La centrale de Fessenheim ne fermera pas
Après 31 ans de service, la plus vieille centrale nucléaire française méritait visiblement une mise en sommeil. A Marcoule (Gard) c'est pourtant ce qui a été décidé il n'y a pas si longtemps. A Fessenheim, il faudra malheureusement attendre...

La nouvelle va malheureusement passer à l'as. Le tribunal administratif de Mulhouse a refusé d'ordonner la fermeture d'une vieille centrale nucléaire, mal placée au sud de la plaine d'Alsace. Une association représentée par Corinne Lepage était à la manœuvre. Cela n'a pas suffi. « Le rapporteur public, tout en reconnaissant l'existence éventuelle de risques, avait soutenu que l'association n'avait pas fait la démonstration qu'ils ne pouvaient être évités que par la mise à l'arrêt définitif de la centrale » [source]. Beaucoup vont enrager, et pas seulement parmi les contempteurs coutumiers du 'lobby' nucléaire ; c'est ainsi qu'ils l'appellent. Je me range parmi les seuls objecteurs de circonstance, un peu étonné par la décision, mais sans être dupe du contexte.
On peut s'interroger sur le choix de l'implantation de la centrale nucléaire en 1977. Il en dit long sur l'art de gouverner au début de la cinquième république ; l'expression heurtera les plus anciens, qui ont oublié les bientôt cinquante-trois ans d'existence du régime. De nombreux Alsaciens (?) réclamaient alors une centrale bien qu'ils fussent probablement minoritaires. Je vais revenir après sur ce qui inquiétait déjà à l'époque les scientifiques. Mais en 1977, les Grünen allemands s'agitaient (les convergences persistent), et l'armée soviétique pointait ses missiles balistiques près de la frontière entre RFA et RDA. Valéry Giscard d'Estaing se flattait de mener une realpolitik à la française. Avec Fessenheim il indisposait pourtant une partie de l'opinion ouest-allemande, censée être proche de la France, et donnait des bâtons à Moscou pour se faire battre.
Toujours est-il que la centrale de Fessenheim est sortie de terre, et qu'elle montre des signes de fatigue. Par l'annonce d'un déclassement, le gouvernement aurait fait preuve de sagesse. Il aurait pu envoyer un message diplomatique à Berlin, où la coalition précédente a programmé l'arrêt de toutes les centrales nucléaires allemandes. Angela Merkel ne sursoit pas à l'engagement de son prédécesseur. Certes, les ministères de l'Industrie et de l'Environnement ne prétendent pas à eux seuls relancer la politique étrangère de la France. La centrale qui jouxte la frontière internationale continuera de tourner. Il est vrai qu'EDF se targue d'alimenter en électricité des centaines (milliers ?) de foyers rhénans.
La centrale se situe dans le lit mineur du fleuve. Même si de nombreux barrages ponctuent le Rhin, le premier risque est celui des inondations. Je le mentionne donc pour mémoire, les centrales nucléaires sont cependant toujours installées à proximité d'une rivière - je mets de côté les littoraux (Normandie) - par définition susceptibles de déborder. L'eau est envoyée dans les circuits de refroidissement, en partie transformée en vapeurs. Connaissant le risque de crue et les cotes d'alerte, je considère que la direction a veillé à configurer son installation. Elle signale en temps normal les incidents émaillant la vie de la centrale (comme récemment). Un problème plus épineux se pose toutefois. Il touche au risque sismique. Celui-ci est double.
En effet, les cartes de l'Institut de Géophysique du Globe établissent de façon précise les zones menacées en France par des tremblements de terre majeurs. L'Alsace rentre dans le club étroit des trois régions les plus dangereuses, avec Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur. Dans cette dernière, l'aléa est souvent avancé pour expliquer l'absence de centrales nucléaires. La plaine d'Alsace correspond à un 'graben' (fossé d'effondrement) coincé entre deux 'horsts' (éléments de croûte terrestre portés en altitude à la suite d'un mouvement de faille). Les Vosges à l'ouest, et la Forêt Noire à l'est, deux massifs anciens pénéplanés (abaissés par l'érosion) ont été 'bousculés' par la formation des Alpes et du Jura à l'ère Tertiaire. Dans l'Atlas de France (tome 6 / 'Milieux & Ressources) édité en 1995 par la Documentation Française (et Reclus), le séisme de Bâle - Mulhouse le 18 octobre 1356 arrive en tête de la liste des plus grands séismes de l'histoire hexagonale.
Sur l'échelle européenne MSK (ouverte, mais à 12 niveaux d'intensité), les sismologues ont placé le séisme de Bâle à 9, sans équivalent. Les Suisses ont 'rejoué' en 2006, 650 ans après la catastrophe, une alerte grandeur nature (source). A Gravelines (Nord-Pas-de-Calais), on est parés (...). Les chroniqueurs rapportent trois cents morts dans la ville de Bâle, et de très grands dégâts alentours (source). Plusieurs failles bougent régulièrement en Alsace, parallèles au Rhin. Plus récemment, le Jura souabe a subi des secousses violentes (le 16 novembre 1911). On peut sans peine rajouter des mentions historiques. Pourquoi faudrait-il pourtant incriminer les responsables de Fessenheim davantage sur le risque sismique que sur le risque d'inondation ? Parce que l'incertitude demeure non seulement sur l'époque, mais sur les circonstances. Il n'en va pas de même avec un épicentre à cent kilomètres ou avec un épicentre à cinq (ex. en février au Kamchatka). Les ondes de propagation (P et S) ne remontent pas à la surface à la même vitesse.
Pire, la liquéfaction des sols reste encore difficile à modéliser. Le cas récent de Christchurch (Nouvelle-Zélande) en a apporté une preuve éclatante : voir ce reportage photographique. Pendant quelques courts instants, la plaine d'Alsace peut se retrouver à l'état liquide, sans que l'on puisse savoir sur quelles profondeurs, et avec quelle ampleur. Que cela affecte l'activité de la centrale ne fait aucun doute. C'est probablement la raison pour laquelle Elise Descamps se montrait relativement optimiste dans 'La Croix' du 9 mars 2011 ; c'était avant la décision du tribunal administratif.
« Il y a peu de chances que le t.a. de Strasbourg annonce aujourd'hui une décision d'arrêt immédiat et définitif, mais les requérants - l'Association trinationale de protection nucléaire (ATPN), qui regroupe plus de 100 communes et associations allemandes, suisses et françaises - espèrent que cette juridiction émettra des réserves lui permettant de faire progresser un combat lancé dès 2004. Avant de saisir la justice administrative, l'association avait déjà déposé, sans succès, un recours gracieux en 2008 auprès des ministres de l'écologie et de l'économie. Lors de l'audience du 17 février, Corinne Lepage, avocate de l'association, avait argué de la dangerosité de cette centrale en raison de risques sismiques - l'Alsace se situe sur une faille - et d'inondation, sans compter une certaine vétusté.
'Le dossier ne sera certainement pas clos demain, mais c'est une étape dans un processus vers une fermeture nécessaire. Ce n'est pas une étape vers une fermeture nécessaire. Ce n'est pas un combat antinucléaire, mais contre une centrale en particulier : celle-ci n'a pas de double enceinte de confinement ni de tour de réfrigération. Elle repose sur des arrêtés de 1970, et ne pourrait plus être aux normes aujourd'hui' [...] 'EDF est plutôt confiant, car le tribunal administratif suit la plupart du temps le rapporteur public', commente maître Emmanuel Guillaume, avocat d'EDF, selon qui les incidents évoqués sont 'de gravité minime'. L'entreprise a toutefois déjà prévu cette année de gros travaux représentant un investissement de plus de 200 millions d'euros. L'ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) doit en effet se prononcer en avril sur la prolongation de l'activité de la centrale pour les dix années à venir. » Elise Descamps [La Croix / mercredi 9 mars]
L'échéancier des travaux précède donc l'autorisation visiblement octroyée à l'avance par une Autorité représentant l'Etat, à la fois juge et partie. Passons. Je préfère une autre perspective. Pourquoi le gouvernement s'entête-t-il ? Si je ne m'écarte pas de la seule rationalité, je ne vois guère qu'une explication. Dans les ministères, nul n'ignore qu'une décision de fermeture porterait un coup à la filière du nucléaire. C'est certain, et on avancera à raison qu'il y a un manque criant de créativité. Mais on pourrait imaginer une décision du type sanction - proposition. Cette solution n'a pas été retenue.
Car si à Paris un 'technocrate' propose un site à l'ouest du massif vosgien, sur une portion du bassin parisien stable au plan sismique - un tremblement de terre a ravagé Remiremont en mai 1682 - des centaines d'habitants descendront dans la rue, menés par quelques noms illustres (aujourd'hui), pour crier non à l'implantation d'une centrale dans leur commune. L'allongement des réseaux électriques pose un problème qui est loin d'être négligeable ['Energie ventripotente'].
Résumons. Une vieille centrale produit de l'électricité. Le ministère reconduit le site faute de proposition alternative. Les anti-nucléaires continuent à évoquer la nocivité de la filière. A juste titre. Mais il ne suffit pas d'être contre. Quelles sont les alternatives pour remplacer rapidement une puissance théorique de 1.800 MW ? La peur paralyse. Celle-ci force la décision du mauvais côté. L'écart entre le faire et le dire est ici frappant. Le ministère de l'environnement n'a jamais bénéficié d'une si grande place. La ministre jouit d'une image flatteuse. Les journaux recherchent visiblement ses interviews (voir 'La Croix' du mardi 8 mars). Le premier ministre et le président de la république parlent. Leur détracteurs sont si remontés contre eux qu'ils attendent la moindre saillie.
Peut-être ont-ils donné leur langue au chat alsacien ? Mais pendant ce temps, rien ne se passe à Fessenheim.
PS./ Geographedumonde sur l'Alsace : 'Les étudiants à la fonderie'.
Incrustation : brocantitude...
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