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Theodore J. Kaczynski : “L’Effondrement du système technologique”

Théodore Kaczinski, surnommé "Unabomber", est emprisonné à perpétuité dans le Colorado pour avoir envoyé durant 18 ans plusieurs colis piégés à des professeurs d’universités et à des informaticiens, blessant et causant la mort de plusieurs personnes qu’il jugeait responsables d’une évolution technologique destructrice pour l’humanité et la nature.

Il est aussi connu pour avoir réussi à faire publier son manifeste dans d’importants quotidiens américains et ce en échange de l’arrêt de ses attentats.
Ce manifeste a déjà été traduit et publié en France, hélas trop hâtivement comportant de nombreuses erreurs allant parfois jusqu’au contresens.
Il était donc nécessaire de réaliser une nouvelle traduction de cet important texte. C’est ce que les éditons Xenia ont réalisé en accord avec l’auteur lui-même, en l’enrichissant d’interview de celui-ci, de correspondances et d’autres textes parus dans diverses revues.

C’est une critique sans appel des principales tares de notre civilisation désenchantée que Théodore Kaczinski nous expose à travers un texte extrêmement dense et néanmoins clair. Il n’épargne rien ni personne et surtout pas les gauchistes et même la gauche dans son ensemble car selon lui tous ces mouvements constituent « la principale ligne de défense de la société technologique contre la révolution ». Les gauchistes ne font que développer et insuffler à la société le sentiment d’infériorité (dévalorisation, haine de soi, haine de l’Occident, culpabilité, bassesse, lâcheté, paresse, etc.). Ils prétendent combattre les défauts des autres, mais lorsque ces mêmes défauts se retrouvent dans leur propre camp, ils les excusent. D’ailleurs « les gauchistes des pays occidentaux ont rarement critiqué l’URSS avant l’effondrement du communisme. »

C’est bien sûr une critique radicale de l’extrême gauche, de tous ces activistes qui « parviennent à entretenir l’illusion qu’ils se rebellent contre le système » alors qu’ils « font seulement le boulot du système et ils le font à leur place ». Le système leur procure « une liste de griefs standards et stéréotypés contre lesquels ils peuvent se révolter : le racisme, l’homophobie, la condition féminine, la misère… »

Unabomber précise que ces remarques sur le gauchisme proviennent des observations de la gauche américaine et ne peuvent peut-être pas s’appliquer à la gauche européenne. S’il savait qu’en France c’est encore pire !

Une des principales maladies de la société moderne est la sursocialisation, qui oblige à penser et agir comme la société l’exige. « La société actuelle s’efforce de nous socialiser à un degré jamais atteint par les sociétés précédentes. » On nous explique ce que nous devons manger, comment éduquer nos enfants, comment se comporter dans toutes les situations. Les hommes subissent dès le plus jeune âge un tel bombardement intensif de bonne conscience qu’ils perdent leur défense immunitaire lors d’agressions de toutes sortes. Tout sentiment d’agressivité doit être rejeté. Mais hélas ce sentiment arrive un jour ou l’autre et cela provoque en lui une sensation de culpabilité, une démotivation, une dépréciation de soi qui peut le faire basculer à tout moment dans l’insatisfaction de soi, dans l’ennui, dans la déprime.

Il donne sa propre analyse des problèmes sociaux sans tous les tabous qui accompagnent les sociologues, par exemple sur la démocratie : « La démocratie réclame une population disciplinée et docile ». Dans certains pays cela ne marche pas où la discipline sociale fait défaut comme en Afrique et dans les pays arabes.

Analyse aussi intéressante sur la religion notamment chrétienne à propos de la tolérance qui est l’opposée d’une forte croyance lumineuse ; cela ne peut qu’entraîner un affaiblissement de la foi religieuse.

Il souligne la dégradation des rapports sociaux qu’il attribue à la société technologique. Seules les anciennes cultures pouvaient assurer des relations satisfaisantes entre les personnes. « Dans une certaine mesure, la décomposition des valeurs traditionnelles entraîne la dissolution des liens qui unissent les petits groupes humains. » Cette dégradation est accentuée par la décomposition des petites communautés naturelles comme la famille et par le développement du nomadisme. De ce fait, nos relations et nos comportements envers autrui sont régentés par un lacis de lois et de règlements qui se multiplient sans cesse. Unabomber est avant tout un écologiste radical. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’Unabomber a mis en acte ses idées en vivant en presque autarcie dans sa cabane du Montana.

Ainsi tous les maux de la crise moderne proviennent de l’évolution de la société technologique, la seule solution ne consiste pas à la réformer, mais à l’abattre complètement. S’il est bien sûr difficile de le suivre dans cette voie radicale, Unabomber mérite l’attention car il propose une réflexion tonifiante sur les dangers de la société technologique.

L’Effondrement du système technologique, les écrits complets de Theodore J. Kaczynski, éditions Xenia

Voir aussi http://www.unabomberbook.com/


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5 réactions à cet article    


  • Christophe Christophe 10 novembre 2008 14:31

    @L’auteur,

    Article intéressant qui dépasse une vision à courte vue des actes de Kaczynski qui, même si ils restent condamnables dans une société de droit qui protège ses propres intérêts, ont des motivations qui reposent principalement sur des critiques pour le moins constructives et argumentées du système que nous avons instauré. Mais ces critiques restent, il faut l’admettre, sans effet ; sans doute ce qui pousse certains vers l’extrême.

    Quand vous abordez la civilisation désanchantée, cet assertion me rappelle quelque peu les premières critiques de Max Weber. Dans la suite de Weber, nous retrouvons nombre de philosophes contemporains qui critiquent l’autonomie des sphères de la science et de la technique, au-delà de ceux que votre lien cite, nous retrouvons aussi Karl-Oto Apel, Jurgen Habermas, ... sans doute de façon moins radical, mais la critique est là.

    Quant à la démocratie, dès lors que l’espace public est sclérosé, il reste évident que la démocratie n’est plus que l’ombre d’elle même. Le modèle libéral de la sphère public non seulement tend vers la répression de l’opinion public plébéienne mais ne permet pas l’expression politique dans les démocraties de masse. C’est, du moins, une idée que je partage avec Habermas qu’il a exposé dans son ouvrage l’espace public. L’environnement politique des sociétés modernes ressemble fort, à mon avis, au principe de République exposé par Aristote il y a de cela quelques millénaires.

    Votre propos me donne envie de lire cet ouvrage. Au-delà des faits et gestes de Kaczynski, connaître les positions intelligibles qui l’ont poussé à ces actes réprehensibles restent, à mon sens, d’un intérêt certain. Cela ne laisse pas supposer, bien entendu, que cela fera des lecteurs des poseurs de bombes, mais leur permettra de porter une réflexion sur les problématiques exposées.


    • Halman Halman 10 novembre 2008 17:16

      "Une des principales maladies de la société moderne est la sursocialisation, qui oblige à penser et agir comme la société l’exige. « La société actuelle s’efforce de nous socialiser à un degré jamais atteint par les sociétés précédentes » On nous explique ce que nous devons manger, comment éduquer nos enfants, comment se comporter dans toutes les situations. Les hommes subissent dés le plus jeune age un tel bombardement intensif de bonne conscience qu’ils perdent leur défense immunitaire lors d’agressions de toutes sortes. Tout sentiment d’agressivité doit être rejeté . Mais hélas ce sentiment arrive un jour ou l’autre et cela provoque en lui une sensation de culpabilité, une démotivation, une dépréciation de soi qui peut le faire basculer à tout moment dans l’insatisfaction de soi, dans l’ennui dans la déprime."

      Ceci est parfaitement exact. L’oppression permanente du rapport social obligatoire 24/24 h aliène plus surement que la torture mentale chinoise. Du levé au couché il faut tout maitriser, le moindre geste, la moindre gare à la plaisanterie qui tombe à plat, la moinre parole légérement hors sujet, pour bien rester dans l’attente que le conjoint, la famille, les collègues, les voisins, les amis, de l’image qu’ils veulent avoir de vous. Chaque geste doit être absolument parfait, même dans l’intimité.

      Même en vacances, gare à celui qui ne s’incorpore pas à la bande des accros des problèmes relationnels obligatoires. Gare à celui qui dès le matin n’a pas à se prendre la tête dans une discussion entre quatre z’yeux dans la salle de bains ou dans la cuisine, même pas le temps de prendre son petit déjeuner, ça commence !

      Confucius a dit "Je suis celui que tu veux bien voir".

      Précept appliqué à la dictature par notre société, à chaque seconde de notre journée.


      Mais de là à :

      "Ainsi tous les maux de la crise moderne proviennent de l’évolution de la société technologique, la seule solution ne consiste pas à la réformer mais à l’abattre complètement. S’il est bien sûr difficile de le suivre dans cette voie radicale, Unabomber mérite l’attention car il propose une réflexion tonifiante sur les dangers de la société technologique."

      c’est un raccourcis un peu facile. Ce n’est pas propre à une société technologique, c’est propre à l’humain tout court, quel que soit l’époque.

       smiley


      • Fabrice Trochet Fabrice Trochet 10 novembre 2008 18:50

        J’en conviens que "c’est un raccourci un peu facile. Ce n’est pas propre à une société technologique, c’est propre à l’humain tout court, quel que soit l’époque. " Mais selon lui c’est ce progrès, cette évolution qui nous a conduit où on en est. Réformer, s’attaquer à certains aspects ne servirait à rien car cela continuera et on reviendra à notre époque. Evidemment comme je l’ai dit je ne suis pas d’accod avec cette solution et il est dificille de soutenir ce choix radical : la destruction de la socité technologique


        • Christophe Christophe 10 novembre 2008 19:36

          @Fabrice Trochet,

          Kraczynski distingue en fait deux types de technologies : la technologie à petite échelle, mise en œuvre par des communautés restreintes, sans aide extérieure, et la technologie qui implique l’existence de structures sociales organisées sur une grande échelle.

          Sa critique se porte sur la technologie qui est érigée en système à tendance sociale. Nous retrouvons cette même critique chez nombre de philosophes. Tous ne sont pas aussi radicaux, même Ellul exposait : J’ai montré sans cesse la technique comme étant autonome, je n’ai jamais dit qu’elle ne pouvait pas être maîtrisée. Jacques Ellul n’est pas un anti-technologie, mais il est critique envers notre façon de l’aborder dans les sociétés modernes : Ce n’est pas la technique qui nous asservit mais le sacré transféré à la technique.

          Cette approche est aussi celle d’Habermas considérant que l’autonomie des sphères de rationalité issues de la modernité, celles de la science moderne, du droit positif, des éthiques profanes et de l’art devenu autonome, ne réclame ni fondation ni justification. Mais elle pose des problèmes de médiation que les grâces bénies de la science et de la technique ne permettent certainement pas de résoudre à elles seules.

          Nous pouvons aussi tenir compte, me semble-t-il, de l’approche de la modernité de Arendt. La modernité est aussi à l’origine de l’usure de la tradition et de la crise de la culture ; tout ce qui permettait le lien social. Or la modernité ne propose aucune solution sociale.

          Nous pourrions tout autant lever les aberrations de notre société technicienne, comme cette belle unanimité autour de la société de communication  : La communication devient la Voix unique, qui seule peut unifier un univers ayant perdu en route tout autre référent. Communiquons. Communiquons par les instruments qui ont, précisément, affaibli la communication. Voilà le paradoxe où nous sommes jetés (Habermas) et : On ne parlait pas de communication dans l’Athènes démocratique, car la communication était au principe même de la société (Sfez).

          Notez que les auteurs cités ne sont pas favorables à la destruction de la science et de la technique, et Arendt ne demande pas un retour en arrière pour autant. Ils lèvent les problèmes et tentent de trouver des réponses aux problèmes posés, mais des réponses soumises aux contraintes démocratiques.


        • Fabrice Trochet Fabrice Trochet 12 novembre 2008 21:20

          Merci pour ces enrichissants commentaires.Theodore J. Kaczynski fait pourtant souvent référence à Jacques Ellul.

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