Ce que nous coûte l’Europe
Des plateaux de télévision aux foyers français, des estrades politiques aux comptoirs des cafés, les trois derniers référendums européens - en France, aux Pays-Bas et en Irlande - ont enfin sorti l’Europe de l’indifférence. Certes, les citoyens n’ont pu comprendre grand-chose aux arcanes institutionnels de l’Union, ni aux implications du Traité constitutionnel devenu Traité de Lisbonne. Difficile de leur en vouloir, lorsqu’on sait que nos dirigeants eux-mêmes ont approuvé ces traités souvent sans les avoir lus. Ce que les électeurs ont saisi en revanche, c’est l’enjeu démocratique derrière l’intégration supranationale dont ces traités signent une nouvelle étape. On peut gloser toute la journée sur la légitimité des motivations des électeurs, il y a bien entre ces trois référendums un fil rouge : Français, Néerlandais et Irlandais ont compris qu’ils avaient à choisir entre continuité et rupture, entre cette "union sans cesse plus étroite" voulue par les traités et une Europe des démocraties et de la géométrie variable. A la clé, la réponse à une question aussi vieille que l’Antiquité : par qui voulons-nous être gouvernés ?
Pour être "efficace" , la décision communautaire - aujourd’hui 175 000 pages de textes en vigueur représentant 85 % des lois françaises nouvelles - doit être comprise et acceptée par les vingt-sept peuples, un demi-milliard de personnes, auxquels elle s’applique. Or, leur défiance à l’égard de l’Europe de Bruxelles atteint aujourd’hui des sommets. Si l’on ne réenracine pas d’urgence l’Union dans ses démocraties nationales, beaucoup ne tarderont pas à évaluer le rapport coûts/avantages d’appartenir à l’Union, et le bilan risquerait d’être fatal pour elle. Il y a les coûts et gains immatériels : au stade où elle est parvenue, l’intégration supranationale (par opposition à l’association des nations) est-elle est un bien ou un mal pour la paix civile, la paix sociale, la prospérité de nos économies et le bonheur des peuples européens ? La réponse n’est plus aussi évidente qu’autrefois, l’Europe n’ayant manifestement pas tenu beaucoup de ses promesses (à part peut-être la consolidation de la paix, quoique la mise aux fers du pangermanisme doive surtout aux décisions des alliés). Il y a aussi, plus prosaïquement, la question du coût matériel, sonnant et trébuchant, pour le contribuable et citoyen français, de l’Europe actuelle. De telles études sur le "coût de l’Europe" sont régulièrement effectuées chez nos voisins les plus pragmatiques : par des think-tanks anglais au sujet de l’économie britannique ou par le gouvernement des Pays-Bas sur la charge administrative pour les entreprises de la législation européenne. En France, jamais.
Du "coût de l’Europe" pour la France, on s’est jusqu’à présent contenté d’évoquer le « solde net » budgétaire, c’est-à-dire la différence entre la cotisation officielle versée au budget de l’Union et les « retours » des fonds européens en France. Celle-ci d’ailleurs ne cesse de croître. Notre pays récupère en aides agricoles et structurelles environ 66 % de ce qu’il a versé : lorsque l’Etat contribue pour 100 euros au budget européen, les agriculteurs français récupèrent 50 euros et nos régions 16 euros, les 34 euros restant subventionnant l’Europe de l’Est et du Sud, ainsi que le fonctionnement des institutions européennes. La France est devenue le deuxième contributeur net en volume et présentera d’ici 2013 un solde "européen" déficitaire de près de 7 milliards d’euros par an. S’y ajoutent d’autres dépenses budgétaires directes, telle que la contribution au fonds européen de développement (738,3 millions), les "refus d’apurement" et amendes communautaires pour défaut de transposition des directives (837 millions en 2008) ou le budget de la présidence française de l’UE (190 millions). L’Etat français contribue aussi en tant que percepteur des ressources européennes (la collecte fiscale a un coût), redistributeur des "retours" communautaires qu’il a subventionnés et transpositeur d’un important volume de normes communautaires, le tout, au nom et pour le compte de l’Union européenne. Ces charges d’administration déconcentrée de l’Union européenne mobilise quotidiennement des moyens publics de l’Etat et des collectivités locales. Du côté des entreprises, le coût d’assimilation de la législation européenne représente environ 37 milliards d’euros. Ainsi, le coût global comptable de l’intégration européenne atteindrait au minimum 50 à 65 milliards d’euros par an pour la France.
Simple ordre de grandeur bien sûr, mais qui mérite que la présidence française de l’Union fasse sienne quelques propositions pour rendre l’Europe "financièrement acceptable" : renoncer au projet d’impôt européen, réformer les ressources propres, mettre fin à "l’Europe-providence" en supprimant 50 % des fonds structurels (dont l’impact est limité), rétablir la préférence communautaire pour mieux rémunérer la production agricole (et donc rationaliser les aides). Sur le plan institutionnel, l’Europe n’a pas d’avenir avec un traité imposé de force malgré les "non" référendaires. Imaginons un "compromis de Luxembourg" rénové, qui consisterait en un droit de non-participation d’un Etat à telle politique communautaire, et l’instauration d’un contrôle démocratique des projets législatifs européens au moyen d’un mandat de négociation du Parlement français pour les ministres se rendant à Bruxelles (ce que font les pays scandinaves), puis le vote d’une résolution sur la participation de la France à la législation envisagée. Souplesse, transparence et démocratie : il est temps d’imaginer l’Europe d’après...
Christophe Beaudouin
Ce que nous coûte l’Europe. 15e étude publiée par Contribuables Associés, en ligne ici
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