Le jour où l’Europe a failli disparaître

Le monde nucléaire est un monde où fleurissent des petits cachotiers, ou de grands manipulateurs, et ce n’est parfois que longtemps après que l’on apprend de surprenantes nouvelles... les dernières viennent de Tchernobyl, dont on croyait pourtant tout savoir...
C’est l’histoire de 3 héros qui n’auront peut-être jamais leur statue... ils s’appelaient Alexeï Ananenko, Valeri Bezpalov, et Boris Baranov, et si ces 3 hommes n’avaient pas risqué leur vie, il n’y aurait quasi plus d’Europe à ce jour.
Les tonnes d’eau déversées par les pompiers pour éteindre l’incendie initial menaçaient les autres réacteurs de la centrale, car une nappe d’eau s’était formée sous le réacteur en fusion, et ce n’était qu’une question d’heure avant que le cœur en fusion, ce que l’on appelle corium, n’atteigne cette nappe... provoquant une terrible explosion, d’une force de 3 à 5 mégatonnes, rendant l’Europe inhabitable, et rasant la ville de Minsk, pourtant à 320 km de la centrale.
Ces 3 hommes se sont donc portés volontaires pour plonger dans le sous-sol inondé, afin d’ouvrir les vannes permettant d'évacuer les 19 000 tonnes d’eau qui stagnaient.
C’est Alexeï Ananeko qui, connaissant l’emplacement exact de ces soupapes, plongera, équipé d’une tenue la plus étanche possible, et de respirateurs, dans l’eau fortement irradiée, accompagné par ses 2 confrères, afin d’éviter le pire. lien
Avant eux, 2 hommes, Alexander Akimov et Leonid Toptuno s’étaient aventurés audacieusement dans la centrale, espérant pouvoir pomper l’eau, submergés jusqu’à la taille dans cette eau radioactive, en vain...
Ils allaient y laisser leur vie, et il a été raconté qu’Akimov, à l’hôpital, alors qu’il tentait de se lever avait vu sa peau tomber de sa jambe comme une chaussette. lien
A ce même instant, en France, le Président de la République, un certain Giscard, affirmait droit dans ses bottes, que le nuage radioactif avait un taux de radioactivité faible et ne représentait pas de danger pour la population. lien
Il était conforté dans ses convictions par le professeur Pèlerin, lequel déclarait que le nuage radioactif n’avait pas franchi la frontière française. lien
Il fallait découvrir aussi la position d’Alain Carignon, alors maire de Grenoble, éludant la question de la responsabilité des politiques dans cette triste affaire. Curseur à 7’
Mais n’oublions personne, car ils ont été nombreux ces responsables politiques, ou administratifs, qui ont plus ou moins sciemment menti sur la situation : François Cogne, directeur de l’IPSN (institut de protection et de sureté nucléaire), Pierre Tanguy, inspecteur général de la sécurité nucléaire, Michèle Barzac, ministre de la santé...et aucun de ces « responsables » n’a à ce jour été puni.
Ce n’est que 15 jours après que les français ont appris la triste réalité, et les arguments pour expliquer ce retard manquaient sérieusement de crédibilité.
Voilà en réalité où est passé exactement le nuage entre le 26 avril et le 9 mai 1986. vidéo
Pourtant tout n’est pas fini, loin de là, car au-delà du nouveau sarcophage destiné à freiner la propagation des particules radioactives, il faudra ensuite tenter d’extraire les 1400 tonnes de magma radioactif, et ça, c’est loin d’être gagné.
Puis il faudra démembrer pièce par pièce le réacteur dévasté...quant au bilan humain, on ne sait pas combien, des 600 000 liquidateurs, sont encore en vie...ni combien d’humains de par le monde ont péri suite aux éléments radioactifs relâchés au fil des mois, et sans oublier les malformations connues et celles à venir parmi les 6 millions de personnes qui vivent encore dans la région contaminée pour longtemps, sachant que le césium 137 et le strontium 90 ne disparaîtront pas avant 3 siècles. lien
Quittons ce drame pour un autre, celui de Fukushima, que les médias évoquent de moins en moins au fil des années qui passent.
Pourtant rien n’est réglé, et c’est le moins qu’on puisse dire.
La fable des robots qui allaient pouvoir extraire les coriums des réacteurs dévastés a fait long feu, et la seule avancée à ce jour est les quelques vidéos, ou photos, prises à la sauvette par un robot, baptisé « little Sunfish » (il fait 30 cm de long)... dans les entrailles du réacteur n° 3.
Ce qui a été montré est manifestement des objets fondus, probablement des barres de combustible mélangés avec des parties de la structure...mais il ne s’agit en tout cas pas du corium. vidéo
Déjà en novembre 2017, Tepco affirmait qu’un autre robot, baptisé, celui-là, Mini Mambo » avait capturé « des images d’uranium fondu » ce qui avait permis au directeur général de la centrale de déclarer : « maintenant que nous l’avons vu, nous pouvons faire des plans pour le récupérer »...
Mais alors, à quoi a servi la mission du « Little Sunfish » ? lien
Ce qui n’empêche pas le ministère japonais de l’économie d’estimer que la décontamination de la centrale se ferait vraisemblablement sur 40 ans, pour un coût passant provisoirement de 72 milliards de dollars à 190 milliards, incluant les compensations financières aux victimes. lien
Au mois de juillet dernier, on apprenait que le désastre était loin d’avoir été arrêté, et Tepco a publié des mesures concernant les radiations émises par le réacteur n° 2, lesquelles atteignent 530 sieverts par heure.
Par comparaison, en 2012, les radiations avaient été mesurées à 72 sieverts par heure. lien
Or, selon les experts de l’Institut National des Sciences Radiologiques du Japon, « 4 petits sieverts tueraient la moitié des personnes exposées ».
Voilà qui modifie le calendrier de démantèlement de Tepco qui espérait pouvoir extraire le combustible fondu en 2021...lien
Déjà en septembre 2017, l’entreprise nucléaire avait annoncé la fin du démantèlement en 2023...ce qui, au vu de la situation, était déjà très optimiste. lien
Mais cela signifie aussi que la pollution vià l’Océan Pacifique continue de plus belle.
Ce qui ne devrait pas être une surprise, vu les fuites d’eau radioactive qui continuent de se produire au fil des mois. lien
En octobre dernier, des mesures avaient clairement établi que les plages à proximité de la centrale étaient littéralement imprégnées de particules radioactives : « ces sables devenus une sorte d’éponge pour les radionucléides n’en seront nettoyés que dans un avenir lointain, lorsque le césium sera complètement désintégré (ndlr c’est-à-dire dans plus de 3 siècles) ou s’échappera dans la mer » indiquent les experts japonais.
« Personne ne s’attendait à ce que l’on trouve les niveaux les plus importants de radioactivité et d’accumulation de radionucléides non pas dans la baie où se trouve la centrale, mais dans les sables et les eaux de fond », ont-ils déclaré. lien
Et en France, ou finalement les experts admettent que nous ne sommes pas à l’abri d’un accident nucléaire majeur, que se passe-t-il ?
Des broutilles : en avril 2016, à Paluel, un générateur de vapeur de 465 tonnes et haut de 22 mètres a basculé lors de sa manutention, (lien) à Bugey, une nouvelle fuite malencontreuse de tritium a probablement rejoint la nappe phréatique, (lien), le Tricastin serait la pire centrale du pays, d’après deux journalistes, Thierry Gadault et Hugues Demeude (lien) lesquels viennent de publier un livre enquête qui met à mal la sûreté des centrales françaises. lien
Comme dit mon vieil ami africain : « le feu qui te brûlera c’est celui qui te chauffe ».
Le dessin illustrant l’article est de Jacquette
Merci aux internautes de leur aide précieuse
Olivier Cabanel
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