un rapport de l’UNSCEAR (Comité scientifique des Nations Unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants), plus haute autorité scientifique en la matière.
Au lieu de se concentrer sur les effets positifs de cette énergie décarbonée, le gouvernement allemand se braque, s’enferme dans la peur et développe une stratégie sans retour en fixant la date de fermeture de chaque réacteur. Une décision prise unilatéralement, sans concertation avec les exploitants, qui n’hésitent pas à entamer des actions en justice. Et de dénoncer au passage la taxation nucléaire énoncée en 2010 - avant d’obtenir gain de cause devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. En parallèle, le groupe sudédois Vattenfall réclame devant la Cour d’arbitrage de la Banque mondiale une indemnisation de la part de l’Etat allemand pour arrêt prématuré des centrales nucléaires.
Il faudra cependant attendre près d’une dizaine d’années, en mars 2021, pour que le gouvernement conclut un accord d’indemnisation de 2,4 milliards d’euros pour les exploitants (EnBW, E.ON/PreussenElektra, RWE et Vattenfall) pour la fermeture de leurs centrales. Un geste bien évidemment loin d’être gratuit puisqu’en contrepartie, les énergéticiens ont dû s’engager à renoncer à toute procédure judiciaire...
Convaincre à tout prix
Avant 2011, un quart de la production électrique allemande était nucléaire (22% en 2010), représentant une économie de 120 Mt CO2 par an. Aujourd’hui, l’énergie nucléaire ne représente plus que 11% de la production électrique du pays. Depuis près de 20 ans, l’Allemagne influence fortement la politique énergétique de l’Europe. Une politique ambitieuse et trompe-l'œil pour le développement des énergies renouvelables.
Plusieurs voix se sont d’ailleurs élevées pour reprendre l’exploitation des centrales : c’est le résultat d’un sondage publié en 2019, stipulant que près d’un Allemand sur deux pense que la sortie du nucléaire est une erreur. Pour Xavier Moreno, président du Cérémé (Cercle d'Étude Réalités Écologiques et Mix Énergétique), “tous les experts européens concluent que cet objectif de neutralité carbone (...) ne pourra être atteint sans l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie européenne”, poursuivant que “l’exemple allemand a montré que renoncer au nucléaire nécessitait de recourir plus massivement au gaz et au charbon, même en investissant fortement dans les renouvelables”.
Compenser les pertes
Comme le souligne Xavier Moreno, les énergies renouvelables dépendent des conditions météorologiques (ensoleillement, vent…). Elles sont intermittentes, pas totalement fiables et difficilement stockables. Raisons pour lesquelles elles doivent être compensées par des énergies fossiles - fortement carbonées -, à l’instar du gaz ou du charbon. Rappelons à ce titre que le gaz naturel émet 80 fois plus de CO2 par KwH que le nucléaire (443 gCO2e/kWh contre 6 gCO2e/kWh). Le charbon, quant à lui, émet 1 058 gCO2e/kWh… Qui a parlé d’écologie ?
Le 12 mai 2015, deux professeurs d’université allemands analysaient l’impact de la politique énergétique allemande. Leurs conclusions étaient accablantes… Cela ne faisait pourtant que 4 ans que le pays avait entamé sa sortie du nucléaire. Augmentation de 3% des émissions de gaz à effet de serre entre 2011 et 2013, mix énergétique principalement fossile en 2014 - avec 18% de charbon et 9,6% de gaz naturel -, prix de l’électricité le plus élevé d’Europe - en 2014, il avait augmenté de 75% par rapport à 2012 -, etc. Une fois de plus, ce sont les citoyens qui trinquent ! Ajouter à cela des difficultés d’approvisionnement, en attestent les problèmes rencontrés par 20% des entreprises allemandes en 2015.
Un exemple à suivre ?
La France, dont le mix électrique est déjà décarboné à 92%, perdrait beaucoup à se détourner de l’énergie nucléaire. Sans compter sur la perte financière importante qu’impliquerait la nécessité de construire de nouvelles centrales à gaz ou à charbon, pour compenser les besoins que les énergies renouvelables ne pourront pas remplir.
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si l’atome est aujourd’hui plébiscité par le Président de la République. Véritable girouette sur la question écologique au début de son mandat, il a fini par reconnaître que ”notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire”. Une déclaration faite le 8 décembre dernier, lors de son déplacement sur le site de Framatome, par la suite maintes fois répétées, et désormais au cœur de sa campagne. “Réinventer le nucléaire” : un objectif inscrit dans son plan d’investissement “France 2030”. A ce titre, pas de temps à perdre, d’ici Noël, Emmanuel Macron devrait annoncer officiellement la construction de six nouveaux EPR.
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