Les cadenas de l’EPR de Flamanville : la piste du sabotage de plus en plus sérieuse
Et donc toujours rien.
Ou alors pas grand-chose.
En dehors du compte-rendu miséreux de la réunion de la CLI (Commission locale d’information, existant pour chaque site nucléaire) qui s’est tenue jeudi 31 mai aux Pieux, une commune proche de Flamanville, et repris par quelques médias pour se fendre d’une pincée d’informations réchauffées, fournies cette fois-ci par l’AFP, il n’y a rien eu dans la presse qui puisse satisfaire l’attente pour le moins légitime du lecteur affamé de nouvelles un tant soit peu consistantes. La précédente dépêche avait été l’œuvre de Reuters, trois semaines plus tôt. Et trois autres semaines dans la suite de cette réunion de CLI n’auront toujours pas été suffisantes pour le moindre petit début d’enquête journalistique. Hors reprise des dépêches d’agence, rien, nothing, nada. Pas même un plumitif agacé par mes indignations répétées pour venir me chercher des poux dans la tête, un comparse militant s'étant mis en tête d'informer une centaine de représentants de cette honorable caste de l’existence de mon article. En toute amabilité je peux vous l’assurer, juste pour leur montrer du doigt la direction de l’EPR. Et malgré tout : rien. Pas même l’un d’entre eux pour regarder le doigt. C’est dire…
N’est-ce pas tout simplement inouï ? On croit rêver, non ? Pas un journaliste un peu curieux pour profiter de cette CLI et insister un peu, titiller, déstabiliser des responsables pour leur faire dire un peu plus qu’ils ne veulent divulguer.
Bertrand Michoud, directeur des aménagements du chantier du réacteur EPR, s’est donc contenté de rappeler ce qu’on savait déjà, à savoir qu’il allait soumettre le système informatique à un audit. Tout en n’hésitant pas, insensible à mon ironie, à souligner de nouveau que les scellés des armoires informatiques de contrôle-commande du réacteur étaient restés intègres. « Ça va prendre plusieurs semaines » a-t-il précisé, probablement dans une légère poussée d’angoisse. Mais curieusement - peut-être était-il parvenu à un point de rupture - il n’a pas su conserver cette neutralité si conforme aux responsables nucléaires même face à une apocalypse naissante, ou nous servir la minimisation à laquelle on s’attend habituellement de la part d’EDF en pareille occasion. Il n’a pas pu s’empêcher de formuler un constat alarmant ! Et le mot qui est ressorti de la réunion est, accrochez-vous : "colossal". « Le volume de données à vérifier "est vraiment colossal" » a-t-il, plus précisément, déclaré avant d’avoir poussé, on l’imagine, un soupir de profond abattement.
Face à l’angoisse on sait le silence psychothérapique parfois propice à la verbalisation. Peut-être en est-il de même face au mutisme journalistique qui serait alors un nouveau procédé d'interview ?
Quoiqu’il en soit de la réalité, le mot est bel et bien apparu. Et croyez-vous que ce mot quasi-onomatopéique aurait fait réagir la presse ? Cette presse pourtant si avide de scoops et d’informations plus alléchantes les unes que les autres allant du dernier fait-divers le plus glauque jusqu’aux dessous des jupes de ma belle-mère en passant par le dernier rebondissement accessoire de l’héritage Hallyday ? Pas plus…
Il va donc falloir encore s’indigner et une fois de plus broder. Et se laisser aller aux supputations incertaines et autres suppositions. Qu’on ne vienne pas ensuite me le reprocher.
Mon précédent article avait mis le focus sur l’éventuelle implication de Greenpeace dans cette affaire, et avait conclu au non-lieu. Un autre élément est venu confirmer ce jugement : l’équipe de Greenpeace a commenté en direct la diffusion du cinglant documentaire « Nucléaire, l’impasse française » qui ne l’impliquait aucunement, tandis qu’elle n’avait quasiment pas émis de commentaires sur l’affaire des cadenas. Si Greenpeace y avait eu une quelconque responsabilité vous pensez bien qu’elle l’aurait tout aussi largement commentée.
N’ayant pas cette fois-ci d’éléments nouveaux pour incriminer des services étrangers, c’est sur le sabotage que je vais attirer votre attention. Avec d’autant plus d’intérêt que l’orientation semble de plus en plus sérieuse. Elle est comme un fumet qui s’étendrait avec une densité s’amplifiant. Ou comme une musique et des chants venus de Notre-Dame-de-Landes dont la sonorité se fait de plus en plus audible.
Peut-être pas encore une politique, mais c’est déjà comme un climat qui semble prendre de l’ampleur. Une culture du sabotage est en train de se disséminer.
Tout ça a débuté en 2013 à l’initiative des déboulonneurs de pylônes. Leur slogan : Contre le nucléaire, résistance et sabotage ! Puis apparurent de bien curieux évènements du coté de Flamanville : une explosion dans la salle des machines en février 2017, une fuite d’eau en mars. En juin un militant de Bure poursuivi en justice, en incitait d’autres à assumer le sabotage face au désastre nucléaire. Dans un article du 4 mars 2018 Libération observait que le slogan de Bure « L’Andra dégage, résistance et sabotage » était chanté par les manifestants. Du dernier week-end à Bar-le-Duc, Jade Lindgaard de Mediapart écrit : « Soudain, un chant monte derrière les trois masques colorés de hiboux et de chouettes : « Ami, j’entends ta rage / Cigéo va brûler / Demain par sabotage / Sinon par ses déchets. » La conférence de presse s’achève sur ce refrain, repris en boucle. Il donne le ton de la journée de mobilisation contre le projet de centre d’enfouissement de rebuts nucléaires Cigéo, à Bure : poésie sur la forme, détermination sur le fond ».
Pourquoi n’en serait-il pas de même au sein de l’EPR de Flamanville, lequel déborde de scandales et de malfaçons, de non-respect des normes et demeure pourtant avec une volonté acharnée destiné au démarrage au détriment de toute rationalité ? Le mode opératoire - un vol saugrenu de 150 cadenas qui n’a pas d’autre but que de souligner cette folie et de signer d’une manière très voyante une altération probablement sophistiquée et invisible du cerveau électronique de l’EPR - va évidemment dans ce sens.
Et puis le climat de paranoïa au sein de la centrale de Flamanville ne doit pas aller sans attiser un profond inconfort psychologique et le besoin que tout cela se termine dans les plus brefs délais.
Mais si le sabotage est une option des plus sérieuses, on ne peut exclure d’autres options. Et Mycle Schneider, brillant consultant international auditionné récemment par la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, nous l’a rappelé à cette occasion : « Je ne sais rien de ce que fait la FARN (Force d’action rapide nucléaire). La seule chose que l’on sache, c’est combien d’hommes elle comprend. Savoir si cela suffit ou pas se discute parce qu’on ne sait pas combien de personnes sont en permanence sur les sites, cela relève de la confidentialité. En revanche, on sait qu’il y a aux États-Unis des exercices appelés force-on-force : une équipe essaie de pénétrer dans une centrale avec quelque chose qui pourrait ressembler à des explosifs ou à des armes pour tester les forces présentes sur site. Les résultats de ces exercices n’ont jamais été publiés dans le détail – car, comme vous pouvez l’imaginer, il ne serait pas très bon de le faire – mais on en sait assez pour affirmer qu’au cours de plusieurs de ces exercices, la défense des sites s’est avérée totalement inefficace et que les équipes ont pu se rendre jusque dans la salle de contrôle. À votre place, en tant que commission d’enquête, je demanderais aux services compétents les résultats de ces exercices ». Pour autant on imagine guère la FARN effectuer un tel exercice et ne pas en avoir informé quelqu’autorité que ce soit au bout d’un mois et demi.
La collaboratrice de Barbara Pompili, rapporteuse de la commission, a indiqué au réseau « L’ EPR ça suffit » : « Concernant les cadenas volés, cette question a été abordée lors du déplacement de la commission à l’EPR de Flamanville. Concernant les informations que nous avons obtenues, le rapport étant en cours de rédaction, je ne peux en dire plus. Le rapport sera rendu public le 5 juillet ».
Mais d’ici le 5 juillet peut-être peut-on conserver l’espoir qu’un journaliste sortant de son sommeil prolongé nous aura apporté un peu de sa rédactionnelle nourriture.
Patrick Samba
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Au sujet du survol de centrales par des drones :
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