La mystique écologiste
Les Verts se cherchent : il faut dire qu’avec leur score étonnant aux présidentielles, ils feraient bien de réfléchir ! Ils ne sont pas “crédibles”, voilà tout. Les Roses ont à dépasser leur surmoi gauchiste ; les Verts ont à éradiquer chez eux leurs écolos mystiques.
Car aujourd’hui, l’opinion est faite : nous allons vers la catastrophe, politique, économique, sociale, climatique, écologique. Pourquoi pas ? Encore faut-il savoir de quoi on parle et en débattre avec des arguments. Les convictions intimes ne suffisent pas. Surtout quand l’ignorance est reine, permettant tous les fantasmes, poussant à tous les millénarismes les avides de pouvoir exploitant la crédulité des foules. C’est le rôle premier des intellectuels - ceux qui ont acquis un bagage de méthodes et de savoirs - que de remettre en cause la doxa, cette opinion commune chaude et confortable parce que grégaire, mais le plus souvent fondée sur des instincts et sur des sentiments plutôt que sur des arguments rationnels.
Il en est ainsi de la « biodiversité ». Le constat est clair : des espèces disparaissent, d’autres migrent, certaines apparaissent. Les causes ? Les modifications du climat, les catastrophes naturelles, les autres espèces. Et en premier lieu l’homme qui, depuis 10 000 ans, a entrepris non plus d’être un prédateur nomade parmi d’autres, mais de maîtriser en sédentaire la nature. De ce constat factuel (que l’on est loin d’avoir exploré complètement), nous sommes tous d’accord. Mais les écolos mystiques induisent un jugement de valeur : « c’est mal ».
Et c’est sur cela qu’il nous faut réfléchir. Nous, Occidentaux,
sommes imbibés de Bible, même si certains se disent laïcs ! (Ce blog
l’a analysé maintes fois) :
· Nos instincts sont formatés selon le mythe du Paradis terrestre
duquel nous aurions été chassés pour avoir (ô scandale !) voulu user de
nos capacités intelligentes pour connaître par nous-mêmes. Ne plus
simplement subir, ni « obéir », le voilà le péché originel de l’homme -
c’est l’intelligence ! D’où l’instinct de « bêtise » qui ne cesse de
titiller tous ceux qui se sentent mal à l’aise dans cette liberté
humaine. D’où le refuge en l’Etat, ce fromage protecteur, ou encore le
social-grégaire de l’entre-soi en clubs, mafias, grandes écoles et
ghettos urbains des quartiers chics.
· Nos sentiments tiennent à la gentillette illusion édénique que « tout le monde il est beau, il est gentil ». Les ours sont par exemple d’aimables peluches, la mer un liquide amniotique bordé d’un terrain de jeu sablé et les plantes un suc originel qui soignent mieux que les pharmaciens et qu’il ne faut surtout pas « modifier ».
· Et la raison, dans tout ça ? Elle prend les miettes, ce qui reste après les convictions intimes. Ou plutôt, elle tente de rationaliser des fantasmes et des préjugés, comme souvent.
Par exemple que « la nature » est en dehors de l’homme. Puisque lui-même est « image de Dieu », on ne saurait confondre le limon vil avec la chair glorieuse... L’homme, exilé sur Terre pour éprouver son obéissance (ou son amour fusionnel) avec Dieu, se verra peut-être récompensé (s’il est sage) par un retour au Paradis, d’où il fut chassé pour avoir voulu s’égaler au Créateur en voulant connaître (notamment le sexe, qui permet de « reproduire » l’œuvre de Dieu en faisant naître d’autres hommes - quelle horreur !). Qu’est-ce que cette religion vient faire dans un discours qui se veut appuyé sur “la science” ?
Par exemple que toute action humaine est « mauvaise » par définition, puisque rompant un « équilibre » que “la nature” avait sans lui. Comme si l’être humain était en-dehors de toute “nature”...
Par exemple qu’il faut « conserver » en l’état tout ce qui est « naturel », puisque toute disparition est un appauvrissement du donné paradisiaque originel, toute mutation un danger, toute migration une erreur, cause de conséquences en chaîne. Comme si la création des planètes et l’évolution biologique n’avait pas été une suite de “catastrophes” radicales...
Ces trois exemples de raisonnement faussé constituent bel et bien une « mystique » qu’aucun argument rationnel ne parviendra à percer. Or, cette opinion commune, parce qu’elle gueule plus fort que les autres et qu’elle impressionne les gogos, court les media - toujours avides de sensationnel. Elle contamine les politiques - toujours avides de se trouver « dans le vent » pour capter des voix. L’écologie est une science, respectable et fort utile pour étudier les interactions des espèces dans leur environnement (homme compris). L’écologie est aussi un savoir-vivre humaniste de l’homme dans son milieu, ce que l’historien Braudel appelle tout simplement une « civilisation ».
En revanche, l’écologie mystique est une pathologie, un discours délirant à base de fantasmes et de peurs millénaires. C’est contre lui que nous élevons cette critique :
* contre ceux qui font du paysan l’avatar du clerc au Moyen Âge, intermédiaire obligé entre Dieu et les hommes, entre Mère Nature et ses enfants ;
* contre ceux qui se prennent pour de nouveaux saint Georges, terrassant les dragons de la modernité au nom d’un Inquisition d’ordre religieux : pas touche au « naturel » !
Comme si « la nature » était un donné immanent, et pas une construction culturelle et historique ! L’écolo illuminé a pour livre de chevet l’Apocalypse de Jean. Il n’en démord pas : l’homme est intrinsèquement « mauvais » et ne peut être « sauvé » que s’il se retire du monde. Concrètement, cela se traduit par :
· les appels à la « résistance » à toute recherche scientifique (au
nom du principe de précaution), à toute expérimentation en plein champ
(au nom de la terreur de l’apprenti sorcier), à toute industrialisation
d’une transformation du vivant (cet orgueil de vouloir créer comme Dieu
- ou « la Nature »), et ainsi de suite. Certains vont même jusqu’à
refuser les vaccinations et à ne se soigner que par les plantes. On se
demande pourquoi ils n’ont pas fait comme ces Américains (toujours
pragmatiques) qui (aussi délirants mais pour une autre cause) se sont
retirés dans les Rocheuses dès le 15 décembre 1999, avec armes,
provisions et manuels de survie, pour y attendre « l’an 2000 ». Les «
terreurs » millénaristes renaissaient avec, pour vernis technologique,
le Bug. Comme il ne s’est point produit, les apocalyptiques se
rabattent sur les OGM (des aliens !), la fin programmée du pétrole (la
punition de Sodome et Gomorrhe) et le réchauffement du climat (annonce
des feux de l’Enfer).
· les appels à la continence, vieille revendication morale chrétienne, que Malthus a appliqué à l’économie jadis. Pas assez de pétrole ! Pas assez de métaux ! Il faut économiser, se mortifier, ne plus jouir sans entraves (des gadgets, jouets, emballages, moteurs trop puissants, piles électriques, claviers d’ordinateurs, etc.), battre sa coulpe et se réfugier à la campagne (« au désert » disaient les mystiques chrétiens, jadis).
· un retour à l’austérité morale, illustrée par les discours d’un José Bové, selon lesquels « la terre ne ment pas ». Juste ce qu’avait dit un maréchal de triste mémoire. Avec les références identiques au « fixisme » naturel, au climat qui ne change jamais dans l’histoire de la terre, au « luxe » que serait une humanité vivant dans le confort moderne. Et une méfiance viscérale envers tout ce qui vient de “l’étranger” (mondialisation, OGM, produits chinois, boeuf anglais...)
Un
excellent numéro d’août-octobre 2007 des Dossiers de la revue La
Recherche (au Seuil, d’ailleurs éditeur chrétien progressiste), fait le
bilan de ladite « biodiversité ». Et l’on s’aperçoit
que les scientifiques sont bien loin d’avoir cette mystique à la
bouche, lorsqu’ils évoquent leurs sujets d’études.
· Oui, tout change sans cesse :
le climat, les feux de forêt, les équilibres entre espèces - «
conserver » ne veut pas dire grand chose. L’historien Leroy Ladurie a
écrit toute une Histoire du climat depuis l’an mil qui montre
combien alternent les phases de réchauffement et de refroidissement
dans les cycles courts de la Terre.
· Oui, les perturbations sont utiles aux espèces, à leur diversité, à leur vigueur - « protéger » n’a pas cette valeur absolue qui court les médias.
· Oui, l’homme est une espèce comme une autre, dangereuse elle aussi - et il faudrait plutôt apprendre à mieux vivre « avec » l’espace naturel plutôt que « contre » ou « en dehors ».
Donc, si l’on veut tenir un discours rationnel qui permette de débattre - donc de décider d’une « politique » à mettre en œuvre, il est nécessaire de considérer quatre choses :
· première chose, il faut savoir - et l’on sait encore très peu.
· deuxième chose, il faut impliquer les gens
- et ce n’est pas le discours apocalyptique qui y réussira, mais bien plutôt des projets concrets de recyclage, d’économie d’énergie, d’agriculture autrement, de développement durable, et l’éducation.
· troisième chose, l’analyse se doit d’être mondiale
- et les organismes internationaux restent encore dispersés, soumis aux divers lobbies avides de financement, de bénéfices ou d’audience médiatique.
· quatrième chose, l’information doit être transparente et rationnelle - ce que les médias grand public sont en général loin de livrer !
Avec tout cela on pourra tous débattre - en connaissance de cause. C’est cela, la démocratie...
C’est-à-dire l’exact inverse de la sommation à la Croyance et du chantage à l’Apocalypse que les illuminés utilisent, avec cet art consommé de la manipulation qui fut celui des prêtres catholiques jusqu’après la Révolution. Le chanoine de Nevers s’en désole en 1824 : « La défiance a remplacé la simplicité chrétienne ; sans être plus savants, ils sont devenus plus raisonneurs, plus présomptueux, moins confiants en leurs pasteurs, moins disposés à la croire sur parole. Il ne suffit plus de leur exposer les vérités de la foi ; il faut les leur prouver » (Georges Minois, Histoire de l’enfer, 1994 Que sais-je ? p.114). Eh oui, les Lumières étaient passées par là.
L’obscurantisme, se parût-il d’« écologie », est d’essence « réactionnaire » - au sens de l’Ancien Régime.
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