Petites centrales au charbon chinoises contre installations photovoltaïques rurales françaises
Face à face dans la compétition économique, l’Europe et l’Asie, réunies au sommet de l’ASEM, ont cherché à collaborer pour la préservation de l’environnement. Pluies acides chinoises et initiatives européennes, en faveur des technologies solaires notamment, illustrent les écarts phénoménaux qui restent à combler. L’Europe saura-t-elle encore donner l’exemple ?
Un sommet de l’ASEM (Asia Europe Meeting) s’est tenu les 10 et 11 septembre à Helsinki pour envisager un renforcement de la coopération entre pays européens et asiatiques, essentiellement cette année dans les domaines de la lutte contre le terrorisme et des conséquences négatives du changement de climat. La presse s’est largement fait l’écho de cet événement, d’autant qu’il s’agissait, pour cette 10e édition (un sommet tous les deux ans), d’élargir la coopération sur les grands défis posés par la mondialisation. Mais une coopération est-elle simplement possible, tant la concurrence est vive, en matière industrielle et économique, entre ces zones géographiques représentant 38 pays, 40% de la population mondiale, la moitié du PIB et 60% du commerce mondial ?
Au-delà des enjeux qui ont inspiré le programme, parfaitement décrits dans un article des Echos du 30/08/06 (Terrorisme, climat : Europe et Asie cherchent un terrain d’entente, C. Chatignoux et J. Docquiert), il ne paraît pas inutile de s’interroger sur les chances de succès d’un tel projet au regard du fossé (du gouffre ?) qui semble se creuser, entre ces deux acteurs majeurs de l’économie du monde, sur le plan des moyens et des volontés politiques. Existe-t-il une chance que s’établisse, à brève échéance, le "dialogue des cultures", européenne et asiatique, indispensable à la sauvegarde de la planète ?
Chine : avalanches d’intentions et ... de pluies acides.
Alors qu’au terme de ce sommet, les pays européens s’engageaient à diviser par quatre leurs émissions de CO² d’ici 2050, un article de Courrier international reprenait, dès le lendemain, une information alarmante émanant de l’agence d’information chinoise Xinhua News Services. Celle-ci précisait qu’un tiers du l’empire du milieu était touché par les pluies acides consécutives aux 25 millions de tonnes de dioxyde de soufre (SO²) rejetées dans l’atmosphère, en 2005, par ses centrales au charbon. L’article de Courrier, s’appuyant en outre sur une information diffusée par la revue scientifique Nature, poursuivait en expliquant en quoi les mesures envisagées par les autorités chinoises (possibilité, pour les centrales, de payer ou d’échanger des droits d’émission) avaient bien peu de chances d’aboutir : "La plupart des émissions de SO2 en Chine sont rejetées par des petites centrales dont la moitié ne sont pas surveillées" (NDLR : ces "petites centrales" ne seraient en outre pas concernées par ces mesures).
Comme pour tuer dans l’œuf tout espoir en l’efficacité de ces mesures, l’article concluait sur les contreperformances déjà affichées par la Chine, premier émetteur mondial de SO², qui, engagée sur une réduction de 10% de ses émissions entre 2001 et 2005, n’a réussi qu’à... les augmenter de 27%.
Face à l’échec, sinon annoncé, du moins probable, de la toute nouvelle politique chinoise de gestion des rejets (qui ne semble pas peser bien lourd en regard d’une course à la production de produits manufacturés, gourmande en énergie), que pouvons-nous attendre des intentions européennes en matière de protection de l’environnement ?
Europe : initiatives publiques et privées réussies en faveur de l’environnement.
Dans un article du Monde en date du 6 juillet, le journaliste Pierre Le Hir annonçait la création, trois jours plus tôt, de l’INES (Institut national de l’énergie solaire) sur le parc technologique de Savoie Technolac, près de Chambéry. Officiellement chargé de doper la recherche française en matière de technologie solaire, cet institut illustre les engagements de la France, pourtant très orientée vers le tout-nucléaire, "de porter de 14 % à 21 % le pourcentage d’électricité produite à partir d’énergies renouvelables à l’horizon 2010".
En retard par rapport aux Allemands, Etats-uniens et Japonais, la France a donc choisi de favoriser ses installations photovoltaïques en site rural isolé, ou raccordées au réseau électrique (un marché des capteurs photovoltaïques qui connaît une progression de 35% par an depuis cinq ans). Fruit d’un engagement de tous les acteurs publics (département de la Savoie, région Rhône-Alpes - 15 millions d’euros chacun sur trois ans - mais aussi Etat - 30 millions d’euros), l’INES est la traduction d’un choix politique émergeant depuis peu, visant à orienter le marché français de l’énergie vers ce type de production propre (cf. également la propagation d’un discours officiel sur les bio-carburants, tout à fait significatif, au-delà des tentatives pionnières d’il y a quelques années, d’une stratégie concertée entre l’Etat et tous les plus importants acteurs privés de la filière).
Même tendance sur le plan des acteurs privés européens : un article des Echos de Paul Molga rapportait le 28 août une initiative d’entreprises technologiques française, hollandaise et norvégienne (Photon power, Econcern, Norsun) consistant à implanter sur le site de Saint-Auban (Haute-Provence) l’unité Arkema, usine de silicium polycristallin pour la fabrication de panneaux solaires. Il s’agit de la première unité mondiale consacrée à cette production. L’appui des collectivités locales et de l’Etat (par le biais d’avantages fiscaux accordés à cette implantation), permettra ainsi de répondre à une demande du marché en "produits susceptibles d’abaisser le coût des modules photovoltaïques", tout en créant à terme 400 emplois d’ingénieurs et de techniciens hautement qualifiés. Selon l’un des promoteurs du projet, celui-ci "pourrait être le socle d’une industrie intégrée du photovoltaïque en vue d’une future "Silicon Valley" à la française ».
"Fiscalité verte", réponse d’avenir au défi de l’environnement.
La collaboration des acteurs publics et privés sur ce type de projets annoncerait-elle une saisie à bras le corps de la question environnementale ? Philippe Laget, directeur de la qualité, de l’innovation et du développement durable du groupe Société générale, propose, pour en être convaincu, de ne pas s’arrêter à ces premiers signes. Aussi suggère-t-il un volontarisme d’un nouveau genre : le volontarisme fiscal.
Dans un article des Echos du 28 août, celui-ci prône, entre autres mesures, la création de supports financiers fiscalement adaptés à une "épargne verte", longue et stable, sur le modèle très populaire de l’assurance-vie : une telle disposition, qui ferait suite à de récentes mesures fiscales déjà annoncées par le gouvernement (crédit d’impôt égal à 50 % des investissement du particulier sur de nouveaux équipements, augmentation du prix d’achat par EDF de l’électricité produite par des installations photovoltaïques) donnerait sans doute le signal de départ à la croissance de cette filière en France et, supposons-le, en Europe.
A travers l’arme de la fiscalité, les Etats pourraient ainsi "soutenir leurs politiques industrielle, énergétique, agricole, de santé [...], orienter les efforts de recherche et les investissements vers les éco-technologies". Car "L’Etat, rappelle Philippe Laget, sait orienter les flux d’argent vers des finalités macroéconomiques et en faveur d’équilibres collectifs. Pourquoi ne le ferait-il pas aussi au profit de l’environnement, puisqu’il s’agit d’un bien commun ?".
Estimant la filière professionnelle d’installateurs agréés trop faiblement développée, Philippe Laget en appelle au renforcement des mesures d’incitation, ainsi qu’à une kyrielle de dispositions qui illustreraient d’autant, si elles étaient adoptées, la capacité de nos sociétés occidentales avancées à répondre aux défis de civilisation posés par la préservation de leur environnement.
Vers un déséquilibre accru entre l’Europe et l’Asie ?
Les commentateurs de l’actualité n’ont de cesse de nous rappeler les croupières que taillent à certains pans de l’économie européenne les industries chinoise, indienne et extrême-orientale. Qu’en sera-t-il demain, lorsque, suffoquant sous les vapeurs de gaz toxiques, les populations de ces pays (pour l’heure tout à leur affaire de fournir le monde en plaques d’acier, pièces métalliques et circuits informatiques) se retourneront vers leurs dirigeants et leur demanderont des comptes, pour elles-mêmes et pour leurs enfants malades ?
De révolutions politiques en révolutions culturelles, de révolutions industrielles en révolutions écologiques, faudra-t-il à chaque fois, comme le remarquait Jean Monnet, "l’Européen", que "les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité, et qu’ils ne voient la nécessité que dans la crise" ?
Dans ce domaine au moins, l’Europe saura-t-elle montrer à l’Asie et au monde la voie d’une révolution propre ?
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