Lyon-Turin, une bataille dur-rail
Lancé depuis 20 ans par quelques politiques portés par la seule volonté de laisser une trace de leur passage sur cette terre, au mépris de ceux qui en pâtiraient pendant des siècles, le Lyon-Turin n’en finit pas d’alimenter la polémique.
Les opposants français, dont les rangs sont plus clairsemés que leurs voisins italiens, ne baissent pas pour autant les bras, d’autant que la Cour des Comptes a confirmé leurs informations : loin de ne couter que 12 milliards, la Cour des Comptes a validé les chiffres annoncés par les opposants, soit au moins 26 milliards pour la partie française (lien), et contrairement a une idée reçue, le « Lyon-Turin » ne va pas à Lyon : il s’arrête à Satolas, à 24 km de Lyon : pour relier la gare au centre de Lyon, il faudrait compter une bonne demi-heure supplémentaire.
Du coup, le gain de temps qui serait provoqué par la création de la ligne est contestable, d’autant qu’il serait limité par les temps d’arrêt en gares, et l’impossibilité de rouler à grande vitesse dans les 90 km de tunnels prévus en France, s’ajoutant aux 57 km du tunnel de base.
Au lieu des 2 heures espérées pour joindre Lyon à Turin, contre 4 heures aujourd’hui, il faudrait tabler plus réalistement sur 3 heures, soit un gain de temps d’une petite heure, pour un investissement de 30 milliards (avec le matériel roulant, les gares…) : à 500 000 euros la minute gagnée, le jeu en vaut-il la chandelle ?
C’est le premier mensonge que dénoncent les opposants.
Le deuxième mensonge concerne l’argument avancé par les pro-Lyon Turin, qui affirment que ce projet enlèverait des camions de la route, afin de les mettre sur le rail, sauf que, la Cour des Comptes, une fois de plus, dénonce l’expérience Modhalor, en Maurienne, qui coute une petite fortune à l’Etat, obligé de subventionner en pure perte cette installation de fret ferroviaire, largement déficitaire.
De plus, les promoteurs de LTF (Lyon Turin Ferroviaire) se sont basés, en 1990, lors du lancement du projet, pour justifier leur projet, sur une augmentation quasi exponentielle du transport des marchandises, prévoyant pour 2020, que 40 millions de tonnes, voire 80 Mt, de marchandises passeraient en Maurienne.
Estimations contredites aussi par la Cour des Comptes, qui constate, comme les opposants, que le trafic de marchandises dans les Alpes est quasiment inchangé depuis 1988. lien
On est donc resté en près d’un quart de siècle à un trafic de fret avoisinant les 10 millions de tonnes.
De plus, la ligne historique n’est occupée qu’à 18% de ses capacités, aux antipodes de la saturation annoncée. lien
En effet aujourd’hui, il ne passe sur la ligne historique que 3,9 millions de tonnes de fret, bien loin des 22 millions de tonnes possible.
C’est un ingénieur Grenoblois, Alain Margery, qui a manifestement trouvé la clé de réussite du fret ferroviaire : pour prendre des parts de marché à la route, il n’y a pas besoin d’une voie nouvelle, mais d’une bonne technologie de fret ferroviaire.
Il a conçu le procédé R-shift-R, lequel vient de recevoir la récompense du meilleur projet européen pour le transport des marchandises (lien), permettant de franchir des pentes de 3,5%, de rouler à 130 km/h et au-delà, et surtout de charger et décharger le fret en moins de 6 minutes comme on peut le voir dans cette vidéo.
Ces conditions pourraient être de nature à inciter les transporteurs à préférer le rail, rendant plus fiable, plus rapide, et moins cher, le transport du fret, d’autant que le procédé R-shift-R accepte indifféremment remorques, containers, voire camions entiers.
Les opposants au projet étudient aussi un axe complémentaire à cette nouvelle technologie : la transformation du réseau existant.
Cette modernisation, basée sur l’exemple réalisé en Autriche, supprime la quasi-totalité des nuisances de la ligne dite historique par des aménagements originaux, renforçant la sécurité, supprimant naturellement les passages à niveau, et validant doublement ces transformations en les utilisant pour faire des pistes cyclables, entre autre.
En Autriche, l’Etat investi chaque année 2 milliards d’euros dans l’aménagement et la construction de voies ferrées, ainsi que la modernisation des gares, ce qui a permis de transporter en 2010, plus de 100 millions de tonnes de fret, et de déplacer près de 250 millions de voyageurs.
Un ingénieur savoyard, Michel Martin, s’est inspiré de ce procédé autrichien pour étudier la rénovation ferroviaire qui pourrait être faite sur la ligne historique qui relie Ambérieu à la frontière italienne. lien
Ce chantier aurait aussi l’avantage de faire travailler la main d’œuvre locale, car, afin de ne pas couper le trafic, il se réalise en plusieurs tronçons, et permet donc à de petites entreprises locales de créer des emplois durables, alors que le projet actuel ne peut qu’être décroché par les grandes entreprises du BTP, qui lorsqu’elles auront le marché s’empresseront de faire travailler des sous traitants, lesquels pour rentabiliser l’opération utiliseront de la main d’œuvre bon marché, en provenance des pays de l’Est de l’Union européenne, puisque le salaire moyen de certains de ces pays ne dépasse pas parfois 100 €. lien
D’ailleurs la question des emplois créés est aussi l’un des gros mensonges que mettent en avant les promoteurs du Lyon-Turin.
Ceux-ci sont dans la surenchère : alors que les prévisions les plus optimistes, se basant sur les emplois générés par le percement du tunnel du Gothard, évoquent 1000 emplois en pointe, LTF annonce jusqu’à 10 000 emplois. lien
Le projet d’écotaxe, en cours actuellement en Alsace (lien), prévu pour inciter les transporteurs à préférer le rail à la route, sera vraisemblablement un échec, puisque les routiers préfèreront probablement rester sur la route, l’autoroute, en payant l’écotaxe, et répercuteront l’augmentation du prix du transport sur les marchandises, pénalisant finalement le consommateur, ce qui pourrait expliquer la récente décision du Sénat, lequel vient d’invalider ce projet d’écotaxe. lien
Un autre mensonge consiste à affirmer que la demande des voyageurs qui voudraient se rendre à Turin est importante.
Comme l’explique un chercheur de Turin, le professeur Angelo Tartaglia, pour rentabiliser une ligne TGV, il faut au minimum 20 000 voyageurs/jour.
Or, aujourd’hui, ils sont entre 2000 et 3000 à être intéressé par ce voyage. lien
Si on résume, il n’y a ni assez de marchandises ou de voyageurs pour justifier ce projet, même à l’horizon 2040, et la ligne historique est largement sous utilisée, alors que le tunnel ferroviaire de Modane vient d’être modernisé afin de faire passer des trains de fret. lien
La plate forme a été abaissée de 50 cm, des équipements de sécurité ont été mis en place, accédant ainsi au gabarit B2, ce qui permettra le ferroutage.
Aux mensonges s’ajoutent les scandales : 1,834 millions d’euros prévus pour la galerie de reconnaissance en Italie ont été utilisés pour salarier les gendarmes et militaires qui occupent actuellement le futur chantier, alors qu’il n’y a pas eu le moindre début de percement de tunnel, (lien) sans parler du probable conflit d’intérêt dénoncé par les opposants. lien
Le plus paradoxal c’est qu’une ligne relie encore aujourd’hui Turin à Nice, en passant par Tende, mais la France et l’Italie ne veulent plus investir 120 petits millions pour la restaurer, provoquant à terme sa disparition. lien
Récemment, Philippe Essig, ancien président de la SNCF, lors d’un débat avec Louis Besson, le promoteur N°1 du LTF, a déclaré : « la France et l’Italie n’ont pas un besoin urgent de cet investissement (…) des solutions alternatives innovantes et élégantes ont été proposées, elles n’ont effectivement pas été explorées. Nous sommes au cœur du sujet : le renforcement de l’existant devrait être prioritaire, en particulier en rendant la ligne historique Ambérieu-Modane performante et irréprochable du point de vue de l’environnement ». lien
D’ailleurs, Josiane Beaud, directrice SNCF Rhône Alpes, a décidé de moderniser le réseau actuel régional. lien
La modernisation du sillon alpin coutera environ ½ milliard d’euros, bien loin des 30 milliards gaspillés pour le projet LTF.
A l’heure ou les citoyens responsables se mobilisent contre les grands projets inutiles, alors que le gouvernement a finalement mis la pédale douce au sujet de l’aéroport de Nantes, donnant un répit de 18 mois minimum au démarrage éventuel du chantier (lien), quel sera le sort réservé au LTF, alors qu’une commission chargée en octobre 2012 de choisir ceux qui seront abandonnés ou conservés, donnera sa réponse en avril 2013 ? lien
L’avenir nous le dira et comme assure de temps en temps mon vieil ami africain : « il vaut mieux s’intéresser au passé simple qu’au futur compliqué ».
L’image illustrant l’article provient de « encyclo-ecolo.com » Merci aux internautes de leur aide efficace.
Olivier Cabanel
Article anciens
Lyon Turin, une affaire de gros dessous
Lyon Turin, un chantier bien occupé
Lyon Turin, un mensonge régional
Le fret ferroviaire sur une voie de garage
Un train peut en cacher un autre
Ils n’arrêteront pas le printemps
Le TGV Lyon Turin est un projet ringard, prétentieux et couteux.
Vite et bien ne sont pas compatibles
Fret, la nouvelle bataille du rail
Le blog des opposants est sur ce lien
48 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON