La pilule amère du nucléaire
Il s’agit des pastilles d’iodes que nos chères autorités nous proposent de prendre au cas (improbable ?) qu’une de nos centrales nucléaires connaisse quelque défaillance, et relâche quelques bouffées de pollution radioactive.
Sauf qu’il y a loin de la coupe aux lèvres, car ce geste qui se veut rassurant est tout, sauf vraiment adaptée à la situation de crise consécutive à un accident nucléaire majeur.
En effet, pour que cette pilule soit efficace, il faut la prendre au moins 2 heures avant que la pollution arrive, et cela relativise beaucoup son action protectrice, si l’on veut bien se souvenir des lenteurs administratives constatées lors des derniers accidents connus.
A Tchernobyl, alors que toutes les alarmes des centrales françaises carillonnaient à tout vent pour signaler la présence de la pollution de Tchernobyl, césium 134, césium 137 et le reste, le ministre en place assurait que la frontière nous avait protégé contre cette agression et en conséquence, aucune pilule d’iode n’avait été distribuée...lien
Rappelons qu’à l’époque, les techniciens présents dans les centrales françaises, alarmés par cette pollution, avaient quand même prévenu leurs familles, et leurs amis, leur enjoignant de ne pas sortir.
Quant aux autres...
A Fukushima, c’est quasi le même scénario qui s’est répété, et si des pilules ont bien été distribuées, cela a été trop tardif, et donc inutile.
Ajoutons que ces pilules salvatrices n’agissent que pour nous protéger de l’iode radioactive, (iode 131) et n’ont aucune efficacité contre les différents césiums, plutonium et autres éléments radioactifs.
Rappelons en effet qu’un accident nucléaire rejette une centaine de produits différents comme le strontium 90, lequel se fixe dans les os, le césium 137 qui se fixe sur les muscles, le plutonium qui affectionne particulièrement les poumons... lien
Et cerise sur le gâteau, ces pilules d’iodes doivent, pour être efficace, être renouvelées toutes les 48 heures, alors que l’iode radioactive a une période de 8 jours, restant donc dangereuse pendant un bon mois. lien
Ce qui amène une question de santé : la prise régulière d’iode, destinée à saturer la thyroïde, peut être dangereuse si elle est prise pendant un mois....d’autant que le cadeau fait aux familles qui vivent dans la « zone d’exclusion » n’est qu’une boite de 10 petites pilules, quantité largement insuffisante pour une famille pour une durée d’un mois.
En effet, si une personne en danger de pollution radioactive décide de pratiquer la « cure » d’iode (iodure de potassium), elle court un risque, car l’abus de ce médicament peut provoquer l’apparition d’un goitre. lien
Ces comprimés peuvent aussi présenter un danger pour les personnes souffrant d’allergies ou dont la thyroïde ou la peau présentent des conditions particulières. lien
Finalement, cette décision administrative ressemble plus à une opération de « com », qu’à une véritable mesure sanitaire, d’autant que seuls ceux qui sont dans la zone des 20 km autour du site accidenté pourront avoir ces pilules, alors qu’on sait aujourd’hui que la zone touchée par un accident nucléaire dépasse largement cette distance.
Celle de Tchernobyl est allée jusqu’en Corse...et largement au-delà dans d’autres directions.
Et celle de Fukushima a touché la banlieue de Tokyo, à 200 km de là...et a quasi fait le tour de la planète
D’ailleurs, après l’attentat du 11 septembre, le Congrès américain avait étendu la zone de distribution de pilules à 32 km autour du site, décision retoquée par Bush en 2007, lequel pensait qu’il valait mieux évacuer les populations en danger.
Il avait à l’évidence raison, puisque l’on sait que ces pilules ne protègent pas des autres pollutions nucléaires (césium, strontium, plutonium, etc.)
Mais comment évacuer les populations lorsque de grandes villes se trouvent dans la zone proche d’une centrale.
Ainsi, Lyon se trouvant à 40 km à l’Est de Lyon, il faudrait évacuer 5 millions de français en cas d’accident, lequel polluerait 20 000 km² de zones agricoles contaminées, s’il faut en croire l’étude de l’Institut biosphère de Genève. lien
D’intrépides militants anti-nucléaires, devant l’absence pourtant obligatoire de panneaux règlementaires signalant un danger potentiel (risque d’inondation, chute de pierre, etc...) ont décidé d’installer eux-mêmes des panneaux signalant le danger nucléaire : zone d’évacuation en cas d’accident nucléaire majeur...
Mal leur en a pris, puisque le préfet a sévi et a demandé que ces panneaux soient enlevés.
Ajoutons qu’à Bugey, y compris ailleurs, le temps de réaction entre un accident, et sa communication est souvent de plusieurs jours...quand il n’est pas totalement occulté.
Prenons l’exemple de ce qui s’est passé le 16 décembre 2018 à Bugey.
S’il faut en croire l’ASN (autorité de sureté nucléaire), « l’exploitant de la centrale nucléaire de Bugey a détecté une fissure sur le circuit qui alimente en air le dispositif de commande de la vanne de décharge à l’atmosphère »...mais le problème n’a été déclaré à l’ASN que le 28 mai 2019, et si l’ASN se félicite que cet « « évènement » n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement » elle déplore que l’information lui soit parvenu si tardivement. lien
La centrale nucléaire de Chooz a connu la même délicate situation, puisque l’ASN a constaté « la détection tardive de l’indisponibilité d’une pompe contribuant, en cas de perte totale des alimentations électriques, à assurer l’intégrité du circuit primaire du réacteur 2 ». lien
Récemment, entre les 14 et 15 mai, lors de la mauvaise manipulation d’une capsule de sélénium-75, un nuage radioactif a pollué une partie du Nord de la France, et l’information n’est parvenue aux populations que 2 jours après...
Bien que les rejets aient dépassé la limite autorisée, les autorités se sont voulues rassurantes affirmant que « aucune action visant à protéger la population n’a été nécessaire ». lien
Pourtant le Sélénium n’est pas un produit anodin : la toxicité aiguë du sélénium peut provoquer jusqu’à l’infarctus du myocarde, l’insuffisance rénale, perte de dents, éruptions cutanées... lien
Et ce n’est guère mieux ailleurs, si l’on prend l’exemple de l’accident nucléaire de Severodvinsk : ce n’est que le 26 aout que les autorités ont communiqué sur la mort, le 8 aout, de 5 employés de l’agence nucléaire de Rosatom. lien
On sait qu’aux USA, lors de l’accident nucléaire de Three Miles Island, suite à la rupture des barres de maintien des barres de combustible, qui entrèrent en fusion, provoquant la fusion du cœur du réacteur, ce n’est que tardivement que les habitants des environs ont été partiellement évacués. lien
Aux alentours du 15 septembre 2019, les habitants des communes se trouvant dans la zone d’exclusion en cas d’accident nucléaire majeur, c’est-à-dire à 20 km autour de la centrale, recevront un courrier les encourageant à aller se procurer les boites de pilules d’iode... (lien) et les militants de « Stop Bugey », qui luttent pour la fermeture de Bugey, l’une des plus vieilles centrales nucléaire française, vont distribuer des documents mettant en garde les populations, dénonçant une simple manœuvre de com.
D’autant que, preuves en main, la fermeture immédiate du site n’aura quasi pas d’impact sur l’économie de la région.
en effet, à proximité de la centrale nucléaire se trouve une grande zone industrielle qui finance largement les besoins des petites communes proches...et, comme on a pu le constater lors du démantèlement, toujours en cours, du « Superphénix » de Malville, ceux qui perdront leur emploi sur le site, seront largement remplacés par ceux qui vont travailler au démantèlement.
En effet, commencé en 1998, le démantèlement de Malville continue, et est loin d’être terminé. lien
Une fois de plus, on ne peut que constater que le nucléaire pose plus de problèmes que n’amène de solutions acceptables, tant par rapport à l’impossible gestion des déchets, que sur le cout de cette énergie, sans pour autant occulter le danger, maintenant admis par tous, d’un accident nucléaire majeur.
C’est ce qu’a déclaré le 18 janvier 2017, Pierre-Frank Chevet, président de l’ASN : « concernant les installations nucléaires, il y a un an, le contexte était préoccupant à moyen terme. Si je devais résumer ma pensée aujourd’hui, je dirais que le contexte est préoccupant. J’enlève « à moyen terme » »....comprendre qu’il s’inquiète pour le court terme...
Raison pour laquelle il réclame la fermeture des vieux réacteurs, puisque ces derniers ont été pensés pour une durée limite de 30 ans, ajoutant que leur fermeture est un enjeu majeur d’autant que la filière est en grande difficulté financière. lien
Il faudrait donc de toute urgence fermer les 5 plus vieilles centrales françaises, Bugey, Blayais, Fessenheim, Tricastin, et Gravelines. lien
Mais ça ne semble pas émouvoir le gouvernement, qui tout en se parant des plumes de défenseur de l’environnement, continue plus que jamais à vouloir imposer l’énergie nucléaire, et est en train d’investir 100 milliards dans cette énergie mortifère. lien
Comme dit mon vieil ami africain : « marche en avant de toi-même, comme le chameau qui guide la caravane ».
L’image illustrant l’article vient de « attac.be »
Merci aux internautes de leur aide précieuse
Olivier Cabanel
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