Quand l’Etat accroît les risques d’inondation ! (3)
Déclassement de la digue du Canal séparant Tours de St Pierre des Corps : par ce projet de "mise en transparence", l'État français, sans même soutenir une véritable justification, met en danger les biens et les personnes d'un bassin de population de 130.000 âmes. La décision surprend tant cet ouvrage, toujours entretenu, a fait ses preuves lors de la dernière grande inondation (1866). En abandonnant ses prérogatives régaliennes de protection des populations, l'Etat soutient les affairistes cherchant par tous les moyens à ce que Tours devienne une métropole…
Rappel des deux articles précédents.
Cet article est la suite de deux autres parus il y a deux mois sur Agoravox :
- La première partie présentait un historique des faits : comment une digue dans cesse renforcée depuis 1860, jugée en bon état lors de la dernière visite de 2011, considérée comme une protection efficace en 2012, est d'un seul coup devenue fragile, cédant à coup sûr à la moindre inondation, sur la foi d'un étrange "atelier national" d'aménageurs de 2014, ayant détourné les conclusions d'une étude scientifique de dangers de 2013.
- La seconde partie faisait le tour des acteurs : le ministère de l'Ecologie et la DDT, oubliant leur rôle de protection contre les risques naturels, un maire de Tours faible et inconscient (contrairement aux précédents), les élus de tous bords, amorphes, les médias silencieux, une association qui se bat, des citoyens qui s'inquiètent.
- Inondation par l’amont
- Cas d’une inondation de probabilité « moyenne » par l’amont : la mise en transparence de la digue du Canal provoque la submersion des communes de Tours et La Riche
PPRI : un Plan qui accroît le risque au lieu de le diminuer
Depuis la mise en ligne de ces deux articles écrits il y a deux mois, est arrivée, du 18 avril au 19 mai, l'enquête publique amenant la finalisation de la révision du Plan de Prévention contre les Risques d'Inondation (PPRI) du Val de Tours, Val de Luynes. La soi-disant "concertation" sur l'avant-projet se solde par un rejet complet des remarques et interrogations. C'était certes prévisible, mais pas de façon aussi brutale. Il n'y a pas eu la moindre argumentation pour contrer les pourtant multiples remarques exprimées. Elles ont été tout simplement ignorées. Un document présente les trois réunions publiques préparatoires, en oubliant carrément la quatrième, du 19 décembre à Tours, où l'opposition citoyenne au déclassement avait été vive. Comme pour les médias, pourtant présents, cette réunion a été effacée. Tout juste apprend-on, dans un document annexe, que 150 personnes se sont exprimées contre le déclassement, alors qu'aucun autre aspect du PPRI, et de loin, n'a rencontré une telle réprobation.
On se retrouve donc avec un PPRI à l'envers, qui, plutôt que de diminuer le risque, l'augmente. Ainsi, sur la commune de Tours, pour les zones submersibles, il passe de faible à fort et très fort et sur-aléa. Il est extraordinaire de voir un plan de prévention effectuer une telle aggravation ! Comme si les experts d'il y a quinze ans, et tous ceux qui les ont précédé depuis 150 ans, s'étaient collectivement fourvoyés…
- Inondation par l’aval
- Cas d’une inondation par l’aval : la mise en transparence de la digue du Canal provoque la submersion des communes de St Pierre des Corps (et ses sites Seveso) et La Ville aux Dames
Un clientélisme qui amadoue les élus
Aucun élu ne s'en émeut publiquement… En privé, certains reconnaissent le bien-fondé des arguments de l'AQUAVIT, l'association pour la qualité de la vie dans l'agglomération tourangelle, seule à vraiment réagir. Mais ces politiques, affairistes et carriéristes à leur manière, ne veulent pas se brûler les doigts ou les ailes en s'opposant à l'Etat. Pragmatiques, ils préfèrent marchander leur soutien ou du moins leur silence complice. Dans la "concertation" de l'avant-projet, chacun y est allé de sa "réserve" et l'Etat, grand-seigneur, a récompensé ceux qui sont venus manger dans sa main. C'est ainsi, par exemple, que le maire de Tours a obtenu le droit de construire un parking souterrain sous "l'îlot Vinci", là où est prévu un grand aménagement…
En arrière-plan, l'Etat est en train de se désengager de l'entretien des digues pour le confier aux collectivités locales. Ce transfert aura de très lourdes conséquences financières, si bien que les élus locaux ne sont pas mécontents d'un déclassement qui allègera cette charge. Et qui leur permet de lâcher la bride à de rentables projets d'urbanisme…
- Digue du Canal
- La digue du Canal en son point soi-disant le plus fragile
Un mensonge d'Etat
Le plus révoltant dans cette affaire est de constater l'obstination des services de l'Etat à répéter une grossière contre-vérité. Pour assurer que la digue du Canal est "dangereuse et inutile", ils prétendent que l'étude de dangers de 2013 aurait dit que "dans les différents scenarii étudiés, la levée de l’ancien canal présente une probabilité de rupture certaine sur 43 % de son linéaire". Or cette étude ne l'a dit que dans un seul cas, quand la crue atteint la hauteur de 52 mètres au-dessus du niveau de la mer : un seul scénario, pas tous, et qui n'est jamais arrivé, puisque la hauteur maximum atteinte était de 51 m en 1856. En plus, la digue tiendrait jusqu'à 51,90 m, si l'eau ne part pas auparavant en surverse sur le Cher. Ce scénario a une probabilité très faible, une fois tous les 800 ans, d'après l'étude de 2013. Il ne devrait pas être traité dans un PPRI mais à l'échelle plus vaste de l'ensemble du bassin de la Loire.
Ainsi, contrairement à ce que prétend l'Etat, l'étude de dangers de 2013 montre que la digue du Canal est protectrice et utile. C'est bien grâce à elle que, au PPRI de 2001, auparavant et aujourd'hui tant qu'elle est intacte, le risque d'inondation était et pourrait rester faible. Pour autant, cela ne doit pas faire oublier que dans certains cas, qui devraient être réduits au minimum, le val de Tours est et sera toujours inondable.
La prétendue fragilité "dans tous les scenarii", inscrite dans l'arrêté de déclassement, est un pur mensonge. Il avait été dénoncé par l'AQUAVIT auprès du Ministère de l'Ecologie et de la Préfecture. Aucune réponse, aucune explication. Bis repetita dans l'avant projet PPRI. Nouvelle dénonciation, nouvelle dérobade. Tris repetita dans le dossier d'enquête. Pour agir ainsi, l'Etat semble sûr de son coup : la commission d'enquête va dire que le déclassement n'est pas son souci, les Tribunaux Administratifs vont regarder à côté. Le dossier est cadenassé à tous les étages de l'administration. Cette façon de maquiller la vérité évoque celle des pires régimes. Mme Ségolène Royal, ministre de l'Ecologie, plusieurs fois avertie par l'AQUAVIT, le sait et apporte son soutien à de tels dévoiements. Elle coiffe un système qui discrédite notre démocratie.
- Place Velpeau à Tours
- La place Velpeau, à Tours, pourra être submergée par 2 mètres d’eau, pour une crue que la digue du Canal aurait stoppée
Une embrouille machiavélique
Là où l'Etat s'avère très fort, c'est dans l'emploi d'une stratégie tordue qui emberlificote le sujet et lui permet de faire l'innocent en dédaignant les citoyens agités qui s'opposent à lui. Ce seraient eux qui affolent la population. Qui, pourtant, a augmenté le risque de faible à très fort ?
L'Etat, ou plutôt le petit groupe qui agit sous son couvert, s'est rendu compte qu'il ne devait surtout pas dire que la "mise en transparence" de la digue du Canal multiplie par dix le risque d'inondation : houla, ça serait trop clair, tout le monde comprendrait et voudrait garder l'ouvrage. Il lui fallait dissocier le déclassement et l'aggravation du risque, pour camoufler le lien de cause à effet. Moins c'est clair, mieux ça passera. Il a donc procédé par étape :
- L'aggravation du risque, introduite en première phase de concertation du PPRI, devait précéder le déclassement.
- Le déclassement devait se faire discrètement sans que personne ne s'en rende compte, comme une mesure technique annexe. Sur ce point, il y a eu le grain de sable de l'AQUAVIT, qui, de justesse, a pu intervenir à temps pour lancer un recours.
- Il fallait un prétexte. La généralisation du scénario à 52 m de l'étude de dangers de 2013 permettait de dire que l'ouvrage était trop fragile, "inutile et dangereux", et que - la main sur le cœur - sa destruction était indispensable pour protéger la population. A cet effet, pour que personne n'aille vérifier, l'étude de 2013 a été gardée secrète le plus longtemps possible (jusqu'à décembre 2015 après des demandes répétées de l'AQUAVIT). Il apparaît même possible qu'elle ait été a posteriori légèrement modifiée pour la durcir un peu (notamment ajouter l'éventualité d'une "mise en transparence" introduite en conclusion, sans être appuyée par ailleurs).
- On marche sur la tête en procédant ainsi. En toute logique, il aurait d'abord fallu définir une Stratégie Locale de Gestion du Risque d’Inondation (SLGRI), puis le PPRI, puis le déclassement, car la digue du Canal est un élément central du système de protection du val de Tours. A l'encontre des préconisations européennes, on fait l'inverse, on met la charrue avant les bœufs. Pire le PPRI, présente une cartographie et un règlement reposant sur l'existence de la digue, alors que le texte dit qu'elle est mise en transparence. Il est d'ailleurs écrit qu'une future modification ou révision remettra tout cela d'aplomb. La révision est donc obsolète avant même d'être validée ! La prorogation de l'an dernier devait permettre de prendre en compte des études de danger supplémentaires sur le Cher, elles ne seront pas finies avant la fin de l'année. Et caetera, les manques et incohérences s'amoncèlent : moins on comprend, plus vite ça sera acté, mieux ça passera… La révision du PPRI doit impérativement être terminée en juillet, la commission d'enquête fermera les yeux et la validera comme tous les décideurs l'ont fait précédemment.
- PPRI Tours 2001 et 2016
- A gauche PPRI de 2001 : en jaune le risque faible - A droite PPRI de 2016 : en vert risque moyen, fort, très fort et (hachuré) sur-aléa
Jusqu'où ?
Depuis les scientifiques ayant vu leur étude de dangers détournée jusqu'aux conseillers municipaux qui savent, comme tous les riverains, que la digue est aussi solide qu'avant, personne ne semble avoir le courage et l'éthique de s'opposer à une machinerie qui s'est emballée. Même ceux qui n'ont pas une carrière à protéger. Tous restent solidaires d'une logique qui ignore la vie des gens et la transparence. Jusqu'à éluder les interrogations. Les dessous de cette affaire restent soigneusement cachés, il est toujours difficile d'obtenir des documents et un journaliste curieux aurait du mal à percer l'omerta, pour comprendre comment on peut arriver à de telles manipulations.
Cependant, doucement, l'information se répand. Il devient plus difficile de faire accepter aux habitants des trouées dans la digue. La mairie de Tours prétend maintenant qu'il n'y aurait pas de grandes percées, alors que c'est prévu "à court terme" dans l'arrêté de déclassement. Un remblai, voilà ce que devient une digue déclassée et les remblais doivent disparaître pour ne pas être un "obstacle à l'étalement de la nappe d'eau" que veut l'Etat. Inversement, si l'ouvrage garde un rôle de rétention des eaux, même moindre que précédemment, il doit être classé, c'est juridiquement la seule façon de lui attribuer cette fonction. Mais comme tout est incohérent dans cette affaire, des tergiversations sont possibles, par exemple attendre quelques années avant d'effectuer une première percée par surprise, avec une bonne dose de comm'…
Il semble qu’on se trouve encore loin d'une conclusion. Cette affaire, où la sécurité des habitants a été négociée en secret pour être sacrifiée sur l’autel de l’affairisme urbanistique, est marquée d'une telle mauvaise foi et d'un tel risque naturel qu'elle n'est pas prête d'être enterrée. A suivre...
[Plus de détails sur la page dédiée de l'AQUAVIT et ses sous-pages ; les illustrations de cet article en sont extraites]
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