L’éducation, le paramètre ignoré du Sommet de Copenhague
Le Sommet de Copenhague est partout dans les médias… 192 chefs d’état et de Gouvernement se rencontrent dans la capitale du Danemark pour tenter de trouver un accord sur le climat succédant au Protocole de Kyoto (1997). L’objectif est de limiter la hausse des températures et éventuellement d’aider les pays vulnérables à s’adapter aux conséquences du réchauffement climatique. Pour y parvenir, cela fait des mois que les délégations officielles se rencontrent, que des experts en tous genres débattent et que les ONG et les multiples lobbies se manifestent pour pousser ou freiner. Mais à ce stade, il manque une pièce essentielle du puzzle : la dimension « éducation » brille par son absence !..
La plupart des ONG qui supportent cette conférence négligent également cet aspect. Elles pensent provoquer les changements de comportement nécessaires par des « coups » médiatiques, par des annonces catastrophiques. Pourtant plusieurs recherches ont montré que le sensationnalisme ou l’événementiel habituel des médias s’il peut sensibiliser ne provoque en aucune manière un changement profond de comportement. Il y a un gouffre entre le savoir et le faire. Certes, des gestes -les éco-gestes- en faveur de l’environnement sont promus ; ils sont bien trop dérisoires pour sauver la planète[1]. Pire, ils contribuent à créer un fort sentiment de bonne conscience chargée d’impuissance (« ça me dépasse », « c’est trop complexe »). Au quotidien, ils déresponsabilisent (j’y peux rien à mon niveau »,« c’est une affaire de gros sous »,..).
Vous avez dit éducation au développement durable !..
Pourtant l’histoire de l’Education à l’environnement, puis celle du développement durable est révélatrice. J’ai eu la chance en 1975 de représenter la France -personne ne s’y intéressait à l’époque !- comme jeune chercheur à la première conférence de Belgrade sur l’éducation à l’environnement, puis à la conférence intergouvernementale de Tbilissi organisée par l’UNESCO… 35 ans plus tard, l’environnement continue de se dégrader.
En faisant du lobbying avec quelques collègues, en écrivant des livres à l’intention des enseignants[2], on a pu constaté des entreprises remarquables dans un grand nombre d’établissements scolaires. Depuis, de multiples associations (Ecole et nature, les Petits débrouillards, Planète sciences, Méditerranée 2000,..) ont pris le relais. Toutefois les enquêtes montrent que l’implantation de l’Education relative à l’Environnement (EE) et de l’Education au Développement Durable (EDDD) dans le système éducatif s’avère encore très faible. L’idée a été introduite dans les programmes, mais sans formation adéquate des enseignants, de 5% à 10 % (au mieux) des élèves ont reçu cette “sensibilisation”. On y aborde le tri des déchets, quelques pollutions sur l’eau ou l’air, mais rarement les gaspillages énergétiques, la surconsommation effrénée,..,.
On envisage rarement les effets de la mondialisation, les ressorts de l’économie qui conduisent à dégrader la planète ou à faire disparaître la biodiversité. L’acquisition de méthodes et de concepts reste très limitée. Des approches spécifiques, comme la démarche systémique, la pragmatique ou la modélisation ne sont toujours pas au programme. Par frilosité, le passage à l’action qui peut induire un début de changement de comportement est rarement envisagé.
Sans réelle volonté politique nationale ou internationale pour promouvoir cette éducation, rien n’avance. La conférence de Rio (1972) en est restée à de simples généralités. Le Grenelle de l’Environnement (2008) a pratiquement occulté le domaine éducatif. Le Sommet de Copenhague ne l’aborde même pas ! Sans doute est-ce normal ? Nos élites politiques et administratives, sélectionnées sur des critères archéo-mathématiques et formées à l’économie classique où l’environnement n’a aucune place n’ont pas ni les repères, ni les paradigmes pour décoder ces phénomènes.
(Re)lancer l’EDD…
Les conclusions du 3ème world environmental education congress de Turin (WEEC 3 2005[3]) ont peu été entendues. Elles appelaient à :
1. un approfondissement des caractéristiques respectives d’une EDD sur le plan des stratégies éducatives et médiatiques,
2. la prise en compte des nouvelles idées sur l’apprendre, en liaison avec la nécessaire transformation des comportements.
3. la clarification des paradigmes ambiants.
L’éducation au développement durable telle qu’elle est le plus souvent pratiquée, trop abstraite et trop parcellisée, n’engage pas à affronter la complexité du développement durable. Elle ne crée pas le goût ou l’imagination pour la recherche d’alternatives de gestion ou d’aménagement, elle n’incite pas à la création d’attitudes favorables. Une EDD pertinente ne devrait donc plus se borner à diffuser des connaissances ou se cantonner à n’être qu’une approche sensorielle. Elle devrait tirer partie des réussites et des échecs des innovations de ces trente dernière années, sous peine de réinventer « l’eau tiède » en permanence. Elle devrait s’engager vers une approche de type « clarification de situations-problèmes » conduisant directement vers l’action et la volonté de changement.
L’approche du développement durable implique de repenser l’apprendre pour introduire des processus de type systémique, voire allostérique. Les recherches en psychologie au Royaume Uni, celles de didactique en Suisse ont montré que les scénarios catastrophes, la rhétorique apocalyptique n’ont quelques chances de succès que si les individus se sentent impliqués directement. Or la plupart des humains ne se sentent pas suffisamment concernés par le changement climatique. Ce concept leur paraît trop flou, plutôt abstrait et difficile à appréhender dans leur quotidien. Il s’agit de le rendre perceptible et surtout accessible au travers de questions qui les touchent directement. De plus, pour modifier un comportement individuel, encore faut-il que la personne y ait prise ; ce que ne n’induisent pas les discussions ésotériques entre experts ou les Conférences internationales qui démobilisent puisqu’elles n’engagent pas illico chaque individu.
A cela, s’ajoute qu’il faut pouvoir agir à son niveau sur son milieu et repérer les conséquences de son action personnelle, y compris dans la stratégie mondiale. En parallèle, il faudrait pouvoir prendre du recul sur ses valeurs et les conséquences de ses choix. Qui a conscience que boire un jus d’orange[4] ou offrir certain cadeau à Noël, et pour commencer certains vélos[5], ont des conséquences pas négligeables sur le réchauffement de la planète !
Si on ne part pas de ce qui motive le comportement environnemental de la personne, si on ne travaille pas dès l’école et sur la durée les modes de vie de chacun, tels que la société les suscite subrepticement[6], le rêve d’une société durable sera toujours hors de portée.
[1] Certains « beaux gestes » environnementaux comme le recyclage de l’aluminium n’ont-ils pas entraîné plus de pollutions, parce que seule fut pensée la récupération et pas les processus de production et de recyclage dans son ensemble ? L’accent mis sur le tri des ordures n’est-il pas un alibi au gaspillage de biens et de ressources due à une consommation indispensable à une économie de croissance ?
[2] Giordan, A., Souchon, C., Une Education à l’environnement, vers un développement durable, Delagrave, 2009.
[3] WEEC 3 proceedings. Extraits en français : http://www.ldes.unige.ch/rech/DD/weecEDD.pdf
[4] Pour chaque litre de jus d’orange consommé, 22 litres d’eau sont pollués, 4 kg de matière sont utilisés et un mètre carré d’espace stérilisés (Giordan, A., Ecobilans, LDES, 2002).
[5] Un simple vélo peut contenir des pièces provenant de 30 pays différents (Giordan, A., Ecobilans, LDES, 2005).
[6] Le fort accent mis sur le seul gaz carbonique n’est-il pas un alibi ? N’évite-t-il pas de poser des questions beaucoup plus fondamentales, notamment sur nos modes de production et de consommation ? Et le développement durable ne risque-t-il de masquer une réflexion sur ce que devrait être la nouvelle économie ou la démocratie de demain ?
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