Les impératifs écologiques pourraient-ils remettre en cause la démocratie ?
Compte-rendu du Café Citoyen de Caen du samedi 10 janvier 2009.
Dans le monde entier, et en Occident peut-être de manière plus marquée, il est indéniable que nous assistons à une « prise de conscience écologique ». Qui plus est, les contraintes écologiques (tris sélectifs, augmentation des prix...) sont de plus en plus comprises, et même admises. Mais ces exigences ne risquent-elles pas de mettre à mal le système démocratique ? Les citoyens se sont ainsi demandés tout au long du débat si les impératifs écologiques pouvaient fonder une autorité nécessaire à un gouvernement non-démocratique.
Cette interrogation du citoyen est d’autant plus justifiée que pendant des années, « le discours sur les préoccupations écologiques a été raillé, réduit au rang de peur imaginaire » et qu’aujourd’hui, « c’est comme si la planète s’était réveillée brutalement ». Un sentiment d’urgence s’est en effet vite emparé de la société civile. Ce qui pour certains correspond à une responsabilisation (nous admettrions enfin l’importance des problèmes écologiques), ressemble pour d’autres à une « culpabilisation systématique des gens ». Pourquoi faire supporter tout le poids des choix politiques aux seuls citoyens ? Quid de l’empreinte écologique des grands groupes industriels ? Quid du manque de prise de décision des politiques ?
L’assemblée se demande alors si les impératifs auxquels nous serions confrontés ne seraient finalement pas des dogmes. Quelqu’un dans la salle avance même que nous serions devant « un dogme extrêmement protéiforme qui peut être récupéré avec d’autant plus d’opportunisme et de gravité qu’il correspond à des préoccupations réelles ». Toutes les mouvances politiques tentent effectivement de s’approprier l’écologie. Et il semble très facile d’amalgamer mesures scientifiques environnementales et arguments idéologiques.
Il est difficile de discerner ce qui est de l’ordre du dogme et ce qui est de l’ordre du fait écologique. D’autant que tout argumentaire idéologique se drape généralement de mesures scientifiques qui se veulent incontestables. Mais qu’est-ce qui est vrai ? Et qu’est-ce qui est urgent ? En effet, le sentiment d’urgence écologique s’établit de manière indiscutable grâce à des argumentaires scientifiques que l’on n’ose pas remettre en cause. On ne se prive pas d’ailleurs d’illustrer ces « vérités scientifiques » par des mises en scène, notamment en ce qui concerne le réchauffement climatique (par exemple le spectacle du détachement d’un bloc de banquise). Lorsque l’on aborde l’écologie d’un point de vue global, on privilégie en réalité l’émotionnel à l’explication par le raisonnement. « Un certain nombre de scientifiques dénoncent [par ailleurs] des exagérations médiatiques, des raccourcis faux, notamment celui consistant à imputer le réchauffement climatique aux seules activités humaines. » lance un intervenant. Dans la salle, on ne minimise pas pour autant l’impact de l’activité humaine sur l’environnement : le danger qui pèse sur la biodiversité, le problème de la pénurie en ressources naturelles, tous ces dangers sont bien présents. D’ailleurs, les préoccupations écologiques sont également celles de toutes celles et de tous ceux qui veulent protéger la Nature parce que source d’émerveillement. On évoque la Loi Littoral, le covoiturage, les économies de papier... La protection de l’environnement passerait aussi et avant tout par le niveau local, dans la vie de tous les jours. « Chacun doit faire sa part » dit-on dans la salle.
Mais une suspicion s’éveille aujourd’hui car l’écologie devient de plus en plus « à la mode ». Le greenwashing (l’éco-blanchiment) permet aux entreprises « de transformer les slogans écologistes pour les utiliser en slogans publicitaires ». Sans parler d’« arnaque écologique », les citoyens s’interrogent tout de même sur l’existence d’éventuelles intoxications médiatiques jouant sur des peurs déjà établies. Alors qui croire lorsque le doute s’installe ? Se pose ainsi la question de l’urgence écologique et de qui va en payer le tribut.
Avec l’écologie, la frontière est mince entre la science (du grec « oïkos », et « logos » : science de la maison, de l’habitat) et la politique. L’écologie est rapidement devenue, en s’affranchissant du cadre traditionnel droite/gauche, une thématique transversale, trans-partisane, voire même au-dessus des partis politiques. On se hasarde même à parler de nouvelle religion tant les valeurs véhiculées par les concepts écologiques touchent des dimensions existentielles (survie de l’humanité) et ontologiques (place de l’homme sur la planète et dans l’univers).
Finalement, malgré l’éclatante vérité écologique qui semble apparaître au grand jour, il existe encore de nombreuses zones d’ombre, des préjugés et des imprécisions. On insiste à ce propos dans la salle pour dire que les plus gros pollueurs sont aujourd’hui les pays en phase de développement industriel (Chine, Inde...).
Cependant, il est des faits qui peuvent paraître indiscutables ; et le sentiment d’appartenance à une même planète aux ressources finies, même s’il est très récent (quelques décennies, ce qui historiquement parlant est très court), est peut-être l’un d’eux. Cette globalisation nous fait prendre conscience qu’un certain nombre de problèmes posent désormais question à l’humanité toute entière : l’augmentation démographique mondiale, l’épuisement des ressources naturelles (nourriture, énergie, etc.). L’épuisement des ressources comme le pétrole (pensons également à tous ses dérivés utilisés dans notre société : plastiques, paraben, bitume pour les routes, etc.) ou le gaz sont des données difficilement discutables. Et la panique peut s’emparer de nous à la perspective de voir disparaître ce règne de l’abondance illusoire auquel nous nous sommes habitués.
Les impératifs écologiques pourraient ainsi remettre en cause la « douceur démocratique » de notre époque. Remarquons que depuis quelques décennies, nous assistons déjà à une crise de la responsabilité. Essentiellement parce que chacun d’entre-nous ne sait plus de quoi il est responsable. Le concept d’écologie ne risque-t-il pas également de mettre à mal les principes de liberté (interdictions et rationnement), d’égalité (entre pays développés et pays en phase d’industrialisation), de fraternité (luttes pour des territoires, des ressources naturelles...) ?
D’autant que les problèmes d’ordre écologique ne sont qu’une partie des problèmes que l’humanité devra affronter dans les prochaines décennies : les déséquilibres entre les différentes population du monde, les problèmes économiques en tous genres, les migrations de masse, les possibles guerres pour les ressources, pourraient entraîner des réorganisations sociales importantes voire déstabiliser les régimes démocratiques. Dans le processus démocratique, le débat prévaut, les décisions sont lentes. Et l’urgence peut nécessiter la mise en place d’un cabinet exécutif plus restreint.
N’y a-t-il pas finalement chose plus importante que la démocratie à préserver ? Face à des dangers mettant en péril une civilisation voire l’humanité toute entière, on aurait tort de vouloir tenir à tout prix à un système finalement plus efficace en temps de paix qu’en période troublée.
Qui plus est, la démocratie telle qu’exercée aujourd’hui – avec la politique de l’opinion, de calculer et de ne pas prendre de réels engagements pour ne pas se couper d’une partie de l’électorat – cette démocratie, que certains citoyens considèrent d’ailleurs comme factice, n’est-elle pas non plus à l’origine de l’enlisement des problèmes écologiques depuis des décennies ? Les politiques successives ne nous ont-elles pas empêché sinon de prendre conscience du moins de réaliser progressivement (et donc sans empressement) les changement de notre mode de vie ? L’urgence actuelle ne se justifie-t-elle pas par l’attentisme et le manque de courage des politiques ?
Cette urgence risque donc d’accentuer les tensions régionales. A ce propos, on évoque notamment le conflit actuel concernant le barrage de retenue sur l’Euphrate. Certes, la prise de conscience écologique semble être partagée par de nombreux pays sur la Terre. Mais les pays développés devront certainement faire des concessions plus importantes pour contenir sinon abaisser leur niveau de vie. Et nous voyons qu’il n’est pas si facile de réduire notre propension à la croissance ? C’est là que l’« on va peut-être être amenés à prendre des mesures pour partager et donc à rogner un peu sur nos libertés individuelles ».
Restons cependant vigilants. Le danger inverse consisterait à croire que nous vivons dans le pire des mondes possibles et qu’ainsi le fatalisme gagne nos consciences. Nous serions alors vulnérables et prêt à accepter le joug d’un despote qui se voudra évidemment éclairé. On évoqua même dans la salle la possibilité de l’établissement d’un nouvel ordre mondial s’appuyant sur un certain nombre de peurs pour instaurer un régime aristocratique planétaire basé sur le contrôle des citoyens. Avec la surenchère médiatique des impératifs écologiques, le fait que le politique tarde à prendre des décisions, et la responsabilisation à outrance, voire la culpabilisation, du citoyen de base, n’assisterions-nous pas à une phase de légitimation de différents acteurs ? Le nouveau messie germe d’abord dans l’esprit de celles et ceux qui, à force d’attendre que se réalisent des promesses, applaudissent le sauveur qui saura convertir leur espérance en résultats concrets, même s’il faut pour cela ignorer les dures mesures qu’il aura été nécessaire d’adopter...
Finalement, nous constatons que l’Homme a toujours cherché à s’extraire de la Nature, à s’affranchir de ses lois. Et peut-être est-il désormais temps de ne plus chercher à vouloir la dominer mais à rechercher l’équilibre. Cette crise écologique ne peut-elle pas être perçue comme une aubaine ? N’est-elle pas un moyen de « remettre en cause notre mode de fonctionnement », de repenser totalement notre système ? La « crise environnementale » peut devenir un passage obligé pour permettre de « changer de paradigme social » et ainsi donner un nouvelle chance à la démocratie, en ravivant la flamme démocratique depuis trop longtemps engourdie par un individualisme effréné, en réactivant l’esprit populaire depuis trop longtemps englué dans le matérialisme de notre société de surproduction/surconsommation. Ne peut-elle pas conduire les hommes à renouer avec l’envie de vivre ensemble selon des valeurs qu’ils auront choisi et un projet commun qu’ils auront eu l’occasion de tracer ?
Nous avons aujourd’hui certainement passé le cap de la prise de conscience écologique. Et nous ne devons pas pour autant être dupes. Même ces questions fondamentales peuvent être le champ de bataille des idéologues de tous horizons ; quand bien même cela puisse paraître cynique. Gardons notre esprit critique et cherchons par l’échange et l’écoute notre propre opinion personnelle pour agir en notre âme et conscience.
http://www.cafes-citoyens.fr/comptes-rendus/478-les-imperatifs-ecologiques-pourraient-ils-remettre-en-cause-la-democratie-2
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