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Potosí, le village sacrifié

En 1985, le village de Potosí a disparu de la carte du Venezuela. Englouti sous les eaux. Et tant pis pour tous ceux qui y résidaient : des petits paysans pour la plupart, qui s’adonnaient à l’élevage de quelques vaches ou à la culture artisanale du café. Tous ont dû partir, émigrer, recommencer leur vie en d’autres lieux.

Potosí a été sacrifié au nom du progrès : un barrage a été construit sur la rivière Uribante. Un barrage qui produit de l’électricité et fait partie du complexe Uribante-Caparo : un ensemble de quatre barrages, trois réservoirs et trois centrales hydroélectriques situées dans la région ouest du Venezuela, sur le versant des Andes qui donne sur les Llanos, les grandes plaines du Sud.
L’église de Potosi avant l’inondation

Le complexe est loin d’être terminé. Seuls deux réservoirs existent et une seule centrale fonctionne (la deuxième est en construction). Mais, face au déficit d’électricité que connait le pays, le temps presse, et depuis peu les travaux ont repris de plus belle. Ordre du président !

Longue histoire

Le complexe hydroélectrique Uribante-Caparo a une déjà longue histoire. Les premières études ont été effectuées en 1951, mais c’est seulement dans les années 1960 qu’elles ont pris un tour concret. Si le plan du complexe a finalement été approuvé par le gouvernement en 1970, il fallut attendre 1978 pour que la construction du premier ouvrage commence. C’est cette année-là que le président de l’époque, Carlos Andrés Pérez, arriva en hélicoptère à Potosí pour annoncer aux quelque 1500 habitants que leur village allait disparaître.

En 1985, le premier barrage, celui de La Honda, était terminé. L’inondation de la vallée pouvait commencer. Les habitants de Potosí avaient déjà été indemnisés et avaient quitté leur village. Ceux du hameau voisin de El Cedral, voyaient leur voie de communication principale coupée par le lac artificiel. Malgré une lutte pour pouvoir rester sur leurs terres, la plupart finiront aussi par émigrer.

Deux logiques

Combien de vies ont été changées, bousculées, détruites parfois, à la suite de ces grands travaux ? Un ouvrage de Miguel Montoya, un anthropologue vénézuélien chargé de recherches à l’université de Stockholm, s’attache à étudier les diverses stratégies suivies par les familles paysannes pour s’en sortir face à cette perspective d’émigration forcée. Intitulé Persistant Peasants : Smallholders, State Agencies and Involuntary Migration in Western Venezuela, cet ouvrage est un précieux outil pour comprendre la mentalité profonde du petit paysan andin ainsi que la presque totale incompréhension de celle-ci par les agents gouvernementaux chargés de mener à bien le macroprojet hydroélectrique. Deux mondes, deux logiques se trouvaient face à face. Devinez qui a gagné… en submergeant littéralement l’autre.

Le plus dramatique de cette histoire, c’est que le sacrifice qui a été demandé aux paysans « au nom du progrès de la nation » n’est même pas justifié par les faits. En effet, la déforestation et l’irrigation intensives en amont de l’ouvrage sont telles qu’elles ont fortement réduit, ces dernières années, le débit des rivières alimentant le réservoir La Honda. Ce débit est actuellement inférieur aux besoins de la centrale si elle fonctionne à plein régime. En d’autres termes, la production d’électricité est inférieure aux prévisions. Pire : la sédimentation plus importante que prévu pourrait réduire de plusieurs dizaines d’années la vie utile de l’ouvrage.

Mais cela, les paysans déplacés de Potosí ne le savent probablement pas. Ils se trouvent déjà loin, dans leur nouvelle vie.

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Potosí, le village sacrifié Potosí, le village sacrifié

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3 réactions à cet article    


  • K K 9 décembre 2008 12:31

    texte interessant. Vous savez, ce probleme se pose a la construction de chaque barrage. En France aussi...


    • gdm gdm 12 décembre 2008 20:11

      @Jean-Luc Crucifix
      Peut-etre avez vous les réponses aux questions ci-dessous :
      1. Les propriétaires des terres et d’immeubles ont-ils été indemnisés correctement ?
      2. Les paysans qui cultivaient la terre ont-ils été dédomagés correctement pour le préjudice de leur éviction des terres qu’ils cultivaient depuis plusieurs années ?
      3. les commercants ont-ils été indemnisés correctement de la valeur de leur fonds de commerce ?
      4. Ce barrage a-t-il été financé par une société spécialisée dans l’exploitation de sites d’energie hydrolique ?
      5. existe-t-il un partenariat industriel entre une telle société d’electricité et l’Etat vénézuélien pour l’investissement initial ou pour l’exploitation de la production électrique ?
      6. L’Etat vénézuélien a-t-il déplacés les habitants en un autre lieu de son choix ?
      7. Certains habitants de Potosi ont-ils contesté devant les tribunaux cette expropriation ?



      • Jean-Luc Crucifix Jean-Luc Crucifix 12 décembre 2008 22:20

        @GDM
        Quelques réponses à vos questions :
        1. Oui, ils ont été indemnisés. Correctement ? C’est à voir. Ceux qui n’avaient pas de terres ont été perdants, car ils ont été indemnisés sur la base de la valeur de leurs terres, qui était leur bien principal. Certains s’en sont mieux sortis que d’autres pour traiter avec une administration qui les comprenait peu. Les indemnisateurs étaient des techniciens, pas des sociologues ou anthropologues.

        2. Ils n’ont pas été dédommagés pour préjudice, mais seulement en fonction de leurs possessions.

        3. Le fonds de commerce est un concept inexistant dans un village andin reculé.

        4. Le financement provenait d’organismes multilatéraux (BID, etc.), le maìtre d’oeuvre était une société d’état, l’ingéniérie était française et italienne. 

        5. Je ne peux répondre à cette question.

        6. Une fois indemnisés, les habitants ont été administrativement abandonnés et se sont réinstallés librement où ils le voulaient en suivant des stratégies propres.

        7. Non. Il y a eu quelques manifestations suivies d’arrangements à l’amiable, mais aucune poursuite en justice.

        L’ouvrage de Miguel Montoya cité dans l’article répond en détail à la question 6. Je vous le recommande si vous êtes intéressé par l’aspect social de cette immigration forcée.

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