Bloquer l’immigration « pour le bien des migrants » ? Sérieusement ?
Atroces et surtout affreusement médiagéniques, les naufrages en Méditerranée et le cortège de morts qui va avec ont fait s’élever de nombreuses voix, dans la société civile comme dans la classe politique. Et alors une idée germe : pour le bien des candidats à la traversée il faut empêcher les bateaux de partir, comme ça ils ne couleront pas. Lumineux. Si ce n'est qu’il s'agit avant tout d'une belle manière de cacher le problème sous le tapis, d’aggraver la situation des gens qu’on prétend aider tout en la rendant moins visible, plus supportable vue de l’extérieur.
Alors que les migrants meurent en Méditerranée, les hommes politiques de toute l’Europe cherchent une solution. Leur politique migratoire ne faisait jusqu’à maintenant pas trop de vagues, mais c'est du passé, et ils s’en rendent compte. Compter les naufrages et les vies perdues qui vont avec est trop à la mode dans les médias, et à ce rythme là des têtes risquent de tomber. Alors on cogite, on s’agite, on organise des réunions de crise à tour de bras pour montrer au monde et surtout à l’électeur qu’on cherche à « résoudre le problème ». Et il faut leur reconnaître au moins ça aux politiciens (ou en tout cas à la plupart d’entre eux) : ils souhaitent sincèrement que plus aucun candidat à l’immigration ne meure en mer. D’ailleurs ils vont probablement tout faire pour que plus aucun bateau ne parte, et leur action sera alors soutenue en masse par des gens pour la plupart bien intentionnés, y compris à l’égard des victimes.
Sauf qu’un migrant, ça a beau être souvent désespéré, c’est surtout rarement fou. Celui qui quitte l’endroit où il est né pour se lancer dans un voyage extrêmement périlleux entre les griffes des passeurs pour tenter de rejoindre l’Europe sait à quoi s’attendre, et s’il tente quand même « l’aventure » c’est pour une raison simple : pour lui cette solution est préférable à l'idée de rester où il est. Et cela ne change rien d’affirmer haut et fort qu’à sa place on n’aurait pas fait le même choix, qu’on aurait préféré rester sur place « profiter » de ses cinquante ans d’espérance de vie dans une misère noire plutôt que de prendre un risque pour une vie meilleure. Chaque humain a ses propres attentes, sa propre vison de ce qui est bon pour lui, et ôter aux gens la possibilité de bouger c’est donc faire empirer la vie de certains d’entre eux (ceux qui auraient tenté le voyage) sans améliorer celle des autres (qui seraient restés de toute façon). Mais ça le politicien s’en fout. Ce qui compte c’est que des gens qui meurent à petit feu, même plus nombreux, là où ils sont nés, c’est beaucoup plus difficilement quantifiable et ça passe moins facilement dans les médias que des morts violentes en Méditerranée. Quand les bateaux ne partiront plus les journeaux titreront « Chute spectaculaire du nombre de morts en Méditerranée en 2016, ils crèvent maintenant plus lentement mais en plus grand nombre dans leur pays d’origine ». De quoi faire rêver tout ministre qui se respecte.
Cela ne choquera bien sûr pas les identitaristes (qui applaudiront même d’autant plus fort), ni ceux qui estiment légitime de tuer ces migrants qui menaceraient notre modèle social déjà condamné. Mais de l’autre côté, du côté de ceux pour qui ces vies comptent, il est essentiel de réaliser que la coercition, ou une restriction toujours plus importante de l’immigration ne sont pas des solutions, qu’elles ne font qu’aggraver le problème tout en tirant un voile pudique dessus. Non, nous ne savons pas mieux que celui qui quitte son pays ce qui est bon pour lui. celui qui vit la souffrance, la misère, et la mort de l'intérieur est infiniment mieux placé que nous pour savoir si son intérêt est ou non de prendre le risque de s'expatrier.
En réalité ceux qui respectent réellement la vue humaine doivent réaliser que la seule chose qui permettrait de diminuer réellement le carnage et de rendre service aux migrants, au lieu de simplement dissimuler la situation, serait l’assouplissement voire la suppression de ces politiques migratoires mortelles, financées par l’argent pris à tous par la force. Mettant ainsi fin à ces trafics qui n'auraient pu exister sans elles. A moins évidemment qu’on ne choisisse de se laisser bercer par l’illusion que notre état ou les autres états Européens, dont les interventions dans leur propre économie n’ont de cesse de la pourrir, seraient miraculeusement capables d’améliorer la situation économique des pays dont sont issus les migrants.
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