Non à l’apocalyptisme écologique d’Aurélien Barrau
Aurélien Barrau distille la peur quand il parle écologie. Il est beaucoup moins loquace sur les solutions. En tant que yogi sensible à cette cause, je lui recommande quelques postures et respirations pour qu’il se détende, qu’il y voit plus clair et qu’il sorte de l’éco-sidération.
Soyons sérieux.
Non à l’écologie de la culpabilité. Oui à la vie en bonne intelligence avec la nature. Il en va du sort des futures générations.
Ces temps-ci, l’écologie surfe ce plus en plus sur la peur de l’extinction plutôt que sur l’amour de la nature. Je me préoccupe de l’environnement et de la souffrance animale, je suis végétarien, mais j’ai de moins en moins d’accointances avec les stars du domaine qui semblent tous promouvoir l’écologie punitive, voire sacrificielle. L’écoanxiété est devenue un “truc”, des jeunes se stérilisent ! C’est dramatique.
Dans une des dernières vidéos de sa chaîne YouTube, Aurélien Barrau, astrophysicien quantique (il travaille sur la gravitation quantique à boucle), philosophe, poète (le top du top en somme) participe à un exercice hallucinant ou chacun y va de sa surenchère dans le catastrophisme et l’autodénigrement : ça n’avance pas, ça empire, on ne fait rien, on est nul. Chacun tente de se donner la plus mauvaise note en matière écologique, comme une sorte de concours inversé ou il faudrait être le perdant.
Ça ne rigole pas.
Pourtant, quand j’ai découvert Aurélien Barrau, il y a quelques années, j’avais plutôt un bon a priori, étant sympathisant de la cause écologiste : « ha, enfin quelqu’un qui ne mâche pas ses mots et qui nous prévient qu’il faut agir sans tarder pour préserver la nature ». Mais au fil des écoutes et des années, j’ai commencé à trouver qu’il exagérait un peu parfois, et même beaucoup et souvent.
Je suis sérieux.
Dans un premier temps, je vais critiquer, sans ordre particulier, les arguments qui ont été avancés dans cette vidéo et qui sont une synthèse de ce qu’on peut trouver ailleurs. Je ne vais pas non plus prétendre que tout va bien et que c’est un problème imaginaire. J’esquisserais pour finir quelques pistes pour une autre écologie qui n’oppose pas technologie et nature.
La colonisation a été un massacre
Aucun chiffre n’est donné, l’affaire semble entendue, la colonisation a tué beaucoup de monde. Admettons. Restons dans le non chiffré. D’abord, porter un jugement rétrospectif depuis la perspective moraliste de notre époque est plus que hasardeux. Ensuite, combien de naissances en plus ont été permises par les progrès technologiques (je reviens sur leur nature un peu plus bas) que la colonisation a apporté ? Il n’y a qu’à regarder la démographie avant et après colonisation pour vérifier : elle a explosé partout. Le bilan n’est pas que négatif (il n’est pas que positif non plus). Même s’il l’était, est-ce que cela voudrait dire que les fils sont coupables des péchés de leurs pères ? Si oui, jusqu’où faudrait-il remonter ? Tous les peuples ont fait la guerre ou tenté de mettre en esclavages d’autres peuples à un moment ou un autre. Au moins la colonisation a permis de mettre fin à l’esclavage de manière planétaire. Je ne suis pas colonialiste, mais la posture anti-coloniale est une mode qui sert à gagner des points de vertus.
Nous tuons le vivant
Ce que nous tuons, ce sont les animaux sauvages, c’est vrai. Mais le bilan global n’est pas si déséquilibré, car nous les remplaçons par des animaux domestiques. Les vaches, les poules et les cochons, ça compte aussi dans le vivant et la biosphère. On peut en revanche déplorer le mauvais traitement de certains animaux d’élevage industriels et les massacres inutiles d’animaux sauvages (plus lié à la destruction de leur habitat en fait) ainsi que la perte de biodiversité. Mais le « vivant » pour ce qu’on en sait, ne se porte pas si mal que cela. Dire que nous tuons le vivant est une grosse exagération. Nous le transformons.
La question climatique serait secondaire
Barrau déplore la place prise par le CO2 qui ne serait, somme toute, qu’un épiphénomène selon lui. Eh bien non.
Soyons un peu sérieux.
Si nous perdons les dernières baleines, je serai le premier à le regretter, mais ce sera toujours moins grave que l’accumulation du CO2 dans l’atmosphère qui peut nous mener, à terme, à l’extinction de la civilisation, voire de l’humanité ou de la vie sur terre dans des scénarios extrême. La perte de bio-diversité et la pollution (autre que le CO2) ne sont pas des risques existentiels, contrairement au climat s’il s’emballe.
Pour relativiser la question des pollutions, je rappelle que les émissions de CO2 viennent des ressources fossiles piégées dans le sol. Ces ressources viennent en partie d’une ancienne « pollution » : la lignine. À l’époque, la lignine des arbres n’était pas digérée par aucun organisme et s’est accumulée dans le sol. C’était une pollution, jusqu’au jour où des champignons ont « appris » à la digérer. La nature pollue aussi. Il en ira sûrement de même pour nos plastiques, il semble qu’ils apprennent à les digérer eux aussi. En plus, nous pourrons leur donner un coup de pouce grâce au génie génétique pour accélérer les choses.
Quant au CO2, la meilleure solution est très probablement le nucléaire. L’écologie médiatique est anti-nucléaire, mais ce n’est pas pour protéger la nature, c’est par anti-militarisme. Il n’y a aucune raison objective du point de vue climatique de s’en passer : le nucléaire est une énergie abondante, peu chère au kWh et sûre (si si).
Ce qui répond en même temps à l’argument du « peak oil » et de la décroissance subie / obligatoire : non, nous ne manquerons pas d’énergie, sauf si nous renonçons à la produire pour devenir poète, bonimenteur ou branleur comme le préconisent certains. Le CO2, qui reste des milliers d’années à nous réchauffer dans l’atmosphère une fois qu’il est émis va devenir un problème s’il continue de s’accumuler, et il faut s’en préoccuper. Mais, contrairement à ce que disent les écologistes punitifs, la technologie peut nous aider, que ce soit par les techniques de capture du carbone ou bien plus tard, par la géo-ingénierie. Bien sûr, cette dernière est extrêmement dangereuse, le GIEC en parle, je ne minimise pas ses risques, mais je minimise pas non plus notre inventivité et notre détermination une fois aux pieds du mur. On en a vu d’autres.
Produire plus c’est un suicide collectif
Mr Barrau devrait revoir ses chiffres.
Il faut être un peu sérieux.
Pourquoi au juste est-ce que tout le monde veut « produire plus » ? C’est pourtant simple : il y a 200 ans à peine (songez à quel point tout ça est récent) un enfant sur deux mourait avant l’âge adulte. Si ce n’est plus le cas aujourd’hui, c’est parce que nous, occidentaux, « produisons » comme des forcenés. Le reste du monde veut faire de même pour cette raison. Est-ce que ce miracle (c’en est un, un vrai) est dû à la médecine ? Non. Elle ne joue qu’un rôle mineur et c’est important de comprendre pourquoi. Ce qui nous a fait gagner des années d’espérance de vie, ce sont les progrès sanitaires et une meilleure nourriture en premier lieu, ainsi qu’une vie moins éprouvante.
La médecine joue un rôle secondaire. Les vaccins sont souvent mis en avant, mais en réalité, ils n’ont joué qu’un rôle modeste et tardif à partir du moment où nous avons eu une chaîne logistique qui permettait leur transport et conservation en masse. C’est pareil pour la nourriture : c’est la chaîne du froid qui nous permet de mécaniser la production de nourriture et de ne plus connaître les famines, en plus des progrès dans les rendements agricoles bien sûr. Sans la logistique, vous pouvez oublier les vaccins et les steaks surgelés. Or, pour le moment, la logistique, c’est du pétrole. Sans pétrole, c’est le retour au Moyen Âge et on aura beau avoir des usines qui produisent des vaccins, on ne pourra pas les distribuer. Charles Ingalls pourra produire tant qu’il veut en permaculture, on ne pourra pas livrer les villes à temps en charrette. Produire localement ne permettrait de nourrir qu’un tiers de l’humanité.
Concernant le climat, il fait beaucoup moins de morts aujourd’hui que par le passé. Pourquoi ? Parce que nous sommes mieux protégés de lui grâce à la technologie. Bien sûr, je ne suis pas en train de dire que c’est tant mieux s’il se réchauffe et qu’on va pouvoir moins se chauffer l’hiver. Non. Les sécheresses et les canicules vont être un vrai problème, de même que l’artificialisation excessive du sol. Il ne s’agit pas de dire que tout va bien. Il s’agit de ne pas paniquer et d’y voir clair. L’écologie est en train de devenir un phénomène d’hystérie collective qui saccage la jeunesse. Nos ados, je le vois à mon niveau, mais ça se reflète aussi dans les statistiques, ne vont pas bien. Ils se suicident, se médicamentent ou décident de ne pas faire d’enfants. C’est dramatique et l’écologie du désespoir n’y est pas pour rien, j’en suis sûr.
Il faut que la nature reprenne ses droits
Je trouve cette affirmation très hypocrite. La nature, c’est très cruel.
Soyons sérieux deux minutes.
La mante religieuse dévore son partenaire sexuel après l’accouplement. Quand un ours massacre un troupeau de moutons, c’est la nature ? Et quand des loups venaient dévorer des enfants dans un village, il n’y a pas si longtemps, c’était la nature ? Et pourquoi une sécheresse ce ne serait pas la nature ? La météorite qui a éliminé les dinosaures, c’est la nature ! Vous avez déjà vu ce que font les parasites de manière tout à fait “naturelle” ? Je crois que ces écologistes de plateau, à force de livre, ne savent simplement pas de quoi ils parlent.
Au contraire de la tendance à sacraliser la nature, qui n’est que le symétrique de son exploitation excessive, il faut trouver des voies diplomatiques pour cohabiter avec les autres organismes vivants. Nous devons préserver la biodiversité, non pas parce que la nature sauvage serait sacrée, mais parce que nous en avons besoin, parce que ces animaux sont beaux. Le loup, par exemple, qui a été ré-introduit au parc de Yellowstone apporte un service eco-systémique. La “nature” ce sont des équilibres subtils dont nous dépendons.
La décroissance est faisable sans douleur si on partage, si on redistribue, si on s’entraide
C’est l’argument de la « justice sociale ». Vous ne possèderez plus rien et vous serez heureux. Cet argument a fait son chemin jusqu’à la dernière COP qui a consacré la notion de « dette climatique ». J’estime que c’est un argument pour le moins fallacieux. Je ne vais rentrer dans les débats sur la justice climatique, on s’y perdrait vite. Mais je voudrais répondre deux ou trois petites choses.
Moins de richesses globale, mais plus pour chacun d’entre nous, pourvu que les riches se serrent la ceinture. Le kumbaya décroissantiste c’est vraiment magique.
Ce n’est pas très sérieux.
D’abord, nous sommes déjà dans des sociétés qui redistribuent énormément, il ne faudrait pas l’oublier. Le fait qu’il y ait des inégalités ne veut pas dire grand-chose tant qu’on ne précise pas de quelles inégalités on parle. Elon Musk est sûrement très « inégal » comparé au reste du monde. Et alors ? Qu’est-ce que ça peut faire au juste ? Sa richesse, ce sont des actions. Il ne peut pas manger plus de calories par jour que nous sans en subir les conséquences sur sa santé. Sa richesse, ce sont des titres de propriétés sur des ordinateurs, des usines, des fusées. Vous voulez contrôler ses ordinateurs ? Vous avez besoin de ses fusées ? Pour en faire quoi ? La fameuse « répartition » ou « redistribution » ne veut rien dire en soi.
Si on parle d’accès aux soins médicaux, ok, pourquoi pas. Mais ce n’est pas parce qu’Elon Musk est riche que vous n’avez pas accès au dernier scanner : c’est parce qu’il coûte cher et qu’il n’y en pas pour tout le monde. En vrai, pour redistribuer, il faut produire, et pour produire, pas cher, eh bien… on n’a rien trouvé de mieux que le capitalisme libéral (le communisme est un capitalisme étatique, on a vu ce que ça donne). En fait, le capitalisme libéral est un système d’entraide, de coopération, de partage et d’entraide pour les gens entreprenants.
Je ne suis pas un libéral pour des raisons philosophiques, car je n’adhère pas à la fiction humaniste de l’individu rationnel, mais il n’empêche que le libéralisme fonctionne pour nous sortir de la misère. Il a des défauts, c’est vrai, liés au fait qu’il découle d’une vision obsolète de l’humain (j’y reviens plus loin). Il n’en reste pas moins que la solution « décroissante » sera largement pire. J’aimerais bien voir ce que font ces idéologues : à quelle baisse de salaire, ils ont consenti ? Est-ce qu’ils se chauffent moins l’hiver ? Ils empêchent leurs enfants de faire des études pour préserver la planète ? Ils ont renoncé à avoir des toilettes dans leur maison, pour rejoindre la moitié de la planète qui n’en a pas encore ?
Quelle écologie je propose ?
Pour moi, la source du problème, c’est la conception mécaniste héritée de Newton et Descartes, de l’époque chrétienne. L’homme était considéré comme séparé de la nature parce qu’il disposerait d’une « âme » dont les animaux et les plantes seraient privés et que Dieu lui avait commandé de dominer et assujettir tout ça. Pourquoi ? Parce que c’est écrit dans le livre sacré. L’homme serait différent, supérieur, et donc séparé et en guerre contre une nature agressive qui le prive du paradis auquel il aurait droit. L’animal n’a pas d’âme et ne souffre pas. Ce sont des dogmes religieux.
L’homme n’est pas séparé de la nature et c’est pour cela qu’il doit en prendre soin, car lui et la nature sont une seule et même chose. C’est le paradigme qui « monte » chez les scientifiques actuellement. Nous sommes interdépendants et pour l’illustrer il y a 1000 et une façons. Je prends l’angle d’attaque des microbes. Nous savons que nous, vous et moi, nous sommes constitués de microbes autant que des cellules humaines. En fait, en nombre (mais pas en masse) les microbes de notre microbiote sont 10X plus nombreux. Ils s’étendent au-delà de notre corps. Nous mélangeons en permanence nos microbes avec notre environnement et ceux des autres, humains ou non. Les microbes volent, et il existe des autoroutes célestes pour les microbes qui relient différents points de la planète. Nous faisons partie d’un tout.
Mais je rejoins Barrau quand il parle de cosmopoétique et d’aimer la vie, la beauté, la nature. Je crois en effet que la solution consiste à comprendre que l’intelligence et la beauté sont partout autour de nous, que nous en faisons partie, nous ne sommes pas exclus. Renouer avec cet émerveillement est ce qui nous permettra de ne pas nous perdre dans une fuite en avant technologique mortifère qui finirait par nous aliéner totalement et nous couper définitivement de la nature en nous enfermant dans des villes bunker stériles. Surtout maintenant que commence l’ère des IA et que nous ne sommes plus « l’espèce dominante » pour très longtemps.
La solution n’est pas l’anticapitalisme / l’antitechnologisme
La solution au problème écologique sera technologique (cela se nomme l’écomodernisme ou sa version plus optimiste, le technogaïanisme) autant que pro-nature. Le retour à la nature sous forme de renoncement à la technologie, non, le retour de la nature dans nos vies régulé par la technologie, oui. Je parle d’écologie de la réconciliation. Il s’agit d’aménager nos habitats et nos territoires de sorte à favoriser la nature au lieu de l’entraver. Ce n’est pas une question de moyens, mais de mentalité.
Sans un changement d’esprit radical, la technologie peut nous détruire, à l’heure du génie génétique, climatique, du nucléaire, des IA. En apprenant à nous relier à l’intelligence distribuée du vivant, “la nature” peut être notre meilleur enseignant. Après tout, c’est bel et bien l’amour et l’observation de la nature qui nous a permis d’aller sur la Lune, mais cette fois-ci, il ne s’agit pas de simplement décrypter les lois de la matière, mais aussi celles de l’intelligence ou de la cognition qui existe autour de nous, si vous préférez. C’est l’intelligence qui nous sortira d’affaire. Il faut donc la cultiver. Nous aurons besoin de technologie. Pour ça, il nous faut des ingénieurs, des chercheurs avec une nouvelle mentalité plus « holistique », ou, osons le mot, un regard plus « poétique » ou « mystique » sur la nature, mais aussi des IA et des systèmes d’observation de la nature pour la comprendre. Marions, le courage, le cœur et l’intelligence.
À titre personnel et professionnel, je promeus l’utilisation du Yoga (une version adaptée à notre époque) pour me connecter à la nature, pour prendre de la hauteur concernant les peurs (légitimes) que suscite la technologie et son hubris, pour changer de perspective et voir le monde à travers le regard d’un animal sauvage ou d’une forêt comme Jakob von Uexküll ou Aldo Leopold, pour rester autonome vis-à-vis des tentations du monde capitaliste, pour développer de l’empathie envers les êtres humains ou non.
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