Ils n’ont pas fini de vous faire aimer la viande
Accusé de trop polluer, l’élevage industriel tente de redorer son blason. Pour cela, il bénéficie d’une communication de pointe, en partie financée par l’État.
Sir Paul McCartney se doutait-il que sa proposition ferait l’effet d’une bombe lorsqu’il l’a faite au Parlement européen, le 3 décembre 2009 ? Il faut dire que, pour ce membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), "l’élevage est l’un des deux ou trois plus grands contributeurs aux problèmes environnementaux".
Le riposte ne s’est pas fait attendre. Cinq jours plus tard, un communiqué au vitriol paraissait dans la presse. Le titre : "Sir Paul Mc Cartney, informez-vous !". On y lisait que l’élevage bovin est un secteur "engagé dans l’environnement" et que les prairies sont de véritables "stocks" de carbone.
Le texte porte la signature du Centre d’Information des Viandes (CIV). Sur son site, ce dernier se présente comme "un lieu d’échange et d’information" où scientifiques et éleveurs travaillent main dans la main.
Un lobby qui vous veut du bien
Le CIV émane en réalité de l’Interbev, puissante association de professionnels de la viande. Ces derniers constatent aujourd’hui un début de "modification de comportement alimentaire" des consommateurs, en rapport avec l’écologie, comme l’explique Louis Orenga, directeur du CIV.
En clair : "Va-t-on continuer à consommer autant de viande si on se dit que cela a un impact sur l’environnement ?"
Selon Louis Orenga, il faut nuancer le rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) qui accuse l’élevage d’émettre plus de gaz à effet de serre que les transports. "Le bilan écologique d’un bovin élevé aux États-Unis n’est pas le même qu’en France", plaide-t-il.
Estiva Reus, membre de l’association de protection des animaux L214, s’indigne : "la stratégie du CIV consiste à se faire passer pour un simple organisme d’information. Ce qui fait peur, ce sont ses moyens de diffusion colossaux."
Pour défendre son steak, le CIV dispose en effet de 5 millions d’euro de budget annuel, dont 20% provient des pouvoirs publics. Un soutien qui inquiète l’association L214 : "le ministère de l’Agriculture agit comme un ministère des Agriculteurs."
Les journalistes et les enfants d’abord
Une fois le message défini, il faut le diffuser. Sur son site, le CIV déclare viser les "prescripteurs d’opinions" : médecins, enseignants et médias.
L’encart sur Paul McCartney a ainsi été publié dans 59 titres régionaux et nationaux, pour un coût total de 400 000 euro. Parallèlement, le CIV inonde les journalistes de communiqués, grâce à l’outil de diffusion Datapresse.
La presse jeunesse n’y coupe pas. Le journal l’Actu, destiné aux ados, a bénéficié en 2009 d’une "édition spéciale" de 16 pages signée CIV. De la publicité déguisée qui reprenait l’argument des "prairies mangeuses de carbone", assorti de portraits d’éleveurs écolos.
"Séduisez l’enfant et les parents suivront." C’est ce que proclame l’agence de publicité Circonference, à qui le CIV a confié, il y a quelques années, une de ses campagnes de communication en milieu scolaire. Le but était de "donner une image positive de la filière" et "faire consommer de la viande au détriment d’autres choix alimentaires" comme le "fast-food" (une industrie pourtant peu réputée pour ses hamburgers végétariens). Certains parents ont découvert à cette occasion l’existence de la publicité dans les écoles, codifiée en 2001 par une circulaire du ministère de l’Éducation nationale.
Internet sous haute surveillance
La renommée d’une entreprise dépend aussi de sa présence sur Internet. Moyennant finances, Google permet au CIV d’être parmi les premiers résultats pour le mot "viande".
Parallèlement, celui-ci a fait l’acquisition d’un mouchard dernier cri. Un logiciel développé par la société Arisem, capable "d’écouter" tout se qui s’écrit sur la Toile à propos de viande et d’écologie. Les sites analysés sont classés en deux catégories : les "fans" et les "fanatiques". Dans les premiers, on trouve des sites de santé comme Doctissimo. Chez les seconds, des forums de végétariens.
Un relevé bimensuel permet à un comité de surveiller les sites et blogueurs influents, afin d’"apporter des corrections aux discours" et d’ "intervenir en cas de crise réelle" comme l’indique un rapport d’activité de 2008.
Le CIV ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin. En 2008, l’Union européenne lui a octroyé une aide de 899 844 euro. Caroline Guinot, chef du projet environnement, compte bien les utiliser pour "démontrer qu’en France les élevages sont de taille familiale [mais] ne s’interdisent pas des pratiques d’intensification (...). C’est ce message complexe qu’il faut arriver à faire passer."
Vous en reprendrez bien une petite tranche ?
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