Coup de projecteur noir des médias alternatifs ou la manifestation disparue. 240 000 personnes dans les rues de Varsovie, une paille !
Il y a quelques jours de cela je rentrais de Pologne, à l'aéroport de Bruxelles-Charleroi, toujours sous le coup, mitraillette au poing, d'un surréaliste chaos post attentat. C'est la troisième fois que je fréquente cet aéroport depuis la sinistre journée du 22 mars, et je ne peux m’empêcher d'y trouver le fonctionnement bien plus fluide et calme qu'habituellement, du moins une fois informé de la localisation des taxis qui ne peuvent plus stationner devant le grand hall.
Evidemment, au pays de Magritte, ce serait trop demander à la gestion de l'aéroport, en plus de la présence militaire et des files indiennes, d'indiquer clairement ces nouvelles dispositions. Pourquoi faire simple alors qu'il est si agréable d’errer sur les parkings à la dérive d’information manquantes ?
La première fois il faut donc se débrouiller seul, traînant ses baguages à la main, pour découvrir dans un coin perdu la nouvelle zone de stationnement des navettes de taxis vers la ville. Ceci fait, les fois suivantes tout se passe bien plus rapidement qu'en temps normal et de façon bien plus ordonnée.
C'est en ces circonstances de contradictoire laisser-aller, de désorganisation douce, somme toute habituelle sous ces contrées, que je me retrouve donc dans une pénombre quasi totale à rejoindre peu après 23h un petits groupe de personnes égarées qui attendent impatiemment dans la fraîcheur du soir les rares passagers curieux finissant par découvrir ce lieu dissimulé. Il faut être huit pour que démarre une navette vers Bruxelles, je suis le septième. Les égarés attendent depuis trois quart d'heure…J'ai de la chance. En temps normal, les navettes démarrent les unes après les autres dans un flux constant. La plupart des voyageurs non informés et moins curieux aujourd'hui montent dans les autocars qui eux peuvent à ce jour regagner leur place habituelle sur le parking de l'aéroport, plus chers, plus lents.
La conversation s'engage dans une joyeuse ironie, égayée sans doute par l’atmosphère de vacances qui flotte encore dans l'esprit de mes interlocuteurs. Passé ces préliminaires farceurs, nous en sommes aux : d'où venez vous etc.
Je reviens pour ma part de Varsovie, du moins de l'aéroport de Varsovie-Modlin.
Mes interlocuteurs, qui eux reviennent du Maroc dressent l'oreille d'intérêt. Ce qui est rarement le cas, la Pologne n'éveillant toujours pas à ce jour, en général, un bien grand intérêt de la part des bourlingueurs. Ils m'apprennent ainsi, à ma grande stupéfaction, qu'une manifestation monstre venait d'y avoir lieu le 7 mai : 240 000 personnes dans les rues de Varsovie pour manifester son mécontentement face à l'actuel gouvernement catholique et ultra conservateur (pour le moins), dont les dérives commencent il est vrai à faire froid dans le dos, sorte de contre point en mode mineur, si j'ose dire, d'une certaine politique menée de l'autre côté de la frontière ukrainienne (1). Une manifestation rassemblant la plupart des tendances politiques de l'opposition en un grand mouvement pour le respect des processus démocratiques dangereusement malmenés, mais aussi pour l'attachement polonais au projet européen...
J'étais en Pologne, je n'ai entendu parler de rien. Il est vrai que je balbutie seulement dans cette langue et qu'il m'est difficile de suivre les informations radiophoniques polonaises. Par contre je lis tous les jours sur le net les informations, principalement sur les sites alternatifs, tel celui ci…. Au minimum cinq ou six différents par jour.
Rien vu passer rien entendu ! Aucune info, pas la moindre durant le séjour passé à l'est, à la frontière Biélorusse, malgré les polonais croisé tous les jours…
Je suis donc stupéfait et interpellé.
Rentré chez moi à Bruxelles je fais immédiatement une recherches. L'information est bien là, partout dans les médias conventionnels, mais à peu près nulle part en médias alternatifs, sinon un long article fouillé au riche contenu sur Média Part. (2)
Media Part est il un média alternatif, tel n'est pas ici la question. ?!
Et mes amis polonais de Bruxelles dans tout cela… ? Étonnés eux même, je leur apprends l'information, ils n'ont entendu parler de rien. C'est vrai que ceux que je connais sont fort peu politisés. Dans leurs journaux polonais de l'immigration : nic ! Sur base de l'information que je leur fournis ils effectuent quelques recherches sur les médias polonais et finissent par dénicher l'un ou l'autre rare et laconique article faisant état d'une manifestation de 40 000 personnes ….
40 000 , 240 000…. La question n'est pas là, mais celle ci : Quid de cette zone d'ombre, ce coup de projecteur noir sur un événement aussi considérable dans mes médias préférés ? Cela me pose question. Normalement je complète leur lecture par quelques coups d’œils en diagonale, en général bien peu instructifs, sur les médias conventionnels. Durant ce voyage en Pologne, pressé par le temps, je me suis contenté de lire ce que je considère être ma meilleure source d'information...
J'apprends par cette expérience que cette source alternative possède aussi ses failles…. Ou du moins sa culture. Qu'elle aussi filtre. Non pas par volonté éditoriale ou contrainte, comme on le juge peut être trop facilement pour les autres type de médias, mais par une sorte de culture interne.
De son contre pied, plutôt tendance nationaliste, anti projet européen, ce rassemblement a dû paraître suspect ou du moins à l'encontre de sa ligne habituelle. 240 000 manifestants dans les rues pour, aussi, soutenir leur attachement à l'Europe, en 2016, cela fait vraiment vieux-jeu, incongru.
Que l'on m'entende bien, les dérives du projet européen, si dérive il y eu jamais, me le rende à moi aussi plus que suspect aujourd'hui. Est ce une raison pour passer sous silence une telle manifestation populaire, d'en expliquer les tenants et aboutissants, ses éventuels relais à l'intérieur même des structures européennes… ? J'aurais aimé comprendre.
Je dois avouer que cette expérience a agi sur moi comme un révélateur. Ainsi, hélas, il semble bien qu'il n'y ai pas de réseau d'information fiable en tant que tel, il n'y a qu'un travail de comparaison et d'analyse personnelle à effectuer en permanence, au risque sinon de s'enfermer dans une réalité virtuellement dessinée par les groupes de pression et l'idéologie auxquels appartiennent les médias que nous lisons : alternatifs ou pas, proches de nos propres convictions personnelles, ou pas. Au point de pouvoir volatiliser 240 000 personnes à proximité même de notre propre lieu de séjour.
Me voilà prévenu.
Knail
(1) Un bon article parmis d'autres ici : http://www.les-crises.fr/la-pologne-explosive-au-coeur-de-leurope-et-du-systeme-par-philippe-grasset/)
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